© Sacha Poliakova, 2011
Extraits du catalogue
Les artistes russes émigrés en France ont considérablement enrichi notre vision de l’image dans les livres. Une exposition récente au Centre de l’illustration de Moulins, L’Art russe de l’image pour enfants (1900 – 1945), a mis en lumière, s’il en était encore besoin, leur exceptionnelle qualité.
Après cet âge d’or des Rojankovsky, Chem, Exter, Ivanovsky et autres Parain, d’autres sont venus, comme Vitaly Statzynski, récemment disparu, ou, plus près de nous, Sacha Poliakova.
Son talent singulier, où la douceur se mêle à la violence, a très vite attiré l’attention du monde du livre et elle a publié chez Gautier-Languereau, Gallimard, Le Seuil, Thierry Magnier, Flies France, Larousse…
C’est cette jeune artiste, arrivée en France en 1998, à peine âgée alors de 21 ans, que le Centre André François accueille, en cet automne 2011 pour une résidence portée par la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Picardie, le Conseil Régional et la commune de Margny-lès- Compiègne.
Elle succède à Jean-Charles Sarrazin qui fut l’invité du Centre en 2010.
On ne pleure pas pour les scarabées
On aurait voulu connaître Alexandra petite fille. Car tout, dans l’œuvre si sensible de Sacha Poliakova nous renvoie aux émotions, aux joies, aux rêves, aux attentes inassouvies, aux blessures de son enfance à Saint-Pétersbourg (alors Leningrad) où elle naquit le 3 mars 1977.
Marie-Thérèse Devèze a eu la bonne idée de publier, en 2008, dans ses éditions de l’Art à la page, Un million de poissons rouges que Sacha présenta à son diplôme de fin d’études aux Arts déco de Paris. Un bouleversant petit livre merveilleusement illustré où elle égrène, au fil de chapitres brefs qui sont autant de poèmes en prose, ses souvenirs d’enfance. « Des poèmes tristes, dit-elle, sur l’amour sans réponse ». Moments de chagrin et de joie, flashes de la mémoire où même son sourire donne envie de pleurer : la naissance d’un petit frère, la sympathie avec le chagrin de sa mère, l’absence d’un père à l’opaque transparence, la rigidité étouffante de l’école, l’indélicatesse du monde adulte, le divorce douloureux entre ses envols dans l’imaginaire et la dureté du réel, la connivence avec Grand-père… Un personnage que ce Grand-père cueilleur de myrtilles, couvert de décorations méritées au cours de la dernière guerre, et qui lui a appris à aimer son pays en dépit du tohu-bohu de l’Histoire.
Cette petite Sacha se lovera entre les pages bilingues, tout en tendresse, des Comptines et berceuses de Babouchka mises en images pour Didier (2006), avec les animaux qui peuplèrent son monde d’enfant, et les « sanglots longs » des musiques et des chansons.
Les illustrations de ce livre seront exposées à Sarmede, en 2007, dans le cadre envié de Le Imagini della Fantasia.
L’enfant au foulard rouge
Lorsqu’elle illustrera, pour Gallimard, Aujourd’hui en Russie (2007), elle mettra aussi beaucoup d’elle-même dans ce journal d’une fillette, Larissa Ekaterinbourg, dont les clairs yeux tristes, écarquillés sur le monde, rappellent ceux de l’illustratrice. C’est une de ses amies russes, Nastassia Paoutova, qui a pris en charge la partie documentaire, permettant ainsi à Sacha une liberté plus grande. Mais l’histoire, racontée par un homme, français de surcroît (Robert Giraud), et l’époque ne sont pas les siennes. L’on n’y retrouve pas les écolières au foulard rouge des écoles communistes où, plus que de la propagande, on semait et enracinait de solides vertus morales.
Elle regrette que ses enfants, qui vivent des rentrées des classes traumatisantes, ne connaissent pas le joyeux rituel russe du 1er septembre, où les fillettes, arborant un joli tablier blanc, portent des fleurs à leurs institutrices et où chaque grand garçon emporte vers sa nouvelle classe, sur ses rassurantes épaules, un petit nouveau inquiet.
C’est ainsi que, des années « Leningrad », la ressouvenance n’est pas négative, un peu grise seulement, avec le décalage entre ce qu’on dit à la maison et le dehors, et quelques réminiscences qui la font désormais sourire, comme celle de l’étoile de fer émaillé à l’effigie de Lénine que devaient arborer les petits écoliers.
