© Succession André François, 2011
Extrait du catalogue
Le Centre André François
Au cours de l’année 2011 sera inauguré, à Margny-lès-Compiègne le Centre André François.
Ce Centre Régional de Ressources sur l’Album et l’Illustration aura pour vocation de conserver, faire vivre et mieux connaître, sur le territoire, le livre illustré. Son public sera majoritairement composé de professionnels du livre, des bibliothèques, de l’enseignement et de la petite enfance, mais aussi d’étudiants et de chercheurs venus consulter ses collections ou participer à des journées de formation.
Le grand public et les enfants ne sont bien sûr pas oubliés. Des expositions et des ateliers seront ouverts à tous gratuitement, en particulier lors des résidences d’artistes qu’il organisera régulièrement,
L’établissement s’honore de porter le nom d’André François, avec l’accord de sa femme Marguerite (†) et de ses enfants Pierre et Katherine. Qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés.
Ce Centre André François aura la mission de rendre plus lisible l’oeuvre de ce géant des arts au talent exceptionnel. Il présentera des expositions, rencontres, conférences et journées de formation consacrées à cet artiste phare du XXème siècle dont il conservera prioritairement les œuvres sur papier.
Après le dramatique incendie de son atelier en 2002, cette collecte institutionnelle revêt un caractère d’urgence.
Du samedi 16 avril au samedi 14 mai 2011,. l’exposition André François, Premières acquisitions présente, en avant-première de l’ouverture du Centre de ressources, les prémisses des collections d’estampes, d’affiches mais aussi de livres d’artistes, dessins de presse, livres illustrés et documents divers.que le Centre a d’ores et déjà rassemblées., grâce à des achats, mais aussi à quelques généreux premiers dons.
André François fut aimé et admiré, ô combien.
En témoignent ici les écrits de quelques grands professionnels du monde du livre et des arts, éditeurs, écrivains, graveur, galeristes, illustrateurs, conservateurs de musées et de bibliothèques, libraire, à jamais bouleversés par leur rencontre lumineuse avec un artiste au rare charisme..
On ne saurait rêver plus rayonnant parrainage pour une maison dédiée aux arts graphiques.
André François, biographie
Le vendredi 15 avril 2005, dans un petit cimetière ensoleillé du Vexin, une pluie de fleurs de cerisier recouvrait le cercueil d’André François, décédé quatre jours plus tôt.
Né André Farkas en 1915, au Banat, dans une province de l’empire austro-hongrois qui deviendra la Roumanie, cet artiste naturalisé français, mondialement connu, fut l’un des grands noms des arts graphiques du XXème siècle.
Illustrateur de livres pour enfants parus surtout aux Etats-Unis et en France,, il a créé, il y a près d’un demi-siècle, quelques titres inoubliables, dont Little Boy Brown, puis Les larmes de crocodile, On vous l’a dit et Tom et Tabby édités par son complice Robert Delpire qui fut aussi son agent pour la pub et, en collaboration avec Jacques Prévert, à la NRF, Lettre des îles Baladar, balayant , d’un coup de crayon et de plume malicieux, audacieux et libérateur, les mièvreries, les conventions ou les contraintes pédagogiques alors souvent attachées à ce genre.
Parallèlement, dès le début des années 50, il dessine, pour la presse adulte américaine, des croquis farfelus, d’un humour tendre, candide et joyeux, qui seront réunis en de savoureux recueils dont l’irrésistible drôlerie n’a pas pris une ride, ainsi Double Bedside Book ,The Tattooed Sailor ou The Half Naked Knight. édités aussi à Zurich (Heikle Themen).
La célébrité, il l’acquiert avec ses affiches, publicitaires (Citroën, Kodak, Gillette, Dop…), cinématographiques (Le soupirant, YoYo, Le Pays de cocagne, films de son ami Pierre Etaix) ou culturelles (İles au Centre Pompidou, exposition du Musée des Arts décoratifs) et par ses nombreuses couvertures de magazines (The New Yorker, Graphis, Punch…) dont certaines ont fait date dans l’histoire du graphisme. Sa renommée s’est étendue jusqu’au Japon où il fut exposé en 1995.
