
Tolérance et différence dans l'album pour la jeunesse
© Claude Boujon, 1995
Extraits du catalogue
Organisée dans le cadre des « 12 jours pour l’école », dont le thème est, cette année, une invitation à la tolérance et au respect des différences, l’exposition « l’Autre… et moi » présente 150 illustrations originales d’artistes européens qui ont traité, chacun avec son talent particulier, ce sujet à la fois riche et délicat.
Loin de tout ennuyeux discours moralisateur, des livres tendres, pleins d’humour, ou forts, déchirants de sensibilité ou de révolte, délivrent leur message de fraternité, d’amour de la paix, de compassion, sans que, jamais, leur qualité esthétique ne puisse être prise en défaut.
Comme l’an dernier, dans l’exposition « Sage comme une image ? », l’exposition se divise en 7 thèmes :
– 5 milliards de visages
– Toi, l’étranger …
– Guerre et paix
– Couleurs du monde
– Des amitiés très particulières
– Les exclus
– Du côté des petites filles
Des images généreuses et belles qui hanteront longtemps nos rêves et nos pensées.
Cinq milliards de visages
Le nom de cette partie de l’exposition est emprunté au très célèbre People de Peter Spier traduit à l’École des loisirs en 1981 par 4 milliards de visages, titre
révisé numériquement en raison de la croissance démographique. Il s’agit là simplement d’un clin d’oeil à l’album de Peter Spier, qui, si généreux et sympathique soit-il, ne dépasse guère les limites d’une vulgarisation ethnologique un peu simpliste.
Rien à voir, donc, avec l’extraordinaire qualité des portraits prêtés par Georges Lemoine : Sage Wang Fô au regard plein de malice ou de compassion, poignante Leïla aux yeux à demi refermés sur son chagrin, petite fille aux allumettes aux prunelles écarquillées vers l’ailleurs,et Naman le contemplatif,et Jonas qui médite, et Jonathan qui s’émerveille ou l’émir qui pleure une autre Leïla,et Balaabilou le compatissant, et Lullaby… On pourrait énumérer longtemps les noms de ces héros désormais familiers.
Georges Lemoine a aussi extirpé de ses cartons quelques merveilles moins connues, que la parution en livre de poche n’a guère mises en valeur, ou des œuvres personnelles étonnantes comme un portrait de sa mère à la plume, un autoportrait peint en 1956, ou encore de très précieux carnets de croquis. Un aspect particulièrement riche du talent de ce grand artiste plébiscité par Jean Marie Gustave Le Clézio, Claude Roy, Michel Tournier, sans oublier, bien sûr, Marguerite Yourcenar.
Toi l’étranger
C’est, cette fois, à Brassens qu’on doit le titre de ce thème. L’ensemble des oeuvres réunies ici est disparate mais particulièrement intéressant dans sa diversité.
De l’humour ravageur et anticonformiste de Claude Boujon au lyrisme somptueusement orientalisant de Frédéric Clément, en passant par les fables militantes mais pleines de tendresse de May Angeli ou le discours pédagogique avoué de Jean Maubille, le message passe, avec plus ou moins de subtilité, mais aussi avec des sensibilités esthétiques fort différentes les unes des autres.
Accepter, comprendre, accueillir, aimer l’autre ne va pas de soi et ces livres amènent les enfants à s’interroger sur la rencontre avec lui, l’Etranger.
Guerre et paix
Ici aussi, le refus de la barbarie et l’amour de la paix empruntent des expressions esthétiques fort différentes les unes des autres. Il faut dire que voisinent dans cette partie de l’exposition des oeuvres de dates très diverses.
Le Tistou de Maurice Druon et Jacqueline Duhême de 1957 développe un discours pacifiste -et fleuri !- avec naïveté et poésie.
En 1973, Lionel Koechlin expose des idées anticolonialistes et antimilitaristes, dans la lignée soixante-huitarde, et là aussi, botanistes.
Les livres plus proches dans le temps font des allusions plus précises au contexte historique : la rafle du Vel d’Hiv pour Johanna Kang, l’hitlérisme chez Pef, Hiroshima pour Martine Delerm, le Vietnam chez Sophie.