Comme tous les enfants de son pays, elle fréquente beaucoup les poètes. Elle lit, et n’oublie rien des albums de l’artiste tchèque Ondřej Sekora et de sa fourmi Ferda, elle accompagne Selma Lagerlöf et Nils dans leur merveilleux voyage, se passionne pour les facéties des héros, très populaires en Russie, de Astrid Lindgren et dévore Les extraordinaires aventures de Karik et Valia de Yan Larri méconnues en France.
Elle dessine, elle invente des histoires, elle fait des petits livres qu’elle a gardés et que, pour notre plus grand bonheur, elle nous a prêtés pour cette exposition. On est sidéré de voir la précocité de son talent. Beaucoup de ses dessins ont eu un rôle cathartique, comme le portrait, plein d’humour, de sa mère en chat, ou ceux, féroces, de ses professeurs en oiseaux quelque peu rapaces. Un monde dessiné à l’encre noire le plus souvent, sans la moindre mièvrerie, jamais, un monde où elle menace de mordre ceux qui l’importunent.
Adolescente, elle entre à l’Académie théâtrale de Saint-Pétersbourg où elle apprend la scénographie. Les arts de la scène, et en particulier les marionnettes, seront bien présents dans son œuvre à venir.
Mais il faut partir, elle sait qu’elle doit partir, écrit-elle. Et un bel architecte français, Aurélien Lemonier, de passage sur les rives de la Neva, va prendre en croupe la princesse mélancolique et l’emporter loin de sa ville natale.
Le Temps des apprentissages
Sacha pensait découvrir la France, Terre des Arts et des Lettres, et voilà qu’elle atterrit dans l’Enfer du Nord. Elle suit, dans les brumes humides de Dunkerque, les cours de l’Ecole régionale des Beaux-Arts spécialisée dans l’art conceptuel. Et celle qu’on n’appelle que du sobriquet blessant de « la Russe » découvre la grisaille d’une ville avec ses courettes à la Zola et la solitude d’une côte venteuse. Elle qui a dessiné, dans son adolescence toute proche encore, des masques élégants et énigmatiques, attend avec impatience le célèbre Carnaval. Et la déception est à la mesure de ses espoirs. Au lieu d’une fête des mystères et du secret, elle affronte la vulgarité d’une populace déchaînée, vociférante et imbibée de bière, exhibant trivialement des tampax trempés dans du ketschup.
Cet exil maritime dura un an. N’était l’existence d’Aurélien, elle eût, à la fin de cette année déprimante, rejoint la terre maternelle. En fait, c’est une ville du Hainaut qui va l’accueillir, Valenciennes, qui se targue d’être l’Athènes du Nord, et qui a vu naître Carpeaux, Watteau, Pater et Harpignies. Là encore, c’est la morosité et non l’enthousiasme qu’elle trouve au rendez-vous. Mais elle y travaille plus spécifiquement sur l’illustration et y parfait sa formation de graveuse, technique mordante qui lui convient et où elle fait et fera merveille. En témoignent des travaux personnels ténébreux, noirs avec quelques grisés et de discrètes touches neigeuses, d’une finesse infinie, comme ses superbes séries Piège pour un loup blanc, Une famille de montagne avec un œuf blanc ou La Vie après la fête dont les titres sont aussi sibyllins que l’atmosphère. Les minuscules silhouettes blanches des personnages, tragiquement pendus, êtres en métamorphose, sortes de Daphnés en mutation avec des excroissances végétales, sont perdus, solitaires ou disséminés sans ordre apparent dans la page obscure. En 2006, c’est par des eaux-fortes subtiles, aux couleurs raffinées et à l’élégante mise en page, qu’elle illustrera, pour les éditions du Seuil, Les Contes du Cheval de Bernard Chèze.
A Valenciennes, elle bénéficie des conseils de l’illustratrice Bridget Strevens dont le mari, Mick Finch, est professeur à l’Ecole supérieure des Beaux-Arts, et c’est ainsi qu’elle va rejoindre, enfin, après ces expériences malvenues chez les ch’tis, le havre accueillant de l’Ecole des Arts décoratifs de Paris. Le département Illustration est dirigé par Xavier Pangaud et ses professeurs seront illustrateurs comme Jean-Marie Le Faou ou Laurent Corvaisier, ou éditeurs comme Frédéric Houssin, co-créateur de la collection Carnets du monde chez Albin Michel qui la fera participer à l’aventure collective de Mon Premier Larousse de Poésies (2005)
Un talent multiforme
Une solide formation, finalement, qui l’a rendue experte dans toutes les techniques, la gouache, légère ou épaisse, pour laquelle elle aura une prédilection, mais aussi l’aquarelle, les encres, les collages et, bien sûr, les gravures diverses, de la pointe sèche à la linogravure.