Il collabora avec de nombreux journaux, Paris Match (Le Président Directeur Général), Le Matin de Paris, The Observer, Le Monde (Animots), Le Nouvel Observateur (Les moutons et escargots à lunettes) ou Télérama : « Ne ciné-ronflez plus, lisez Télérama… »
La grande rétrospective de 2003 à la Bibliothèque Forney a permis de prendre la mesure de l’importance considérable de son œuvre sur papier.
Son trait garde au fil des années son aisance souveraine, mais un arrière-plan philosophique se précise, les sources d’inspiration évoluent, s’approfondissent, s’érotisent, s’assombrissent, démultiplient leurs significations, et il crée désormais des personnages monstrueux, des sirènes voluptueuses, des clowns mélancoliques, et des situations vigoureuses et grinçantes, presque violentes, qui cousinent souvent avec un surréalisme très personnel. Sa connivence avec l’écrivain-éditeur François David ou avec Vincent Pachès, qui l’a introduit à la revue de santé mentale VST dont il est le directeur artistique, est à l’origine de livres forts et parfois dérangeants
D’une créativité, d’une inventivité, d’une lucidité et d’une jeunesse impressionnantes, il fut également peintre, sculpteur et décorateur de théâtre (Ballets de Roland Petit), virtuose dans toutes les techniques : gravures diverses (lithographie, aquaforte, sérigraphie…), dessins à l’encre ou au crayon, au pastel ou au fusain, peintures à l’eau, à l’huile ou acrylique, collages incongrus de toutes sortes de matériaux, vaisselle cassée, bois flottés ou brûlés, ferraille, plomb fondu, objets détournés et mariés, dans des compositions dissonantes ou harmonieuses, avec un humour qui n’exclut ni le sens, ni l’exigence esthétique.
Son atelier et toutes les archives et œuvres qu’il contenait ont été détruits dans un incendie en décembre 2002. Epaulé par sa femme, Margaret, et ses enfants, Pierre et Katherine, après quelques mois d’état de choc, il surmonte cette tragédie et crée de nouveau, à 87 ans, avec une fébrilité juvénile retrouvée, en une forme d’oblation conjuratoire, des œuvres où il a intégré les débris calcinés ou fondus ramassés dans les décombres. Ces chefs d’œuvre crépusculaires et particulièrement chargés d’émotion ont été montrés par Robert Delpire à Beaubourg, au printemps 2004, dans une exposition rédemptrice, L’épreuve du feu, où fut projeté le très beau film qu’il inspira à Sarah Moon.
Son œuvre graphique et plastique a été très présente, à Arles, en 2009, au sein des expositions Delpire & Cie.
Même s’il n’a jamais recherché les honneurs, il reçut à Paris le Grand Prix national d’Arts graphiques, à New York la Médaille d’or de l’Ars Directors Club, il fut membre honoraire du Royal Designers of Industry, et, depuis 1977, Doctor Honoris Causa du Royal Collège of Art de Londres. Il a également présidé un jury d’Arts graphiques au Japon.
Son courage, son talent, son énergie, son intelligence, son imagination, son humour, bref sa personnalité hors du commun, malgré sa modestie et sa robuste simplicité, intimidaient et fascinaient, faisant de lui la «référence» de la plupart de ses confrères.
Souvenirs, souvenirs…
13 octobre 1998 – Paris – Galerie La Hune-Brenner
Les Sirénades d’André François
J’arrive à la Galerie avec Claire Forgeot et Laura Rosano, armée de mon sempiternel appareil-photo. Nous y retrouvons Christiane Abbadie-Clerc, grande admiratrice d’André François.
Il y a là une superbe sirène : fourreau en lamé scintillant et soutien-gorge pigeonnant brodé de coquillages. Elle m’autorise à la photographier avec André François, ravi : il est, malgré son grand âge, très sensible au(x) charme(s) féminin(s) ! Mon cliché ne sera pas à la hauteur de la circonstance.
