© Alain Gauthier, 2008
Alain & Alice in Wonderland
Ancien élève de Paul Colin, Alain Gauthier, artiste né en 1931, est beaucoup plus célèbre (et célébré) comme affichiste que comme illustrateur alors qu’on lui doit les images de quelques albums exceptionnels qui ont fait date dans l’histoire littéraire de ces dernières années.
Son premier livre, Zizou, artichaut, coquelicot, oiseau, publié chez Grasset en 1974, révèle d’emblée un réel talent d’illustrateur. François Ruy-Vidal lui confie ensuite le recueil de comptines des Papillons de Pimpanicaille qui démontre son délicieux humour et il a, avec Nicole Maymat chez Ipomée, donné de La Belle et la Bête une exceptionnelle interprétation qui conjugue avec élégance Cocteau et Madame Leprince de Beaumont.
Il a revisité magistralement Peau d’âne et le Chaperon rouge dont les versions, déconcertantes et ambiguës, s’adressent autant à l’adulte qu’à la prime enfance.
L’association avec François David pour Est-elle Estelle?, belle réussite éditoriale, lui valut une plaque d’or à Bratislava.
En 1991, il donne d’Alice au pays des merveilles une version très personnelle qui préfigure Alice ou Les chemins de la mémoire, mélodieuses variations musicales, merveilleusement écrites et illustrées autour des thèmes carrolliens. L’Art à la Page en fera un beau livre d’artiste présenté dans cette exposition à côté des originaux de l’album paru chez Hatier.
Michel Tournier a été touché et admiratif de l’interprétation qu’il fit de plusieurs de ses contes et nouvelles dont La fugue du Petit Poucet ou Le miroir à deux faces.
Son dernier livre, Nous, les loups, édité par Christine-Marie Léveillé chez Bilboquet sur un texte inspiré de la jeune Edith de Cornulier-Lucinière, reprend superbement, avec une rare subtilité, quelques-unes de ses intimes obsessions.
Virtuose de l’affiche commerciale ou culturelle et dessinateur de presse magazines, il a obtenu de très nombreuses distinctions internationales en France – les campagnes publicitaires, entre autres, de Bally ou du Champagne de Castellane ont été brillamment primées – mais aussi à Londres, Essen, Tokyo, New York…
Alain Gauthier est aussi peintre et l’univers, très musical, de ses tableaux reflète la même atmosphère sensuelle et énigmatique que ses oeuvres sur papier. Il conjugue là aussi l’audace anachronique à une touche de surréalisme et à un onirisme profondément intériorisé. Avec, toujours, un sens subtil des demi-teintes, un talent particulier de la mise en page et une harmonieuse structuration de l’espace.
Des silhouettes élégantes de femmes dont les poses au hiératisme très étudié diffusent un érotisme contenu, troublants portraits de fillettes rêveuses et mélancoliques, faussement chastes, comme absentes, à la séduction distante, petits garçons rêveurs, mystère de vies intérieures à peine devinées, le monde créé par Alain Gauthier, où l’absurde et l’insolence trouvent aussi parfois leur place, est fascinant.
Un univers si personnel qu’il peut sembler déplacé de céder à la tentation d’évoquer des rencontres avec quelques prestigieux aînés : avec un Hammershoï et le grisé de ses camaïeux intimistes, avec un Balthus et ses très jeunes femmes à la sensualité ambiguë ou encore un Delvaux qui, modestement, ne se prendrait guère au sérieux.
Charles Lutwidge Dodgson alias Lewis Carroll (Daresbury, 1832 – Guildford, 1898), fils de pasteur, a grandi dans une famille de onze enfants, tous bègues et gauchers, comme lui. D’aucuns expliquent ainsi sa vision inversée des choses et sa virtuosité dans la création des mots-valises. Sévère professeur de mathématiques au Christ Church College d’Oxford où il fut élève, cet homme à l’apparence guindée et mélancolique, occupe ses loisirs en photographiant personnages et paysages et c’est en publiant, en 1856, des photos dans le magazine The Train, qu’il choisira son pseudonyme.
Son sujet favori est le portrait de fillettes. Il s’intéresse ainsi aux trois filles du Doyen Liddell, Lorina, Alice et Edith. Le 4 juillet 1832, il les emmène en promenade en barque sur l’Isis et leur raconte une histoire, qui deviendra les Aventures d’Alice sous terre. Il en offre le manuscrit à la cadette, la « Secunda », sa préférée. Il illustrera lui-même cette première version, puis fera éditer, en 1865, sous le titre de Alice au Pays des Merveilles, un texte remanié avec les désormais célèbres images de John Tenniel.
En 1889 paraîtra sa troisième version, Alice racontée aux petits.
Il semblerait que le révérend Lewis Carroll se soit réincarné en Alain Gauthier. Même réserve distinguée couvrant une malice amusée, même regard tendre et ambigu sur la fraîcheur des petites filles, même fascination pour leur innocence un peu trouble, même admiration pour leur fantaisie et leur indépendance joliment bravaches, même nostalgie des paysages secrets de l’enfance où chemine une mémoire inquiète, même fuite par le rêve loin des prosaïsmes du quotidien…
A l’un l’écriture et la photographie mais aussi, parfois, l’aquarelle, à l’autre, le dessin et la peinture mais aussi, parfois, l’écriture…
A l’un le non-sens des mots, à l’autre le farfelu des compositions graphiques, pour nous entraîner, tous deux, dans les labyrinthes lyriques d’un mystérieux monde tout à l’envers, dérangeant et décalé.
Une connivence talentueuse où la sensibilité se mêle à l’humour, à la poésie et aux délires de l’imagination.
Une exposition qui a eu lieu à Bibliothèque Jean Moulin
du 10/05/2008 au 31/05/2008