Quant au très émouvant Flonflon et Musette, il est intemporel et l’allusion biblique aux Cavaliers de l’Apocalypse -que l’on rencontre aussi chez Frédéric Clément- lui donne une dimension mythique.
Mérite une place à part, le superbe Chant d’amour et de mort de Rainer Maria Rilke, très grand texte magistralement servi par une illustration flamboyante.
Couleurs du monde
Une exposition sur le thème de la différence ne pouvait pas ignorer le racisme, mais il était hors de question de traiter le sujet de façon didactique et moralisatrice comme on la trouve dans de nombreuses publications à destination de la jeunesse.
Seuls les livres de Pili Mandelbaum mettent en présence des hommes et évoquent explicitement la difficile acceptation du métissage par une petite fille « café au lait ».
Les contes du poulailler de Michelle Daufresne, Le drôle d’oiseau de May Angeli, Le papillon de toutes les couleurs d’Alain Gauthier, ou les célèbres Elmer de David Mac Kee abordent ce problème de la différence par le biais de fables nuancées, plus subtiles, et mieux à même de susciter chez les jeunes lecteurs interrogation et réflexion qu’une lourde leçon de morale.
Des amitiés très particulières
Un titre quelque peu provocateur pour présenter une chaleureuse galerie de couples anticonformistes.
La découverte des originaux de Marlaguette sera une bonne surprise pour ceux qui ont éprouvé de la symphathie -depuis plus de 40 ans !- pour les relations difficiles d’une fillette et d’un loup qui devient herbivore par amour.
On retrouve ici encore Claude Boujon avec son Apprenti loup et surtout On a volé Jeannot Lapin qui, comme Grégoire Solotareff dans son Loulou, nous racontent, et avec quel humour !, la difficile amitié d’un carnassier, loup-renard et d’un lapin, une image particulièrement réussie du Livre d’Affiches et quelques originaux du délicieux Un jour un loup et du Diable des rochers nous font découvrir les talents de peintre de Solotareff. On ne pouvait, sur ce sujet, faire l’impasse sur La belle et la bête de Mme Leprince de Beaumont et se priver d’admirer l’interprétation perverse et raffinée qu’en fait Alain Gauthier, inspiré autant par le film de Jean Cocteau que par le texte du conte.
Les exclus
Contexte social oblige, l’exclusion est omniprésente dans le livre d’enfance. Non seulement, comme pour Okilélé de Claude Ponti, le rejet affectif du milieu familial, ou l’injustice sociale amplifiée par une école complice comme dans Paco Yanque ou encore l’infirmité comme dans la petite fille incomplète de Martine Delerm. Non, il s’agit réellement de S.D.F.
Certes, les clochards de Christophe Besse ne sont guère pitoyables, mais ceux d’Isabelle Simon entraînent un vrai sentiment de malaise et les croquis d’Elsie de Saint Chamas sont plus vrais que nature.
Quant à Eva au pays des fleurs, moderne petite fille aux allumettes, elle n’a guère la chance de l’héroïne d’Andersen qui connaîtra le bonheur céleste.
Des livres forts, dérangeants, et bien dans l’air du temps, mais problématiques à cause de leur désespérance. A t-on le droit de concevoir une éducation sans vision positive de l’avenir ?
Du côté des petites filles
C’est ici le coin nostalgie de l’exposition. En effet, à part cette jaune petite pingouine mal-aimée qu’est Juanita, les autres héroïnes présentes viennent toutes des « Editions des Femmes » dont la collection pour enfants, appelée « Du côté des petites filles » en hommage à Elena Belotti, a été abandonnée il y a déjà une quinzaine d’années. Dommage.
Rose Bombonne, Clémentine, Jamédlavie, Les Bonobos à lunettes… ont marqué toute une génération de jeunes lecteurs et lectrices, comme d’ailleurs la Julie qui a une ombre de garçon du Sourire qui mord. Il est intéressant de constater que le sexisme avoué -et son corollaire le féminisme militant- ont quasiment disparu du paysage éditorial où ils prennent des formes larvées plus insidieuses. Là aussi l’univers du livre est bien coloré par l’actualité.
Une exposition qui a eu lieu à Bibliothèque départementale de l'Oise, Beauvais
du 09/05/1995 au 19/05/1995