Elle ne dédaignera pas non plus le numérique. C’est avec l’ordinateur et des couleurs solaires, très méditerranéennes, qu’elle illustrera, pour la collection Grand Répertoire de Gallimard (2004), Carmen, un opéra de passion et de mort raconté par Irène Jacob, où elle a superbement rendu les fières expressions de l’héroïne, orgueilleuse et rebelle, mais aussi la touchante discrétion de la douce Micaëla.
Cette luxuriance méridionale se retrouvera dans les encres et gouache d’Histoires de déserts (Flies France, 2011).
Elle saura toujours varier les techniques et les registres et sa vigueur peut aussi s’exprimer par la force graphique de papiers noirs découpés (En attendant le printemps, Martine Laffon, Seuil, 2008).
L’énergie fait place au raffinement voire à la sophistication dans Dame Sei Shônagon et le samouraï, longue bande de papier de soie (quatre mètres) peinte à l’aquarelle et à l’encre, illustrant une histoire de Françoise Kérisel qui reprend à son compte, sous la houlette de Nicole Maymat, une anecdote de la vie de la célèbre poétesse japonaise (Seuil, 2007).
Hélas ! Pour des raisons économiques, au lieu du leporello attendu, c’est un livre classique en pages séparées qui a été imprimé…
Dans son jury de fin d’études (2003) où elle présente sa si belle myriade de Poissons rouges, elle séduit Brigitte Morel qui, à l’époque, travaille avec Jacques Binztok aux éditions du Seuil et le rendez-vous est pris, déjà, pour un livre qui sortira en 2005. Ce sera L’âme du cheval, méditation lyrique sur la fuite éperdue, la séparation, l’absence, un des rares livres dont elle ait elle-même écrit le texte, avec tact, et des litotes qui ouvrent au lecteur la porte du rêve : on aimerait qu’elle prenne la plume plus souvent. Ce très bel album, plein d’émotion et de tendresse, elle l’a conçu alors qu’elle était enceinte de Pierre et elle l’a remis à l’éditrice le 18 août 2004, jour de sa naissance. Elle le lui a dédié, bien sûr, ainsi qu’à Aurélien.
Premières expositions
En 2000, elle participe à l’exposition de Montreuil Figures Futur dont le thème était, cette année-là, Le rire des sorcières. Elle ponctue d’une image inquiétante le mythe de Médée somptueusement raconté par Ovide, l’histoire de la magicienne « qui aime, souffre et punit par excès de douleur », comme la caractérise Marie Ndiaye qui a écrit le texte du catalogue. Elle remarque au passage que « peu de candidats se sont « frottés » à elle », et aussi qu’ils ont évité de représenter le meurtre des enfants. Comme toujours, avec Sacha, on est dans le mystère, et on ne peut que s’interroger sur le sens de ce sol lunaire, minéral, d’où émergent d’horribles têtes coupées.
En 2002, elle est de nouveau invitée à concourir en Seine-Saint-Denis. Le thème de Figures Futur, « jeunes et nouveaux illustrateurs de demain », est, cette fois, Don Juan à travers les siècles. Et c’est l’apogée du drame, la scène de la chute aux enfers, que notre jeune artiste choisit, illustrant une page furieusement romantique de Ernst Theodor Amadeus Hoffman. Son image, non sans une pointe d’humour, suggère que c’est Dona Anna qui a poussé son séducteur dans les abîmes !
Son talent s’évade de son pays d’adoption. Sacha a été, quatre années consécutives, sélectionnées par la Fiera del Libro per Ragazzi de Bologne, où ses images ont été exposées et reproduites dans les catalogues de 2002 à 2006.
En 2002, c’est Alice au Pays des merveilles qu’elle dévoile au public exigeant de cette manifestation internationale, illustrations encore inédites aujourd’hui.
En 2003, elle expose à Bologne Pinocchio, préfigurant son futur album consacré à l’histoire de Bouratino. La même année, elle confie les planches sérigraphiques d‘un Abécédaire, à diffusion confidentielle, à Barreiro ( Portugal), pour la prestigieuse Biennale Ilustrarte.
Elle crée, en 2004, pour sa quatrième contribution à l’exposition de Bologne, une série d’images à la gouache, encore inédites aujourd’hui, qu’elle a intitulées Le Poisson qui pleurait dans l’eau.