C’est la première fois que j’ose aborder et photographier le Maître, qui m’intimide énormément.
Je l’avais croisé dans des galeries, mais n’avais osé l’approcher. C’est cette sirène parisienne à lunettes noires qui, par sa présence poétique et incongrue, m’en a donné le courage.
D’autres très nombreuses photos suivront dans les années à venir. André François se laissait faire avec une patience amusée.
J’avais apporté ce jour-là, pour dédicace, un album de 1949, C’est arrivé à Issy les Brioches. André François, hilare, appelle à la cantonade Robert Delpire et ses amis présents pour leur montrer cette relique et c’est ainsi que je fais la connaissance de Pierre Etaix et de Vincent Pachès. Photos, bien sûr, et quelques jours plus tard, une première carte d’André François pour me remercier de mon envoi : une vue de son atelier, historique désormais, maintenant que tout a brûlé…
D’autres courriers suivront, puis, jusqu’alors inespérées, des invitations à Grisy, et l’amitié s’ajoutera vite à l’admiration.
2 février 1999 – Paris – L’art à la page
Exposition Quentin Blake : La Vie des Bêtes
L’inauguration réunit les habitués de la galerie: la famille Maja, Frédéric Clément, Gerda Muller, Michelle Daufresne, Jacqueline Delaunay, Philippe Davaine, Nicole Maymat, Sara, mais aussi de vieux complices de Quentin Blake, dont Robert Delpire, et André François qui le connaissait depuis ses années Punch. Un événement !
5 avril 2001- Galerie Lefor-Openo
Premières photos de Marguerite au cours d’une visite express de l’exposition à la fin d’une éprouvante tournée d’ateliers, et avant un petit dîner à La Mule du Pape, place des Vosges, avec Marie-Thérèse Devèze, directrice de l’Art à la page, son mari et sa fille.
18 mars 2003 – Grisy les Plâtres
Le hasard a voulu que ma visite coïncide avec le premier jour de beau temps depuis l’incendie de l’atelier une triste nuit de décembre 2002. André, Marguerite et leur fille Katherine profitent du soleil pour soulever les bâches qui protégeaient les décombres et découvrent l’étendue du désastre : en plus de ceux du feu, les dégâts causés par l’eau des pompiers !
La scène est bouleversante. On ramasse ces vestiges avec soin, on les empile quand ils sont secs, on les étale au soleil quand ils sont mouillés, on les décolle avec peine quand ils sont agglomérés…Et tout cela avec une apparente sérénité, en s’extasiant sur le moindre bout de papier rescapé, en évoquant les souvenirs liés à une affiche, un dessin, un livre….Les flammes se sont parfois contentées de lécher le tour de la feuille et là aussi, c’est un soulagement : ainsi en est-il de la célèbre affiche au papillon de L’Ecole des loisirs.
Et tout cela dans un jardin merveilleux, éclairé des généreuses floraisons printanières, de tulipes, primevères, narcisses, et d’un somptueux magnolia.
Quelques photos, dont une très belle, d’André contre un tronc d’arbre…
Thé et tarte aux pommes à la cannelle : malgré la fébrilité du sauvetage des dessins, j’étais bel et bien attendue. Un accueil affectueux qui me touche infiniment.
Nous visitons la maison pleines d’objets d’art populaire et de jouets, et j’admire les peintures en trompe-l’œil qui déguisent les murs. Dans l’ancien atelier récemment réinvesti, je découvre les œuvres créées depuis le sinistre: l’inspiration du Maître est intacte!
J’ai peine à contenir mon émotion devant tant de courage et de dignité. Lorsque je m’ assieds enfin dans ma voiture, j’éclate en sanglots.
9 mai 2003 – Grisy les Plâtres
Toujours le même accueil simple et chaleureux. André a énormément travaillé durant ces deux mois et me fait découvrir ses trésors. Peintures, collages pleins d’humour et quelques recyclages troublants des éléments brûlés de son atelier. C’est une renaissance qui me va droit au cœur.
