L'extrême Orient dans l'album illustré
© Frédéric Clément, 1998
Extraits du catalogue
Est-il besoin d’évoquer la légendaire découverte de Cipangu-la-couverte-d’or par Marco Polo, la fougueuse et fructueuse épopée lusitanienne dans les mers de Chine, les regards éblouis des premiers Français investissant les comptoirs de l’Inde aux mille dieux, la patiente et attentive approche des paysages et des villages tibétains par Alexandra David-Neel, les souvenirs érotiques si souverainement littéraires de l’Indochinoise Marguerite Duras ?
L’Extrême-Orient, étrange et fastueux, a de tout temps fasciné notre Occident.
Quoi de plus naturel alors que l’album illustré, et aussi le livre de jeunesse, s’éclairassent des lueurs de ces lointains et dérangeants “ Soleils levants ”? Consacrer une exposition à ces images était particulièrement excitant. Les livres sont fort nombreux , souvent de grande qualité, et ils s’intéressent aux aspects les plus divers de l’histoire, des arts, de la civilisation, des mythologies à la fois de Chine, du Japon, de Corée, du Vietnam, de l’Inde, du Tibet… Les auteurs en sont pour la plupart Français, et leurs œuvres sont parfois nourries de souvenirs de voyages et, partant, de croquis faits sur le vif, souvent de lectures, mais, finalement, surtout de rêves, même si ces expressions oniriques sont étayées par de solides documentations. D’autres artistes prêteurs ont des origines asiatiques plus ou moins anciennes, mais vivent en France ou en Belgique. Ainsi Chen Dehong, Chen Jiang Hong, Sophie, Johanna Kang, Marcellino Truong… Tendres ou douloureuses sont alors les évocations de leurs racines. Mais que leurs “ soleils levants ” soient vécus ou inventés, ils témoignent, tous, d’une forte implication personnelle : le sujet, profondément, les habite. Aussi les journées que j’ai passées avec Marie-Thérèse Devèze, directrice de l’Art à la Page, à collecter, classer, trier…et, hélas ! éliminer, faute de place, les originaux de ces œuvres, ont été passionnantes.
Frédéric Clément, faisant suite à Yvan Pommaux, Claude Boujon, Alain Gauthier et Georges Lemoine, ayant créé et avec quelle poésie imaginative ! notre affiche, il allait de soi qu’une partie de l’exposition lui serait consacrée, d’autant que la Chine et le Japon occupent une grande place dans son univers esthétique. Une longue décennie sépare le premier livre présenté des publications contemporaines et il est particulièrement intéressant de mesurer tout le chemin parcouru, et dans les techniques de plus en plus sophistiquées, et dans l’inspiration qui gagne, à chaque titre, en profondeur et subtilité. Il est évident que, Les belles endormies de Kawabata, l’un des grands textes de la littérature japonaise, s’adresse à un lectorat adulte et Museum, inédit à ce jour, dépasse les limites du public adolescent. C’est, en fait, le cas de nombreuses autres œuvres exposées car, si leur charge émotionnelle est d’une évidence universelle et leur beauté accessible à de jeunes yeux, leurs références culturelles sont souvent assez ardues, voire élitistes.
La seconde partie de l’exposition est consacrée aux mythes, contes et légendes du Japon, de Chine, du Vietnam, de l’Inde et du Tibet et on ne sera pas surpris de trouver ici l’inévitable Yéti et, traditionnelle depuis Hergé, sa chaleureuse part d’humanité. La drôlerie de Claude Boujon voisine avec la poésie de François Place et les vastitudes inspirées de Jacqueline Delaunay. Mette Ivers met son classicisme délicat au service de divers contes, côtoyant la naïveté de Danièle Bour, l’élégance racée de Kelek et l’humour d’une Claire Forgeot dans ses très prometteurs débuts. Des aquarelles (Isabelle Forestier, Laurent Corvoisier), des collages (Laura Rosano), des encres, au pinceau ou à la plume (Laurent Berman), de la gouache…, chaque artiste s’exprime avec le talent et les techniques qui lui sont propres. Une très grande diversité de styles caractérise cette section fondamentale dans l’exposition, puisqu’elle présente des aspects essentiels de la pensée, en Inde en particulier, avec les illustrations du Ramayana (Christine Lesueur), de la légende de Ganesh (Gérard Franquin) ou de la vie de Bouddha (Cosey, Dominique Thibault).