… et premiers albums
Son premier album de jeunesse est publié chez Gautier-Languereau où elle travaille avec Maryvonne Denizet dont la direction artistique lui sera féconde. Elle met en images Quand j’étais loup, un texte de Philippe Lechermeier qui ne pouvait que l’inspirer, sur le thème, revisité, du loup-garou. On y découvre une personnalité artistique singulière, d’ores et déjà un art consommé de la mise en page, des couleurs vives et pourtant mélancoliques, des personnages perdus dans l’immensité de grands ensembles tout de guingois qui semblent construits par Numérobis, et la faculté d’exprimer avec profondeur et justesse sa sympathie pour le chagrin d’un enfant incompris.
Toujours en 2004, elle s’attelle au conte de La Belle et la Bête de Madame Leprince de Beaumont. Encore une histoire de métamorphose, une confrontation avec l’animalité qui gronde en nous, et une étonnante alternance de pages lyriques et d’impressionnants portraits de la Bête. La couverture et la page de titre, antinomiques, dévoilent l’ambiguïté de cette dérangeante relation amoureuse venue des abysses.
Elle fait montre de dons pour la peinture animalière. Son loup, sa Bête, en témoignaient et Parole aux animaux (Gallimard, 2004) confirme cette aptitude.
En 2005, elle expose, à la Fiera, des originaux de La Cité des Oiseaux, deuxième album paru l’année précédente chez Gautier-Languereau, où alternent avec de subtiles images de végétaux légers et d’oiseaux aériens, des immeubles modernes et une barre impressionnante héritée de Le Corbusier. Peut-on voir, dans cette aisance à représenter les architectures, la contamination d’Aurélien ?
A l’ombre du tilleul, sur un texte de Cécile Roumiguière, parait en 2005, encore chez Gautier-Languereau. Souvenir de la Babouchka de son enfance ? Cette relation fusionnelle entre un garçon et sa grand-mère, le rapport privilégié au végétal et en particulier à l’arbre, l’amour de la nature, sont exprimés par des images lyriques d’une très grande beauté.
L’année suivante, elle donne au Seuil sa lecture, ô combien sensible et raffinée, de l’aventure de Galilée racontée par Orietta Ombrosi, retrouvant, par sa gouache délicate et ses subtils dessins au crayon gris, le charme des grimoires d’autrefois.
Un Panthéon venu du froid
Son Prince charmant, elle a fini par l’épouser, et quatre enfants leur sont nés, Pierre, maintenant sept ans, Séraphine, cinq ans, Antonine, trois ans, et Vassili qui trotte vers son premier anniversaire. Ils ont conçu aussi un enfant de papier, un livre animé bilingue devenu introuvable, Quand Toutou se carapate, paru, encore, chez Gautier-Languereau en 2006. Jean-Luc Moreau a traduit du russe, avec humour et un grand sens de la musicalité, les jeux de mots des courts poèmes, presque des comptines, du poète – lui-même traducteur – Mikhaïl Yasnov. La fantaisie joyeuse de ce bestiaire a inspiré à Sacha des images toniques, aux couleurs exubérantes, que l’expertise d’Aurélien Lemonier a transformées en pop-up. Certaines pages, comme celles du coq, sont superbes. Cette rareté éditoriale est dédiée à Pierre et Séraphine.
Il n’y a pas que les écrivains contemporains qui aient inspiré notre artiste. On lui doit l’illustration d’une version russe de Pinocchio, La Petite clé d’or ou Les Aventures de Bouratino, un Conte d’Alexis Nikolaïevitch Tolstoi (1882-1945), à ne pas confondre avec Léon Tostoï, l’auteur de Guerre et Paix et Anna Karénine, dont il est un lointain parent (Gautier-Languereau, 2008). Paru en 1936, peu connu dans l’Hexagone, mais célébrissime en Union soviétique puis Russie, et dans l’ensemble de l’Europe de l’Est, ce texte a donné lieu à de nombreuses rééditions, des adaptations cinématographiques et a même été le sujet de timbres postaux. Traduit par Natha Caputo, il parut aux éditions de La Farandole en 1956, illustré par A.Kanievski. Alain Recoing et Antoine Vitez le mirent en scène au théâtre du Vieux Colombier en 1957.
Dans sa préface, Alexis Tolstoï déclare avoir lu Pinocchio dans son enfance. Il n’en est rien !