J’offre à André quelques exemplaires de Lettre des îles Baladar que j’ai eu la chance de trouver à Paris. Il me raconte un différend qui l’a opposé à Catherine Tasca et me griffonne l’objet du scandale, une Eve et son serpent entortillé autour de la Tour Eiffel, sujet d’une affiche dont Madame la Ministre interdira la diffusion. Il me tend ce gribouillis après l’avoir malicieusement signé et m’offre livres et affiches retrouvés dans son grenier.
Photos diverses, bien sûr, dont deux photos de couple devant la maison.
23 juillet 2003 – Grisy les Plâtres
Très belle journée ensoleillée.
Marguerite, toujours très british, m’accueille avec du thé, des brioches et de la confiture maison.
Elle est très fière de me présenter le chaton que ses petits enfants lui ont offert pour son anniversaire.
Le jardin est toujours aussi beau, très fleuri.
André est pressé de m’entraîner dans son vieil atelier et je comprends vite pourquoi : il a travaillé, beaucoup travaillé, et il jubile de montrer ses œuvres. Des peintures de paysages, très paisibles, des collages de vaisselle cassée, très amusantes, et, très émouvantes, certaines créations à partir des vestiges fondus ou brûlés ramassés dans les décombres du grand atelier.
Il m’entraîne dans les greniers et je découvre, parmi les pots de confiture de Marguerite, des monceaux d’affiches prêtes pour Forney et quelques toiles qui m’enchantent.
Une véritable résurrection, quelques mois à peine après la tragédie.
Quelle vitalité : je suis éblouie.
Deux beaux clichés : André auprès de mon bouquet de lilas de mer et , dans l’embrasure de la porte, une photo de couple.
22 septembre 2003- Bibliothèque Forney
André François, affiches et graphisme à Forney
Avec Roland , mon mari, qui rencontre pour la première fois André et Marguerite.
C’est la «journée sans voitures» à Paris. Horreur. Nous tentons de passer quand même avec la nôtre. Au premier barrage, j’exhibe le carton que m’avait envoyé André: c’est Bertrand Delanoé qui invite et le nom de Monsieur le Maire suffit à impressionner la maréchaussée. Nous traversons royalement un Paris vide de circulation : le pied !
L’exposition, un peu fouillis, est d’une grande richesse. C’est fou ce que cet homme-là a pu créer dans tous les domaines de l’affiche. Et je frémis à l’idée que tout cela aurait pu être resté dans l’atelier lors de l’incendie, bénissant la commissaire qui a préservé tous ces trésors!
Nous retrouvons Vincent Pachès, Pierre Etaix que je photographie devant l’affiche de son merveilleux Yoyo, et Jean Claude Carrière, et Léo Kouper, et Alain Gautier, et Denis Pouppeville, et Stasys Eidrigevicius avec qui nous terminerons la soirée. Il était venu saluer le président du jury qui lui avait décerné à Tokyo, un grand prix de l’affiche.
Quelques photos de famille encore, en particulier de Marguerite, de Violette, sœur d’André, et d’une de leus petites filles, Sarah.
Nous visitons avec Stasys sa galerie rue de «Tourrrenne» et y sommes rejoints par Pierre Etaix qui passait par là. J’achète quelques affiches de Stasys dont j’admire l’univers.
Restau. Des difficultés pour payer car on n’y accepte pas les cartes de crédit.
17 mars 2004 – Centre Georges Pompidou
André François, l’épreuve du feu
Roland et moi retrouvons à Beaubourg, un couple de neveux avec leur fille âgée de un mois à peine. André et Marguerite craquent devant ce ravissant bébé.
L’exposition est bouleversante. Je retrouve beaucoup d’œuvres que j’avais admirées lors de mes visites à l’atelier. Une création aussi prolifique, aussi jeune, en si peu de temps, c’est vraîment hors du commun. Je suis très émue par le film, très inspiré, de Sarah Moon.
Nous rencontrons, bien sûr, Vincent et Anne Pachès, et aussi Pierre Etaix et Caroline Corre.
