Pierre Cornuel
Les Tribulations d’un Français en Chine
Pierre Cornuel, peintre et auteur-illustrateur français, né en 1952, enthousiaste créateur de plus de septante albums, rencontre depuis quelque temps un succès viral en Chine où il a maintes fois séjourné, au point que ses portraits, gigantesques (22 m sur 10 !), ont envahi à plusieurs reprises les murs des gratte-ciel de Nankin, en particulier lors des festivités du Nouvel An chinois dont il dessine, depuis quelques années, l’animal-totem.
C’est ainsi que, en 2024, il a représenté, avec jubilation, le Dragon, monstre propice à toutes les fantaisies graphiques. De plus, on célèbre le soixantième anniversaire de l’établissement, par le Général de Gaulle, des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine et notre artiste, excusez du peu, sera honoré dans le cadre de cette circonstance tout à fait exceptionnelle*. En effet, Jinghe Chen, libraire actif et bienfaisant, non seulement lui organise une exposition à Nanjing, mais, en plus, conçoit et édite, à ses frais, Fleurs de poisson rouge, une histoire charmante écrite par sa collaboratrice Yulian Yang et, bien sûr, illustrée avec brio par notre cher ami Pierre Cornuel. Afin de souligner les liens culturels des deux nations, cet album paraîtra en chinois, mais aussi en français, aux toutes jeunes éditions Pierre-Papier-Pinceau (PPP) que dirige, à Paris, avec Pierre Cornuel, la dynamique Hélène Ran Li.
L’attrait de l’Orient millénaire
L’engouement de Cornuel pour l’Asie remonte à sa prime jeunesse, d’abord pour le Vietnam, le Japon, la Corée, et la Chine ensuite. À 8 ans, le petit Pierrot avait un ami vietnamien dont les traits et ceux de sa famille l’émerveillaient. Grâce à lui, il a découvert, très impressionné, le mystère de l’écriture chinoise, par des cartes postales reçues d’une tante lointaine. Ce n’est que bien plus tard que cet amateur de beautés féminines rencontra deux très jolies artistes coréennes, toujours ses amies aujourd’hui, qui renforcèrent cet attrait vers l’Extrême-Orient, ses populations et ses cultures.
Son travail dans l’édition fut influencé par ces échanges. Le minimalisme de la peinture l’intriguait. Pouvoir dire plus avec moins l’interrogeait. Un envol d’oiseaux en quelques coups de pinceaux le fascinait. En outre, certains préceptes taoïstes sont assez proches de sa façon de penser. Plusieurs rencontres en Corée, Vietnam et en Chine ont fortement nourri ces intérêts…
De nombreux échanges avec des éditeurs coréens ont précédé sa première venue en Chine. Une dizaine d’entre eux ont traduit ses titres français et il a aussi travaillé ensuite directement avec les éditions Woongjin de Seoul.
L’Oiseau et la Tortue
La galerie parisienne l’Art à la Page a édité, en 2005, un livre d’artiste, L’Oiseau et la tortue, réalisé au pinceau, à l’encre de Chine sur papier tibétain. Pierre Cornuel avait écrit un poème traduit en coréen par son assistante JisunYoo adapté par Sohee Kim avec les magnifiques caractères de sa langue Hangul. Un leporello s’étant avéré trop coûteux à réaliser, on fabriqua un joli livre à l’italienne, relié manuellement de cordelettes, accompagné d’une exposition à la galerie de Marie-Thérèse Devèze…
S’ensuivit, dans une autre galerie parisienne, la galerie Art présent, une exposition, Fleurs noires, inspirée par l’élan spirituel du Souffle Ch’i. Elle lui valut les honneurs de la TV France 2 dans l’émission Thé ou café.
