
Le Continent noir dans le livre illustré
© Laura Rosano,1999
Extraits du catalogue
« .. mes réactions d’Européen à ce que l’Afrique tropicale m’avait montré de ses splendeurs et de ses misères… »
Michel Leiris L’Afrique fantôme Gallimard, 1934
Pour célébrer Lire en fête 1999, l’exposition désormais traditionnelle d’originaux d’illustrations emmène ses visiteurs en Afrique, à travers la vision d’artistes européens ou africains vivant en Europe. C’est donc le monde noir représenté par notre vieux continent, avec ses stéréotypes, ses images d’Epinal, ses rêves d’exotisme mais aussi ,pour certains illustrateurs, la peinture d’une Afrique moins idéalisée, blessée par les difficultés sociales et par un héritage historique douloureux souvent mal assumé, qui sera offert à la contemplation des visiteurs.
Le contact avec les originaux est irremplaçable. Même lorsque l’édition est soignée – ce qui n’est, hélas! pas toujours le cas-seul l’original permet d’apprécier les techniques employées ( acrylique, aquarelle, pastel, gouache, gravure, crayon, encres,.collages ,carte à gratter,,..,) et la virtuosité des créateurs. L’image existe pour elle-même, hors du contexte narratif qui est à l’origine de sa naissance et l’émotion qui naît de la confrontation directe avec l’œuvre en est démultipliée…
Œuvres de May Angeli, , Pierrick Bisinski, Pascale Bougeault, Jean Claverie, Laurent Corvaisier, Jennifer Dalrymple, Michelle Daufresne, Martine Delerm, Thierry Dedieu, Isabelle Forestier, Henri Galeron, Letizia Galli, Alain Gauthier, Alex Godard, Georg Hallensleben, Satomi Ichikawa, Joëlle Jolivet, Louis Joos, Christian Kangué-Epanyia, Kelek, Lionel Koecklin, David Mac Kee,, Daniel Maja, Jörg Müller, Dominique Mwankumi, Jean-Michel Nicollet, Emmanuel Pierre, François Place, Laurence Quentin, Bénédicte Quinet, François Roca, Laura Rosano (créatrice de l’affiche), Zad & Didier Jean, Zaü
L’exposition se divise en cinq parties:
1: Enfances
-Femme africaine, ô toi, ma mère…
-Initiation
2: Jungles et savanes
3: Contes et légendes
-L’univers des griots
-Conteurs d’Europe
4: Histoire
-L’aventure des explorateurs
-Coke en stock
-Arts traditionnels
5: Société
-Vie quotidienne
-Immigration et déracinement
-Négritude
1 Enfances
-Femme africaine, ô toi ma mère…
« L’homme, dit-on chez nous, n’est qu’un semeur distrait, alors que la mère est considérée comme l’atelier divin où le créateur travaille directement, sans intermédiaire, pour former et mener à maturité une vie nouvelle.C’est pourquoi en Afrique, la mère est respectée presque à l’égal d’une divinité. »
Amadou Hampâté Bâ Amkoulell l’enfant peul Actes sud, 1991
Femme noire, femme africaine
O toi ma mère, je pense à toi…
O Dâman, ô ma mère, toi qui me portas sur le dos
Toi qui m’allaitas, toi qui favorisas mes premiers pas
toi qui la première m’ouvris les yeux aux prodiges de la terre,
je pense à toi…
Femme des champs, femme des rivières
femme du grand fleuve, ô toi ma mère
…
Femme simple, femme de la résignation
ô toi ma mère, je pense à toi…
…
Femme noire, femme africaine
ô toi ma mère, merci;
merci pour tout ce que tu fis pour moi,
ton fils, si loin si près de toi!
Camara Laye L’enfant noir « Liminaire » Plon, 1953
-Initiation
« Je n’étais pas sans crainte devant ce passage de l’enfance à l’âge d’homme, j’étais à vrai dire très angoissé, et mes compagnons d’épreuve ne l’étaient pas moins…Mais quelle que soit l’angoisse et quelle que soit la certitude de la souffrance, personne pourtant ne songerait à se dérober à l’épreuve… et pour ma part, je n’y songeais aucunement: je voulais naître, renaître! Je savais parfaitement que je souffrirais, mais je voulais être un homme, et il ne me semblait pas que rien fût trop pénible pour accéder au rang d’homme. »
Camara Laye L’enfant noir Plon, 1953
2: Jungles et savanes
« De larges étendues jusqu’au-delà des montagnes. Des forêts denses, grouillantes d’ombres étranges. Des arbres géants qui étouffent le soleil…une vie qui foisonne d’espèces innombrables: le lion y règne,près des clairières où paissent des troupeaux d’éléphants couleur de cendres.
