May Angeli illustre Kipling
© May Angeli, 2009
Extrait du catalogue
Dans une époque où les jeunes illustrateurs frais émoulus des écoles d’art sont devenus des virtuoses de la souris et du clavier, il demeure des artistes qui s’expriment avec le pinceau, la plume ou le crayon. Plus rares encore sont les graveurs, héritiers d’une longue et noble tradition, aquafortistes, lithographes et autres xylographes.
C’est à cette dernière catégorie, infiniment précieuse, qu’appartient May Angeli. Cette remarquable artiste, née en 1937, a fait ses débuts en illustrant au crayon, à la gouache et à l’aquarelle des récits où se manifestent sa générosité, son respect de l’enfant et son attrait pour les cultures du monde.
En 1975, elle découvre le Maghreb qui devient une de ses sources d’inspiration privilégiée. Elle fait désormais de fréquents séjours en Tunisie où elle a noué des relations de travail et de coeur.
C’est en 1980, au cours d’un stage à Urbino, qu’elle a la révélation de la gravure sur bois.
En 1992, Régine Lilensten, créatrice et directrice du Sorbier, toujours dynamique et inspirée, se laisse séduire par la force graphique de cette technique, suivie très vite par d’autres éditrices dont Valérie Cussaguet (Thierry Magnier), Christine-Marie Léveillé (Bilboquet), Françoise Mateu (Seuil Jeunesse), Amélie Léveillé (L’élan vert), Marie-Thérèse Devèze (L’art à la Page) et Caroline Drouault (Sorbier). Certains de ces livres xylogravés (Chat, Dis-moi) ont fait date dans l’histoire du graphisme et ont été sélectionnés par la Biennale de Bratislava et la Foire de Bologne. C’est aussi en renouvelant cette technique qui était tombée en désuétude qu’elle a créé de merveilleux livres pour tout petits (Carotte ou pissenlit ou Petit) et réalisé cinq livres d’artistes très raffinés.
Dans cette veine, elle a illustré, à la suite des dessins alertes nés de la plume de l’auteur lui-même, Histoires comme ça (1ère édition, 1903) puis, récemment, Le Livre de la Jungle (1894 et 1898) de Rudyard Kipling.
Un travail considérable : douze gravures pour chacune des douze Histoires, vingt-quatre planches pour Le Livre de la Jungle, plus les pages de garde, et de nombreuses vignettes.
Une prouesse technique réalisée d’un coup de gouge précis et énergique, mais aussi un usage inspiré de la couleur, un sens aigu de la mise en page, et une sensibilité esthétique qui font de cet ensemble une réussite exceptionnelle.
Peintre de la nature, elle a su capter la luxuriance des jungles et la présence charnelle des animaux, avec poésie, humour, vigueur et tendresse.
Il est passionnant de voir comment, un siècle après, cette femme d’aujourd’hui a pu exprimer, par delà les divergences historiques, sociales et géographiques, la séduction, la dérision et la violence des contrées exotiques fréquentées par Rudyard Kipling. De Bombay (1865) à Londres (1936), ce fils du conservateur du musée de Lahore est expédié à 6 ans en Angleterre pour y parfaire, durant 11 ans, son éducation. Les souffrances de son enfance délaissée, les nombreux voyages de sa carrière de journaliste et les deuils de sa vie familiale (il perd, de maladie, une de ses deux filles, et son fils est tué à la guerre), ont nourri une oeuvre sensible et imaginative où sont magnifiées les multiples cultures de son Inde natale.
C’est dans cet intérêt commun pour les civilisations lointaines, l’amour de la nature et des animaux et l’émotion de sentiments éternels, que May Angeli et Rudyard Kipling se rejoignent pour notre plus grand bonheur.
Une exposition qui a eu lieu à Salle Aimé Dennel, Margny-lès-Compiègne
du 13/11/2009 au 22/11/2009