Les éditions Grasset, qui avaient alors une collection de biographies autour de quelques grands peintres (Klimt, Chagall, Gauguin…) lui proposèrent de choisir un peintre d’Asie pour cette collection. Sans hésiter, il proposa Chu Ta, célèbre peintre du XVIIème siècle, mais l’accueil fut d’abord mitigé car il était peu connu. Pierre dut s’adresser au directeur des éditions Grasset, Olivier Nora, qui, lui, fut enthousiaste. En effet, ami avec François Cheng de l’Académie Française, auteur 25 ans plus tôt de l’ouvrage ChuTa, le génie du trait, il valida le projet. Pierre a réalisé cet hommage en se familiarisant avec la dure technique des pinceaux, pierre, bâton à encre et papiers Aubier de santal, pour tenter de rester fidèle au trait de ce grand maître.
Succès français et séjours en Chine
L’album Le Peintre et l’oiseau, hommage biographique à Chu Ta, parut en 2010 avec un texte de Sohee Kim . Ce très beau livre ne passa pas inaperçu et a suscité l’intérêt des musées nationaux français, le Musée Guimet, bien sûr, car consacré aux Arts asiatiques, mais aussi le Musée du Quai Branly, le Musée d’Orsay, le Musée de l’Armée et le Grand Palais, où Pierre fut convié pour des dédicaces. Le Musée Delacroix l’a même invité deux fois, l’Année du Coq et l’Année du Chien, à célébrer le Nouvel An lunaire par une nuit de dessins et de calligraphies, réalisés en public, avec musique et buffet chinois. Le Quotidien du peuple, organe officiel du Parti communiste chinois qui tire à plus de trois millions d’exemplaires, en a rendu compte par deux articles et deux vidéos. Pour l’entrée dans l’Année du Rat, c’est le Musée Picasso qui l’a sollicité, mais la fête a été annulée, en dernière minute, à cause du coronavirus.
Qu’un artiste français s’intéresse à cet important artiste chinois le fit inviter par le directeur de l’Alliance Française de Nankin, Gérard Gréverand. Les nombreux ateliers et actions, organisés par l’Alliance Française, lui ont permis de créer de nouveaux contacts avec les agences, éditeurs, directeurs de musée et aussi de nouveaux amis dans les milieux culturels. Ces rencontres ont engendré des expositions et ateliers en collaboration avec des éditeurs situés au delà de Nankin, à Pékin, Shanghaï, Shenzhen, Anhui. Et il a aussi découvert les paysages et merveilles d’une culture qui le subjuguait déjà depuis l’enfance.
Éditions chinoises
L’agent culturel Hélène Ran Li, rencontrée au Salon du livre jeunesse de Montreuil, devint une amie. Elle lui proposa de collaborer avec un éditeur de sa province d’origine, les éditions Anhui. Elle lui fit illustrer d’emblée deux histoires d’un auteur important qui était aussi président de l’association des écrivains de Chine, Gao Hongbo. Pour Poetic Fairy picture Book, The Cat wearing Sunglasses et The Kitten and the stream, parus en 2017, on demanda à Pierre de retravailler dans le style anglais de ses débuts, à la plume et aquarelle, souvenirs d’une époque où il vouait une grande admiration à Beatrix Potter.
En fait, la Chine appréciait fort ses titres classiques, désormais introuvables en France, comme la série des Désiré Raton sur des textes de la philosophe Lydia Devos, autrefois publiés par Grasset. Le contact avec Sifan Mei, autrice de grand talent et aussi traductrice, permit, en 2019, l’édition en mandarin, par Cai Qin Ren, de ses anciens titres à succès en leur conférant, par leurs mystérieux caractères, une intrigante séduction exotique.