Très belle est la sélection consacrée aux arts traditionnels. Etonnantes calligraphies de Chen Dehong ou de Soryu Uesugi, encres sur papier de riz de Chen Jiang Hong, fantaisie porcelanée de Gaetan Evrard, appropriations parodiques de peintures, de gravures en particulier d’Ukiyoé, d’Anne Buguet, de François Place, de Michelle Nikly ou de Thierry Dedieu, bouleversants visages et précieuses efforescences de Georges Lemoine, largement représenté dans toute l’exposition par des prêts témoignant de l’intimité de cet artiste élégant avec les univers chinois et japonais.
La quatrième partie de l’exposition est sans doute la plus vivante. D’abord, parce qu’elle présente des scènes émouvantes (Michelle Daufresne, Jennifer Dalrymphe) ou violentes ou d’une cruauté raffinée (Kelek) ou griffées avec un humour dévastateur (Daniel Maja). Ensuite parce qu’elle est enracinée dans un quotidien pittoresque (Laurence Quentin, Marcellino Truong). Mais surtout parce qu’elle évoque des événements de l’histoire récente qui ont bouleversé la planète. Ainsi en est-il de l’exemplaire aventure de Gandhi (Nicolas Wintz), de la tragédie des boat-people (Sophie, Noëlle Herrenschmidt) de l’exil des Tibétains (Elsie de Saint Chamas) ou encore des catastrophes naturelles (Christophe Blain). Quant aux atroces conséquences de la bombe d’Hiroshima, elles ont inspiré des sensibilités aussi différentes que celles de Georges Lemoine, de Kelek et de Martine Delerm. Enfin, le clin d’œil humoristique aux immigrés de notre capitale avec le périple parisien du chat de May Angeli dessine un contre-point quelque peu souriant à des images souvent déchirantes.
Un grand merci à Brigitte Braillon, dynamique conservateur en chef de la Bibliothèque départementale de l’Oise, et à son équipe qui nous ont, comme chaque année, aussi chaleureusement qu’efficacement aidés et accueillis à Beauvais, et à Marie-Odile Wurtz qui, avec ses collaborateurs senlisiens, nous ouvre largement ses portes pour la deuxième fois.
Mon amicale gratitude à Françoise Bouchet et Marie-Thérèse Devèze, mes gracieuses complices de l’Art à la Page et à Frédéric Clément pour les multiples petits bonheurs qui ont émaillé nos séances de travail.
Nos remerciements, bien sûr aux artistes et collectionneurs qui se sont aimablement séparés de leurs œuvres, à nos traditionnels généreux parrains, Le Conseil général de l’Oise et la Direction régionale des Affaires culturelles, et à la Direction de l’Institut universitaire de formation des maîtres qui a constamment encouragé cette initiative ambitieuse.
Et puisqu’après Sage comme une image ? L’autre… et moi, Merveilleuses merveilles et Mariolettes, nous inaugurons notre cinquième exposition thématique et que l’enthousiasme général ne faiblit toujours pas, commençons d’ores et déjà à rêver à Lire en fête 1999 !
Janine Kotwica
Commissaire de l’exposition
Plan de l’exposition
- I- Les “ soleils levants ” de Frédéric Clément
- II- Mythes, contes et légendes.
- III- Arts traditionnels
- IV- Histoire et vie quotidienne
Une exposition qui a eu lieu à Bibliothèque départementale de l'Oise, Beauvais
du 07/01/1998 au 03/02/1998