Afrique des sables et des savanes. Afrique des baobabs et des marigots. Clichés…Exotisme…si l’Afrique m’était contée..
Les premières images de l’Afrique sont d’abord celles des animaux du monde. Entre deux déserts srériles où les ardeurs du soleil se disputent à l’infini les sables et les dunes: une terre variée, multicolore, depuis les oasis barbaresques de Gao jusqu’aux neiges du Kilimandjaro.Images de’Afrique,images de Ouagadougou. Images d’Epinal, hélas! Cette Afrique-là est un conte sur les eaux bleues du Tanganyika.Afrique des rêves, des aventures et … des chansons: Je suis amoureuse d’une terre sauvage. Si l’Afrique m’était chantée… »
Pius Gdandu Nkashama & Bernard Magnier L’Afrique noire en poésie (Préface) Gallimard, 1986 (Folio Jr)
3: Contes et légendes
-L’univers des griots
« Danfo Siné se déplaçait à travers la pays avec un groupe de néophytes, qu’il formait. A Bougouni, il donnait presque chaque soir une séance de chants et de danses; s’il s’exhibait ainsi, ce n’était pas seulement pour distraire la population et moins encore pour en tirer profit, car rien de ce qu’il faisait n’était à proprement parler profane. Ses danses étaient rituelles, ses chants souvent inspirés, et ses séances toujours riches d’enseignements.
Musicien virtuose, il faisait tout ce qu’il voulait de ses mains, mais aussi de sa voix….Je ne connais pas un cri d’animal ni un son d’instrument de musique qu’il pouvait imiter.Et quand il dansait, c’était à rendre jaloux Monsieur Autruche lui-même, roi des danseurs de la brousse quand il fait la cour à sa belle. .. »
Amadou Hampâté Bâ Amkoulell l’enfant peul Actes sud, 1991
-Conteurs d’Europe
Conte, conté, à conter…
Es-tu véridique?
Pour les bambins qui s’ébattent au clair de lune, mon conte est une histoire fantastique.
Pour les fileuses de coton pendant les longues de la saison froide, mon récit est un passe-temps délectable.
Pour les mentons velus et les talons rugueux, c’est une véritable révélation.
Je suis donc à la fois futile, utile et instructeur.
Déroule le donc pour nous.
Amadou Hampâté Bâ Kaydara Nouvelles éditions africaines, 1978
4 Histoire
-L’aventure des explorateurs
« Des toasts nombreux furent portés avec las vins de France aux célèbres voyageurs qui s’étaient illustrés sur la terre d’Afrique. On but à leur santé ou à leur mémoire, et par ordre alphabétique, ce qui est très anglais: à Abbadie, Adams, Adamson, Anderson, Arnaud, Baikie, Baldwin, Barth, Batouda, Beke, Beltrame, du Berba, Bimbachi, Bolognesi, Bolwik, Bolzoni, Bonnemain, Brisson, Browne, Bruce, Brun-Rollet, Burchell, Burckhardt, Burton Caillaud, Caillé, Campbell, Chapman, Clapperton, Cot-Bey, Colomieu, Courval, Cumming, Cuny, Debono, Deckeu, Denham, Desavanchers, Dicksen, Dickson, Dochard, Duchaillu, Duncan, Durand, Duroulé, Duverrier, Erhardt, d’Escayrac de Lauture, Ferret, Fresnel, Galinier, Galton Geoffroy, Godberry, Hahn, Halm, Harnier, Hecquart, Heuglin, Hornemann, Houghton, Imbert, Kaufmann, Knoblecher, Krapf, Kummer, Lafargue, Laing, Lajaille, Lambert, Lamiral, Lamprière, John Lander, Richard Lander, Lefebvre, Lejean, Levaillant, Livingstone, Maccarthie, Maggiar, Maizan,Malzac, Moffat, Mollien, Monteiro, Morrisson, Mungo-Parc, Neimans, Overwey, Panet, Partarrieau, Pascal, Pearse, Peddie, Peney, Petherick, Poncet, Prax, Raffenel, Rath, Rebmann, Richardson, Riley, Ritchie, Rochet d’Héricourt, Rongawi, Roscher, Ruppel, Saugnier, Speke, Steidner, Thibaud, Thompson, Thornton, Toole, Tousny, Trotter, Tuckey, Tyrwitt, Vaudey, Veissière, Vincent, Vinco, Vogel, Wahlberg, Warington, Washington, Werne, Wild, et enfin au docteur Samuel Fergusson qui, par son incroyable tentative, devait relier les travaux de ces voyageurs et compléter la série des découvertes africaines. »
Jules Verne Cinq semaines en ballon (Voyage de découverte en Afrique par trois anglais)
Hetzel, 18
-Coke en stock
Afrique, Afrique, Afrique
grande terre, verte et ensoleillée
qui envoyas les esclaves noirs
en longues files de mâts
Combien tragique fut la boussole
qui guida notre route…
Combien amères furent les dattes
que notre bouche rencontra
Toujours les fouets déchirèrent
notre dos de cascal
Pourtant de nos mains agiles
nous jouons guaza et bongo
Leurs sons barbares secouent
les blancs, ceux d’aujourd’hui
inondés par le sang chaud de de la race de couleur,
car, l’âme africaine,
qui arriva enchaînée
donna cannelle et flamme
à cette terre d’Amérique.
