À propos de l'exposition "André François, Premières acquisitions"
Retour de Bologne – André François, Robert Delpire et Janine Kotwica
Fin mars, à Bologne, s’est tenu le Salon du Livre pour Enfants – la Fiera del Libro per Ragazzi. De notre voyage, nous retiendrons notamment la rencontre rafraîchissante et optimiste avec Janine Kowitca. Cette chercheuse et spécialiste de l’illustration est commissaire de l’exposition André François, Premières Acquisitions, inaugurée jeudi dernier au Centre éponyme, à Margny-lès-Compiègne. Nous apprenions en même temps la réédition des Rhumes, aux éditions Delpire. Tout cela était juste enthousiasmant.
André François (1915-2005)
Anticonformiste à l’imagination spatiale, André François compte parmi les illustrateurs et affichistes les plus marquants du vingtième siècle. Né André Farkas à Timisoara, il s’installe à Paris en 1934 et devient rapidement l’élève – le disciple – du graphiste Cassandre. Avec Jacques Prévert, il noue une amitié orageuse, mais le poète l’encourage à approfondir son approche personnelle des arts plastiques. « De tout temps, j’ai été une espèce de Janus à trois visages : la peinture (avec un P très majuscule), le graphisme (avec comme dieu Cassandre), puis la presse, les contemplant à tour de rôle selon l’opportunité, l’humeur, la nécessité […]. Puis de plus en plus peintre, espérant que les trois profils […] se superposent pour former un seul visage. » André François est éclectique. Il défie les régles de l’époque, la mode, l’air du temps, il ne s’en moque même pas, il ne s’en préoccupe pas, tout simplement. André François n’est que lui-même : un génial graphiste. Il marivaude avec l’humour surréaliste. Il joue avec les dessins comme on joue avec les mots : « J’aime les mots et les objets qui se transforment, les calembours visuels ».
1949. André François publie son premier livre pour enfants : C’est arrivé à Issy les Brioches. Le style est vif et instinctif. Suivent les années consacrées aux premières couvertures de Vogue et du New-Yorker, à la publicité (Kodak, Olivetti, Citroën, Esso, Perrier…), à l’affiche culturelle (Roland Petit, Gene Kelly…) ou cinématographique (le Bal des vampires, Max mon amour).
Bref, chez André François, » les idées poussent comme des fleurs dans sa tête » (le dessinateur anglais Ronald Searle).
Les Larmes de Crocodile – Publication dans la revue Neuf de l’éditeur Robert Delpire
André François, Robert Delpire et les Rhumes
1956. On dit cela : « André François apporte à Robert Delpire une étrange maquette : un coffret de bois, retenu par du gros fil de fer, qui contient un livre à l’italienne très allongé expliquant prétendûment l’origine de l’expression “larmes de crocodile”, et racontant en fait une petite histoire assez absurde de capture et domestication de crocodile — en un savoureux hommage à Babar. » Robert Delpire publie Les larmes de Crocodile. Un morceau d’anthologie. Le crocodile, qui vit dans le Nil, est accompagné d’un oiseau qui lui sert de brosse à dents. De collages et de dessins, l’album est traduit en 14 langues et récompensé par les Américains.
2002. Sarah Moon, compagne de Robert delpire, réalise un documentaire sur André François, avant qu’un incendie ne détruise son atelier et le travail d’une vie entière. L’artiste se relève et présente deux expositions. André François meurt en 2005.
2011. La maison Delpire réédite Les Rhumes, album culte d’André François, initialement réalisé pour une entreprise pharmaceutique. Faciles à attraper, les rhumes se révèlent des animaux à longs nez, rusés et malins, qui occupent le territoire de la manière la plus impromptue qui soit. C’est drôle et décalé, c’est signé. L’album sera disponible en mai.
Le visuel de l’exposition à Margny-lès-Compiègne sera l’emblème du Centre André François
André François, Janine Kotwica et Margny-lès-Compiègne
Dans un texte intitulé » Qui était André François ? « , Janine Kotwica rend un hommage éclairé et appuyé à l’illustrateur. Agrégée de lettres modernes, Janine Kotwica a enseigné à l’IUFM de Beauvais et à l’Université de Picardie. Elle organise des expositions d’originaux, écrit dans diverses revues spécialisées et assure des formations aux métiers du livre dans plusieurs pays francophones. Infatigable, elle voue une passion débordante à la littérature jeunesse, avec une forte prédilection pour l’illustration.
En 2010, elle se bat bec et ongles contre la décision du président du Conseil Général de la Somme d’annuler l’exposition Pour adultes seulement : quand les illustrateurs de jeunesse dessinent pour les grands, dont certains dessins sont jugés choquants. Dans une lettre sans concessions, Janine Kotwica écrit : « En 35 ans de travaux au service de l’illustration, c’est la deuxième fois que je suis confrontée à une censure aussi bête que méchante. Il faut dire que la première fois, c’était, non en Picardie, belle province de notre Doulce France, mais en Tunisie, état totalitaire comme chacun sait. En mission pour le Ministère des Affaires étrangères, j’ai vu mes livres confisqués à la douane par la commission de censure. Heureusement, l’Ambassadeur de France, homme intelligent et cultivé, a vite réglé le problème. Et j’ai été fière d’appartenir à la patrie des Droits de l’Homme qui honore la liberté d’expression et défend ses citoyens contre les barbares ciseaux d’Anastasie ».
Esprit libre et engagé, Janine Kotwica était toute désignée pour assurer le commissariat d’une exposition consacrée à un autre franc-tireur. André François, Premières Acquisitions a été inaugurée la semaine dernière dans un lieu totalement dédié à l’illustration et aux arts graphiques. Installé dans l’Oise, à Margny-lès-Compiègne, leCentre André François, Centre Régional de Resources sur l’Album et l’IIlustration, a pour vocation de conserver, faire vivre et mieux connaître le livre illustré, sur le territoire. Heureux territoire que celui-là.
Centre André François – Photo Janine Kotwica
Publié le 04/04/2011