C’est au début des années 1980 que cette talentueuse artiste découvre , à Urbino, une technique qu’elle exerce désormais de main de maître, la xylogravure.Avant cette initiation italienne, elle utilisait surtout l’aquarelle, qu’elle n’a jamais vraiment abandonnée et à laquelle elle revient chaque fois que le sujet le nécessite. Elle n’est jamais en effet otage d’une technique et manie selon les besoins, l’aquarelle donc, mais aussi le crayon, les papiers découpés ou déchirés, la gouache,les encres, la lithographie. et, bien évidemment, la gravure sur lino ou sur bois où elle excelle..
Comme ses consoeurs Michelle Daufresne et, quelques années auparavant, Gerda Muller, May Angeli a fait ses gammes aux éditions du Père Castor.Dans des récits qui flirtent avec le documentaire, elle y a chanté les charmes de la vie rurale, et réalisé, avec le grand souci de justesse du détail qui était de mise dans l’entourage de François Faucher, des petits albums ethnologiques, n’attendant pas qu’il soit de bon ton de prôner le métissage culturel pour manifester son intérêt pour les « autres » cultures. Sa collaboration avec les éditions de La farandole puis avec Syros, son engagement à Amnesty international , vont confirmer cette ouverture d’esprit et favoriser l’expression de son amour de la liberté. Elle prendra alors position avec fougue et lucidité, sans naïveté excessive et sans tomber dans le piège du « politiquement correct », s’engageant également dans le combat écologiste, en particulier dans les livres édités par le ministère tunisien de l’environnement.
Il faut dire qu’elle manifeste, en Tunisie, une extraordinaire connivence avec le paysage , une tendresse quasi amoureuse pour la mer, les plages, la beauté des sites, une symbiose parfaite avec la nature et les hommes. Les xylogravures de Dis-moi dégagent un étonnant sentiment d’harmonie et, telles les cathédrales de Rouen ou les meules de foin, Boukornine, la montagne sacrée, sous différents climats et lumières, croisée avec des scènes familières mettant en scène Cherifa, femme pêcheur bien connue sur le port de Sidi-Bou-Saïd, ne peut manquer d’émouvoir par son authenticité et sa poésie. Depuis fort longtemps – Moktar le berger date de 1984 -, May Angeli témoigne de son intérêt évident pour les civilisations maghrébines , qu’elle édite des livres bilingues , qu’elle illustre un album sur la république algérienne, ou qu’elle croque la vie tunisienne, en écrivant elle-même les textes. Ses petits ouvrages sur l’artisanat sont des documents précieux, par la qualité de leur documentation, par la connaissance intime de l’histoire romaine, juive et arabe et la description experte des techniques. Mais ce sont aussi des récits nourris de la sympathie éprouvée pour les modestes artisans détenteurs d’un savoir millénaire et de la chaleureuse complicité avec les femmes enracinées dans une culture qu’elle comprend profondément.
Cette générosité, on la retrouve dans les chroniques familiales qui privilégient le devoir de mémoire et la transmission des valeurs. Elle s’y dévoile affectueuse sans sensiblerie, y expose une vision sereine et équilibrée du rapport entre les générations, une attente paisible de la vieillesse et de la mort, se fondant, en toute simplicité, sur ses expériences familiales et amicales.Et là aussi, la technique est au rendez-vous: virtuosité des portraits d’enfants et des croquis d’animaux, douceur des aquarelles très délavées, tout en demi-teintes, ou humour de linogravures colorées, faussement naïves et « enfantines ».
Mais ce qui a assuré la renommée de May Angeli, c’est sans conteste ses Histoires comme ça. Dans ce célèbre bestiaire, la vigueur du trait se met au service de la luxuriance des plumages et des pelages, de l’exotisme des jungles aussi bien que des fonds marins, de la sensualité des dunes sableuses ou des glissements des serpents et des félins. Son sens de l’équilibre dans la mise en page, dans le traitement de la couleur, dans les positions des personnages, l’utilisation astucieuse des veines et même des défauts du bois, tout ce qui fait que les techniques sont elles-mêmes porteuses d’un message écologique, rappellent la sublime harmonie de cet âge d’or des commencements que Kipling célèbre avec entrain et humour. Ce qui ne dispense pas ses représentations d’originalité et d’un certain anticonformisme: son Joueur de flûte ne ressemble à aucun autre et , en même temps, paradoxalement, l’hommage aux illustres prédécesseurs (Samivel ou Kate Greenaway) est évident.
Et tout cela, sans pédanterie, ni prétention aucune. Même lorsqu’elle aborde un sujet mythologique, elle montre que ces mythes, elle les a intériorisés, qu’elle vit en familiarité avec le monde antique, que son enracinement affectif, dans des sites quotidiennement fréquentés et toujours habités par les ombres très présentes d’Ulysse ou de Didon, fait de ces nobles héros des amis de tous les jours. Même simplicité dans son écriture où, à une science maîtrisée des points de vue, s’ajoute la justesse d’une langue efficace, sans fioritures inutiles. économe de ses effets sans parcimonie, qui cultive, non sans humour, l’art de la litote , de l’allusion, de l’à peine suggéré, de l’implicite .
Bref, une oeuvre optimiste, d’une élégante simplicité, chaleureuse et cultivée, qui ressemble sans conteste à la femme qui l’a créée.
par : Parole
Revue