© David McKee, 2002
On savait depuis Babar que l’éléphant pouvait être bien-aimé, mais l’enthousiasme qui accompagne Elmer est sans doute l’un des grands événements éditoriaux de la fin du XXème siècle. L’accompagnement commercial de produits dérivés de qualité -peluches, vaisselle, maroquinerie, jeux, vêtements,…- et la déclinaison des albums en livres animés ou en livres de bain dont les pays anglo-saxons sont si friands, a été et est toujours un grand succès, même chez nous où ils sont commercialisés sous le label Jeux d’aujourd’hui puis Petits jours et où ils ont réussi à vaincre la méfiance des Français pour toute récupération mercantile. Il fut, un temps, aussi question de films d’animation, mais le projet semble -provisoirement?- en panne.
Il faut dire que l’idée était géniale: prôner la différence et le respect de l’autre à travers un héros si drôle, si fantaisiste et esthétiquement si abouti est une prouesse qui mérite les nombreux prix que la série a remportés. Le bonheur du déguisement qui dépasse l’âge d’enfance, la fraîcheur d’une arlequinade dont le patchwork doit beaucoup à Paul Klee mais aussi, peut-être, un peu, aux kilts de sa chère Ecosse, la poésie d’une jungle d’opérette qui rajeunit le douanier Rousseau, la truculence et la bonhomie de comparses éminemment sympathiques, l’invention toujours renouvelée des situations, expliquent un succès qui n’est pas près de se démentir.
Quand on demande à David McKee ce qu’ il pense de son surnom de « papa d’Elmer », il est ravi: Elmer fut son bébé, et en père débonnaire – et exemplaire!- , il a généreusement accepté qu’il grandisse, le dépasse, lui échappe et vive d’une vie autonome qu’il ne contrôle plus, se réjouissant des spectacles scolaires et des diverses manipulations pédagogiques qu’il a inspirés.
Succès amplement mérité: une morale joyeuse, chaleureuse, une psychologie optimiste, un hédonisme contagieux baignent une série qui, pourtant, sous l’apparente légèreté et la fantaisie , ose aborder des sujets graves ou délicats.
Ainsi de Elmer et Papi Eldo : à une époque où le vieillissement de la population pousse à s’interroger sur la dépendance et les maux de ceux que le politiquement correct appelle pudiquement « les aînés », David McKee nous raconte la visite d’Elmer à son grand-père, leur bonheur d’être ensemble, l’évocation de chers souvenirs et l’inquiétude du petit-fils devant la menace de l’amnésie sénile.
Le tout avec tact, bonne humeur et affection.
Car on trouve chez Elmer des qualités éminemment sympathiques: d’abord, le refus de se prendre au sérieux, le rejet du solennel, de la routine, des contraintes prosaïques de l’emploi du temps: David ne se vante-t-il pas d’avoir choisi son métier « pour être en vacances toute l’année »?
Et cela allié à un humour très « british », au goût de la farce, de la supercherie, de l’indépendance, à un esprit quasi libertaire, au plaisir de contredire, de rire de tout, au bonheur de vivre ensemble, de s’entr’aider, de s’aimer, d’oser manifester sa tendresse et son besoin d’amour, à une générosité jamais prise en défaut, à la condamnation souriante des racismes et des exclusions de toute sorte..
Quel a donc été le parcours de cet auteur-illustrateur aussi imaginatif que généreux?
Né en 1935 dans le Devon, il étudia au Plymouth College of Art où il s’est forgé ses armes professionnelles si efficaces. Admirateur de Steinberg et de André François, il a d’abord travaillé le dessin de presse, d’humour et la caricature, au magazine Punch en particulier, en même temps qu’il commençait une carrière de peintre.
Ce n’est qu’en 1964 que David McKee publie Two can Toucan, son premier livre pour enfants chez Ablard-Schumann, sous la houlette de Klaus Flügge, puis, la même année, un titre en noir et blanc, Bronto’s Wings, chez Dobson.