Tout le clan Farkas est là, et aussi Bernard Haller et Jean Daniel : le Nouvel Obs a, en partie, financé cette expo montée par Bob Delpire qui a réédité, pour l’occasion, Les larmes de Crocodile. Quelle bonne idée! André, toujours généreux, signe interminablement ses livres.
Restau chinois où nous re-rencontrons Bernard Haller et Pierre Etaix.
Barrage de police au retour à La Roue Qui Tourne. Roland souffle dans le ballon. No problem : il n’y avait rien à boire à Beaubourg !
23 mars 2004 – Grisy Les Plâtres
Le magnolia est en fleurs : une splendeur.
J’ai rapporté une tarte aux pommes et des pots de confiture qui sont appréciés. André et Marguerite sont encore sous le choc de l’expo de Beaubourg et semblent épuisés.
Pas de visite d’atelier : trop fatigant.
J’annonce à André que je pourrai exposer son hommage en décembre 2005. Avec un œil pétillant de malice, il m’esquisse trois cercueils dans une vitrine de pompes funèbre qu’il aurait vue en Belgique, un grand, un moyen et un petit et, montrant le plus grand, il me dit : « Vous verrez, vous me taillerez un posthume sur mesure !» Je n’ose emporter ce gribouillis et je m’en veux encore de ma timidité.
Tout André François était dans cette dérision macabre. Marguerite proteste, avec son accent inimitable, qu’il ne va pas mourir si vte.
Tous deux posent devant la maison pour d’ultimes photos.
Lundi 11 avril 2005 – La Porte Moneau
Nous sommes rentrés, tard dans la soirée, de Tunisie où j’étais en mission.
André François était mort dans l’après-midi.
Je ne l’apprends que mardi de Daniel Maja qui a lu la nécrologie du Monde.
Je suis très triste et pense à l’exposition qu’il ne verra pas : sa prédiction s’est réalisée.
Elle s’appellera donc Un Posthume sur mesure. Un souvenir des improbables calembours d’André.
Mardi 12 après-midi– La Porte Moneau
Coup de fil à Vincent Pachès. Il avait revu André qui était sous morphine depuis quelques jours mais qui a su esquisser un sourire pour lui quand Vincent lui a fait ses adieux. Les obsèques auront lieu vendredi à Grisy à 15 heures. Levée du corps à 14 h 30.
Jeudi 14 avril 2005 – 10 h – La Porte Moneau
Marguerite me téléphone longuement et me raconte ses derniers instants. Elle caressait sa main et puis elle a «senti qu’il «n’était plus là». Elle me rappelle qu’elle a été mariée à André durant 66 ans. Elle avait vainement tenté de nous appeler la semaine précédente durant notre escapade tunisienne mais n’a pas laissé de message sur notre répondeur : je ne l’aurai donc pas revu vivant.
Je suis très touchée qu’elle ait pris la peine de m’appeler.
Vendredi 15 avril après-midi – Grisy les Plâtres
Pluie sur la route, soleil joyeux à l’arrivée.
Roland, mon mari, m’accompagne et découvre Grisy les Plâtres et le 16 de la rue Robert Machy.
Il est séduit par l’esprit des lieux.
Les obsèques d‘André lui ressemblent: simplicité rustique et poétique.
Des branches de fruitier en fleurs ornent la porte d’entrée de la maison. Katherine, sa fille, me prend par la main pour m’emmener dans la chambre mortuaire à gauche en haut de l’escalier aux trompe-l’œil. Son neveu, Thomas Marc, le fils de Violette, prend des photos avec un petit numérique. Il y a là aussi Robert Delpire, l’ami et le complice de toujours, et Marguerite, bien sûr, égale à elle-même, digne et courageuse. C’est vraiment une femme exceptionnelle !
Les amis et la famille attendent dans un jardin printanier. L’atelier est reconstruit mais vide encore, prêt à accueillir l’artiste qui ne s’y installera jamais.
Dans un panier, les fleurs de cerisier qui seront, tout à l’heure, jetées dans sa tombe.