Première collaboration avec les éditions HongFei
Lors des séances de dédicace, l’impressionnante collection de ses pinceaux étonnait les enfants surtout lorsque l’artiste leur affirmait qu’il s’agissait de vrais poils d’animaux. D’où l’idée d’en faire une histoire. Il conçut alors un élégant leporello qui, déployé, mesurerait une dizaine de mètres de long. Il le proposa, en 2012, à Chun-Liang Yeh et Loïc Jacob, de HongFei Cultures, éditeurs très engagés dans la promotion de la culture chinoise. Ils publièrent ces Éclats de lune, à la fois documentaire sur les outils traditionnels des peintres chinois, et fable morale autour de la motivation de vie, du croire en soi et de la complémentarité de nos différences. Méditation philosophique aussi : la quête importe plus que sa finalité. Ce très beau livre, traduit en chinois, fut à l’origine d’une collaboration particulièrement fructueuse avec ce couple d’éditeurs et une profonde connivence s’établit avec eux. « Les livres d’HongFei cultures, autour des thématiques du voyage, de la relation à l’autre, du rapport à l’inconnu et à l’altérité sont proches de mes intérêts, explique Pierre Cornuel. Nous avons ainsi fait trois livres ensemble et j’ai participé à Dix ans tout juste, l’ouvrage collectif publié pour leur anniversaire. »
HongFei encore…
Le Héros est le second album réalisé, en 2015, par ce trio d’amis. Bien que la source en soit celle d’un texte chinois de Chen Sou datant du IIIème siècle, HongFei a accordé à Pierre une grande liberté d’adaptation. « C’est l’histoire d’une rédemption, dit-il, du passage de la violence et de la brutalité à la sagesse. J’ai dû quitter ma chrysalide pour comprendre la vie du papillon. Se dépasser soi-même est plus important que dominer les autres.» Encore une belle aventure éditoriale dont in existe une traduction en chinois.
Quant à son dernier livre paru en 2020 chez HongFei, Shaolin, pays de Kung Fu, il est féministe et inattendu. « Ma grande amie chinoise Yisha a une petite nièce, Mengmeng, dont elle m’envoyait des vidéos. Sur l’une d’elles, la fillette sautait sur son lit en chantant et faisant des mouvements de Kung-Fu : irrésistible ! » Chun-Liang Yeh et Loïc Jacob, intéressés depuis longtemps par le sujet, déploraient l’absence de livres de jeunesse sur le Kung-Fu. Ils accordèrent à nouveau une grande liberté à notre artiste. « Je me lançais en respectant la philosophie de cet art ancestral dans une narration dont l’héroïne, que je voulais à tout prix féminine, serait cette petite Mengmeng qui, recueillie dans un monastère, découvrirait cet art par hasard. Par souci de réalisme, je rencontrais à nouveau, grâce à Hélène Ran Li, le maitre Tu Yuanjian qui me fut d’une belle aide pour la justesse des mouvements. » Cette histoire valorise l’effort, le travail sur soi, la confiance pour « faire pousser son propre arbre et en partager les fruits avec les autres.» Une éminente leçon d’altruisme.
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Tous ces livres pour la jeunesse, baignés de culture chinoise, ont marqué un tournant dans la carrière de cet illustrateur généreux et optimiste. La liberté et la fantaisie demeurent, certes, et l’enthousiasme aussi, mais le message philosophique a gagné en profondeur et en maturité et sa quête esthétique a embrassé de nouveaux horizons. Les échanges culturels avec cette Chine qu’il aime profondément l’ont enrichi et rendu heureux.
Bon voyage à Nankin, cher Pierre !
Janine Kotwica
11 mai 2024
www.janine kotwica.com
FB Janine Kotwica
* Moi-même, pour le septantième anniversaire des relations sino-helvétiques, je fus commissaire de l’exposition Images de l’Occident – Illustrateurs d’Europe et d’Amérique au Tsinghua Art Museum de Pékin, avec l’aide de l’Ambassade de Suisse, du 11 novembre 2020 au 30 mai 2021, mais je ne pus m’y rendre à cause du Covid !
https://janinekotwica.com/exposition/les-maitres-de-limaginaire-images-de-loccident/
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