De très nombreux titres suivront, pour la plupart chez Andersen Press, où David McKee a suivi Klaus Flügge, sa carrière d’auteur-illustrateur (il écrit lui-même ses textes) devant aussi sa réussite à l’étroite connivence qui le lie à cet éditeur d’exception.
Les longues séries des Roi Rollo (diffusés dans 60 pays!) et des Mr Benn, ont rencontré un succès sans précédent, en Grande Bretagne surtout, et les parents d’aujourd’hui transmettent à leurs enfants cet engouement de leur jeunesse. Elles ont donné naissance à de nombreux films d’animation créés avec la complicité de Clive Juster et Leo Nielsen.
En France, la vogue d’ Elmer a en partie occulté l’intérêt irrécusable de ces autres titres. L’humour des situations quotidiennes y est hilarant: les querelles de voisinage de Madame Legris, les problèmes de latéralisation du roi Rollo et de ses chaussettes neuves, les flatulences (Encore toi, Isabelle!) ou le hoquet ( Zèbre a le hoquet) , le rejet de la dictature de l’heure (Le car scolaire passe à cinq heures) ou des embouteillages (Le secret de Marie), l’esprit de contradiction (Bébé futé), l’aveuglement des baby-sitters (Le monstre et le nounours)…Tout peut prêter à rire ou à sourire.
Les désordres de l’actualité politique sont transcendés par un pacifisme à tout crin (Blancs et noirs, Six Men ou Les Conquérants) et le pouvoir et la violence aveugle ne résistent pas à l’astuce et à la ruse (Mr Benn gladiateur).
D’autres albums puisent dans l’émotion de la mémoire personnelle, mais sans pathos: Macaronis raconte un souvenir de Violet, sa mère, récemment disparue.
Et Les flèches bleues, écrites avec son fils Chuck, ne seraient-elles pas une réminiscence encore d’une oeuvre du cher Paul Klee?
Le tout, sans lourdeur didactique, et avec, toujours, des ouvertures optimistes.
Cette drôlerie, cette tendresse, cette joie de vivre, cette inventivité débridée, sont aussi présentes, à côté des hommages à Klee, Rousseau ou Matisse, dans les choix esthétiques: perspectives et architectures fantaisistes, paysages aux allures paradisiaques qui s’étalent parfois sur les pages de garde, profusion de détails comiques disséminés dans la page, présence hitchcockienne d’auto-portraits inattendus cachés dans la végétation, caricatures de types humains réjouissants, palette tonique et audacieuse…
David McKee varie les techniques, du crayon de couleur à la plume et aux pinceaux trempés dans l’encre, la gouache, l’aquarelle… L’affiche créée pour notre salon est caractéristique de son art de suggérer une atmosphère et de bâtir à peu de frais un monde succulent de drôlerie: David McKee s’inscrit dans la grande tradition du dessin d’humour anglais qui compte des personnalités exceptionnelles, de John Strickland Goodall ou Ralph Steadman à Tony Ross ou Quentin Blake.
Depuis une dizaine d’années, David McKee est retourné à ses anciennes amours: la peinture, essentiellement au pastel et à l’huile. Il a repris avec talent le chemin des galeries d’art pour de récentes expositions en Italie, à Zurich, à Londres et à Saint Paul de Vence.
C’est un grand bonheur de trouver ici réunis, avec ses images d’ illustrateur, quelques exemples de son oeuvre de peintre, d’apprécier les évidentes parentés qui s’y font écho et d’abolir la frontière que d’aucuns voudraient élever entre le papier des livres d’enfance et la toile des tableaux .
« Quand je crée, dit David McKee, j’ai en tête l’adulte que l’enfant deviendra et la part d’enfance qui demeure en tout adulte. »
C’est aussi un très rare privilège de pouvoir accueillir ici son sourire à toute épreuve et le pétillement de ses yeux bleus: discret voire secret, David McKee rencontre rarement son public.
Alors, merci, cher David, de nous faire le cadeau de ta présence!
Une exposition qui a eu lieu à Centre Yves Montand, Ribécourt Dreslincourt
du 04/11/2002 au 06/11/2002