Sur la pelouse, sa dernière grande sculpture qu’il avait appelée, «La sauteuse à la corde», taillée dans un cerisier mort : vigueur et humour qui redonnent vie.
Tulipes, myosotis, primevères, narcisses, magnolia, fruitiers, tout est en fleurs…
Nous bavardons avec ses voisins, Martine Meunier et Gérard Loison, qui nous racontent que, durant la nuit de l’incendie, Katherine voulait se jeter dans les flammes pour tenter de sauver quelque chose.
Je retrouve l’arbre près duquel j’avais réussi une belle photo d’André, et l’appui de fenêtre et le seuil où il avait posé avec Marguerite.
Le chat a grandi !
Nous suivons tous le corbillard à pied, précédés de Marguerite soutenue par Katherine et Pierre, ses enfants, accompagnés des quatre petits enfants. Il y a là Pierre Etaix, effondré de chagrin, Desclozeaux et sa femme, Anne et Vincent Pachès, Denis Pouppeville avec son sourire déchirant, Jean-Charles Rousseau, beaucoup de gens du village, et des inconnus que je n’ai pu identifier, mais dont beaucoup de visages ne me sont pas étrangers, croisés au cours d’expositions parisiennes.
Cris et rires des enfants de l’école en récréation et chants d’oiseaux : un beau concert funèbre qu’il aurait aimé. Le cortège traverse le village et entre au cimetière par un passage herbeux constellé de pâquerettes.
Discours : le maire, une voisine très émue, Robert Delpire dont la voix se brise, le neveu en larmes qui ne peut se débarrasser de sa goutte au nez, et les petits enfants. Sarah, une des petites filles, a dit de fort belles choses sur «Pépé». Elle a parlé de leurs promenades, et comment il faisait l’éloge de la couleur et apprenait à ses petits enfants à regarder la cime des arbres qui, dans le soleil, n’est plus verte mais rouge ou violette, et comment il avait choisi, pour mourir, une fin d’après-midi dont la lumière dorée envahissait la chambre. Et comme on voyait un cerisier en fleurs de sa fenêtre, elle a lu des haÏkus japonais évoquant cet arbre qui a joué un grand rôle dans cet enterrement si émouvant.
Marguerite et Katherine consolant tout le monde durant les condoléances… Pierre qui ressemble tant à son père… Devant moi, une vieille dame, la fille du notaire qui leur avait vendu la maison de Grisy il y a 60 ans…
Le cimetière est sur une colline d’où l’on a une vue magnifique sur le Vexin ensoleillé et je pense aux beaux paysages qu’André en a peints. Le ciel est très bleu et à peine floconneux.
Retour à la maison. Jus de fruits, thé, cake et petits gâteaux. Atmosphère chaleureuse que je quitte à regret, entraînée par Roland.
Sur la Francilienne, un double arc en ciel, puis des trombes d’eau.
Ce jour-là, le soleil ne s’est levé, radieux, que pour lui.
Jeudi 10 mars 2011 – Grisy-les-Plâtres
L’air est vif et le soleil bien pâle en cette matinée encore hivernale dans le petit cimetière où nous sommes réunis autour de Marguerite qui nous a quittés samedi dernier.
Elle aura survécu près de six ans à son André.
Tous les fidèles sont là, Robert Delpire et Sarah Moon, Pierre Etaix, Danièle Delorme et Marie-France Beaucourt, Colette Delpire, Vinccent Pachès, Thérèse Caza, Martine Meunier, et Gérard Loison … L’émotion noue les gorges et embue les yeux. Pierre et Katherine, puis les petits enfants parlent avec tendresse de cette « vraie » grand-mère à la si forte personnalité.
Tout le monde se retrouve dans la chère maison de la rue Robert Machy,, magasin de merveilles débordant de souvenirs.
L’accueil y est aussi chaleureux que du temps des grands absents mais une page est tournée, à jamais…
Une exposition qui a eu lieu à Centre André François, Margny-lès-Compiègne
du 16/04/2011 au 14/05/2011