Adalberto Ortiz Contribution Casa de la cultura ecuatoriana, 1953
Arts traditionnels
« L’Afrique… ne connait pour ainsi dire pas d' »objet d’art » de conception occidentale,cet objet dépourvu d’utilité pratique et dont la seule fonction est d’être beau.
Aborder les arts de l’Afrique sous l’angle exclusivement esthétique aboutit à les priver d’une grande partie de leur signification, de leur poids d’humanité…Pour sentir toute la beauté d’une oeuvre, il faut connaitre sa raison d’être et son but, son sens mythique pour l’Africain qui l’a créée et pour ceux qui l’ont vécue. Faute de quoi on la mutile. »
Laure Mayer Objets africains & Afrique noire Terrail, 1994 & 1991
5 Société
-Les travaux et les jours
« Les villages souahélis…de Muthaïga… entouraient Nairobi d’une banlieue bruyante, en perpétuelle effervescence où les incidents n’attendaient qu’une occasion pour surgir.
Les bidons de pétrole préalablement aplatis et plus ou mois rouillés constituaient l’élément dominant de leur architecture, architecture qui est entrée dans l’histoire au même titre que les récifs de coraux….
La ville somalie était complètement en dehors de Nairobi, ce qui s’explique par le souci des Somalis de maintenir leurs femmes à l’écart du monde….Les maisons somalies semblent posées au hasard pour des campements de fortune destinés à durer au plus une semaine; et l’on était toujours surpris de l’ordre qui régnait dans ces maisons aux beaux tapis anciens, toutes parfumées d’encens, de la recherche dont témoignaient leurs plats de cuivre et d’argent et des épées aux belles lames à la garde d’ivoire. »
Karen Blixen La ferme africaine Gallimard, 1942
-Immigration et déracinement
Ancêtres qui m’écoutez
Invisibles
Prenez en compte
Ma peine
Ma peine profonde:
Mes fils, partis à la dérive,
Connaissent mille misères quotidiennes.
…
Dites-leur que je les attends
Avec tous les souvenirs
…
Dites-leur qu’aucun voyage n’est infructueux
Que leur mère les espère
…
Al’écoute de votre message
Sur l’aile de l’oiseau voyageur
Dès aujourd’hui, je demeure.
Jean-Baptistre Tiémélé Ce monde qui fume Saint-Germain- des-Prés, 1981
Négritude
« … je baissai les yeux vers la terre fraîchement retournée et les mots d’image et de ressemblance revenant avec insistance à mon oreille, je cherchai dans cette glèbe la trace d’un homme….Alors je ramassai une poignée ee terre, et tendant vers le roi ma main ouverte, je lui dis:
–Prononce-toi si tu y consens, Seigneur Balthazar: Cette terre dont Adam fut modelé, est-elle blanche, selon toi?
– Blanche? certes non! s’exclama-t-il avec une franchise qui me fit sourire? Je la trouve plutôt noire, si tu veux mon impression. Encore qu’elle possède à y bien regarder une nuance brun-rouge, et cela me rappelle en effet qu’ Adam cela signifie en hébreu : terre ocre.
Il en avait dit plus qu’il n’en fallait pour me combler. J’approchai la poignée de terre de mon propre visage.
-Noire, brune, ocre, dis-tu. Eh bien regarde et compare! Est-ce que par hasartd le visage d’Adam n’aurait pas été à l’image -sinon à la ressrmblance, car seule la couleur est en cause- du visage de ton cousin, le roi de Méroé?
-Adam nègre? Pourquoi pas? Je n’y songeais pas, mais rien n’interdit de le supposer…
…Et Balthazar, en m’entraînant vers notre grande caravane commune où se mêlaient chevaux et chameaux, formula une question qui pour lui n’était qu’un amusant paradoxe, mais dont la portée pour moi devenait incalculable: -Qui sait, dit-il, si le sens de notre voyage n’est pas dans une exaltation de la négritude? »
Michel Tournier Gaspard, Melchior et Balthazar Gallimard, 1980
Une exposition qui a eu lieu à Bibliothèque départementale de l'Oise, Beauvais
du 04/10/1999 au 28/10/1999