Le livre de Collodi n’était pas encore édité en russe, et Tolstoï ignorait l’italien. Il a, en fait, découvert l’histoire du pantin de bois par un ami qui travaillait à la traduction du texte. La trouvant trop moralisante, il a réécrit l’aventure à sa façon, prenant de nombreuses libertés avec la version originale.
Bouratino, avec tous ses personnages pittoresques, a particulièrement inspiré Sacha Poliakova, sans doute à cause du monde des marionnettes et pantins, qui lui est cher, mais aussi car elle a su rendre présents à la fois le héros, un sale gosse à la malice craquante, ainsi que les autres protagonistes, Giuseppe, Papa Carlo (qui doit son prénom à Carlo Lorenzini ?), Pierrot le lunaire, Malvina, Signor Caraba Baraba… et aussi, les animaux. Grillon-parlant, Renard et Chat, chauve-souris, oiseau de nuit, coq, crapaud, caniche, molosses…Les décors de théâtre y ont un charme sans pareil.
On a déjà pu constater l’intérêt que porte Sa cha aux thèmes musicaux, comptines et chansons ou opéra. Dans cette veine, elle a illustré Les Tableaux d’une exposition (Gallimard, 2007) racontés par Muriel Bloch. L’interprétation colorée de Sacha, avec son folklore plein de verve, est à mille lieues des sombres toiles de Victor Hartmann qui inspirèrent Modeste Moussorgski en 1874.
C’est encore de sa terre natale dont il est question avec L’Ogre de Moscovie, extrait de Bon conseil aux amants, poème de Victor Hugo paru dans le recueil Toute la lyre en 1861.
Pur hasard des programmations éditoriales, deux versions de cette histoire parurent en 2008. Pef, amoureux de ce poème, confia, aux éditions suisses Quiquanquoi, son interprétation toute personnelle et il a tenu à garder, et à assaisonner à la sauce Pef, le préambule plein d’humour que Gautier-Languereau a préféré supprimer.
C’est ainsi que Sacha entre de façon abrupte dans l’histoire. Elle en donne une passionnante lecture, violente, sans concession qui en fait un petit chef d’œuvre. Elle a l’idée géniale, pour atténuer la cruauté du propos, de transformer les protagonistes en marionnettes. Elle ose des plans très rapprochés et pousse l’audace jusqu’à zoomer de très près sur la dévoration du bambin, rappelant certaines pages éblouissantes du Fils de l’Ogre qu’André François dessina pour François David.
La Muse de Sacha est cousine de Protée…
On a peine à admettre que ces pages brutales soient de la même main que les dessins arachnéens des feuillages de A l’ombre du tilleul.
Projets…
Cet automne 2011 verra la sortie en librairie d’un album tonique et optimiste, Le Cirque magique ou La Malle aux étoiles (Gautier-Languereau). Une autre passerelle avec l’œuvre d’André François pour qui le monde du cirque est une source privilégiée d’inspiration.
Sacha adapte ses techniques aux registres variés des pages de Philippe Lechermeier et passe de la gouache à la linogravure et à la pointe sèche. Chaque double page nous entraîne dans une atmosphère différente, pleine de fantaisie, de joie de vivre et de poésie, toutes plus réussies les unes que les autres.
Galina Kabakova, linguiste et anthropologue, fille du célèbre artiste conceptuel russe Ilya Kabakov, fondatrice des Editions Flies, a eu la bonne idée d’exhumer Les Contes de l’Oncle Rémus, le livre controversé de Joel Chandler Harris publié aux Etats-Unis en 1880 et 1905 et qui, en 1946, a été adapté, pour le cinéma, par les studios Walt Disney. Passé aux oubliettes en raison de sa vision dérangeante de l’esclavage, il est devenu une rareté bibliophilique et filmographique. L’histoire de Frère Lapin que narre le vieux conteur noir aurait inspiré les célébrissimes Jojo Lapin d’Enyd Blyton.
L’éditrice en a confié l’illustration à sa jeune compatriote. Cette promesse de réédition ne peut qu’exciter la curiosité et s’interroger sur la lecture que fera notre Sacha de ces histoires oubliées au message ambigu.
L’exposition du Centre André François de Margny-lès-Compiègne présente l’ensemble des livres publiés de Sacha Poliakova, quelques originaux de chacun d’entre eux, et montre aussi des œuvres personnelles inédites et quelques-uns de ses précieux travaux de petite fille.
De quoi rassasier la faim de beauté des publics enfants et adultes qui auront le bonheur de venir l’admirer.
Une exposition qui a eu lieu à Centre André François, Margny-lès-Compiègne
du 12/10/2011 au 15/01/2012