
50 ans d'illustration pour la jeunesse (1965-2015)
© Jean Claverie, 2015
Dans les coulisses de l’album
50 ans d’illustration pour la jeunesse
Artistes exposés :
Beatrice Alemagna, May Angeli, Gilles Bachelet, Éric Battut, Laurent Berman, Christophe Besse, Nicolas Bianco-Levrin, Guy Billout, Serge Bloch, Bernard Bonhomme, Pascale Bougeault, Danièle Bour, Christian Broutin, Anne Buguet, Alice Charbin, Julia Chausson, Chen Jiang Hong, Nicole Claveloux, Jean Claverie, Frédéric Clément, Pierre Cornuel, Laurent Corvaisier, Patrick Couratin†, Rémi Courgeon, Alain Crozon, Jennifer Dalrymple, Michelle Daufresne, Philippe Davaine, Martine Delerm, Étienne Delessert, Bernadette Després, Malika Doray, Jacqueline Duhême, Philippe Dumas, Elzbieta, Isabelle Forestier, Claire Forgeot, Natali Fortier, André François †, Henri Galeron, Letizia Galli, Alain Gauthier, Michel Gay, Fabian Grégoire, Bénédicte Guettier, Bruno Heitz, Anne Herbauts, Mette Ivers, Martin Jarrie, Joëlle Jolivet, Kelek †, Kimiko, Lionel Koechlin, Claude Lapointe, Albert Lemant, Georges Lemoine, Alain Le Saux †, Alain Letort, Catherine Loeb, Antonin Louchard, David McKee, Daniel Maja, Olivier Mélano, David Merveille, Alan Mets, Charlotte Mollet, Gerda Muller, Dominique Mwankumi, Claire Nadaud, Nadja, Pef, François Place, Sacha Poliakova, Yvan Pommaux, Claude Ponti, Audrey Poussier, Domitille de Pressensé, Jame’s Prunier, Gilles Rapaport, Laura Rosano, Jacques Rozier †, Mélanie Rutten, Sara, Jean-Charles Sarrazin, Grégoire Solotareff,Olivier Tallec, Marcelino Truong, Hervé Tullet, Philippe-Henri Turin, Tomi Ungerer, Zaü, Albertine Zullo.
Extraits du catalogue
Les dessous d’une exposition
Le temps des rêves
Le demi-siècle écoulé a été d’une infinie richesse dans ses créations éditoriales pour la jeunesse et le jubilé du CRILJ est une magnifique occasion d’en rendre compte. Mais cette séduisante entreprise, dans le périmètre limité d’une exposition, tient de la gageure même si la petite équipe qui a relevé ce défi ne manquait pas d’enthousiasme.
Dès le mois de mai 2013, se sont réunis, rue des Prêtres-Saint-Séverin, Denise Barriolade, présidente du CRILJ et André Delobel, son infatigable secrétaire, Viviane Ezratty, conservateur général de l’Heure Joyeuse qui n’était pas encore transférée au Carré Saint-Lazare où elle s’intégrera à la médiathèque Françoise Sagan, Hélène Valotteau, responsable du pôle jeunesse de ce même établissement, et moi-même, alors directrice artistique du Centre André François dont j’ai démissionné depuis. Cette réunion inaugurale fut suivie de beaucoup d’autres.
Lors des premières rencontres, il y eut des fantasmes à gogo.
Chacun(e) d’entre nous y alla de sa longue liste d’artistes incontournables à encenser, d’événements essentiels à célébrer, d’éditeurs charismatiques à honorer. Notre panthéon était jubilatoire, surpeuplé et… complètement irréaliste. Las ! Pour ne faire ne fût-ce qu’un petit clin d’œil à tout ce beau monde, il nous eût fallu la Grande Galerie du Louvre et la famille royale d’Angleterre comme sponsor…
Renoncements et nouveaux choix
Il a donc fallu modérer nos ambitions, consentir à certains renoncements et élaborer de nouveaux choix.
D’abord, malgré notre amour immodéré pour Sendak, Lionni, Heidelbach, Van Allsburg ou Innocenti, nous sommes convenus de nous restreindre à notre hexagone, avec quelques rares concessions à nos voisins francophones, belges (Anne Herbauts, David Merveille, Louis Joos) et helvètes (Étienne Delessert, Albertine Zullo) ou à quelques étrangers vivant et publiant en France (l’italienne Letizia Galli, le britannique David McKee, le congolais Dominique Mwankumi…). Comme notre projet était de faire une exposition, nous avons écarté les romans si intéressants pussent-ils être. Nous avons renoncé à exposer des livres animés, d’autant plus qu’ils ont été récemment mis à l’honneur, à Moulins, au musée d’ illustration pour la jeunesse et chez Les Libraires associés dont c’est la spécialité. Même si nombreux sont les illustrateurs qui s’y adonnent avec talent, nous nous sommes privés aussi du dessin de presse qui est un monde en soi.
En outre, dans la mesure où l’exhaustivité nous était, de facto, interdite, nous nous sommes progressivement détournés de la classique exposition d’originaux pour nous glisser, avec une gourmandise furtive, dans les coulisses de l’illustration.
Dans les coulisses de l’album, nous exposerions donc des travaux préparatoires, des chemins de fer, des esquisses, des images inabouties, des essais de couverture, des couvertures refusées, arrachés au mystère des ateliers mais aussi des albums dédicacés.
Les illustrateurs sont parfois amenés à faire des estampes dérivées de leurs albums : nous en montrerions quelques-unes, accompagnées de quelques travaux personnels déconnectés du monde de l’édition.
Nous entrions aussi dans les coulisses de la communication.
Les artistes sont souvent sollicités pour créer des affiches et des éphémères, pour des salons de plus en plus nombreux, pour des expositions, pour des publicités d’éditeur, pour la communication des bibliothèques. Nous en révélerions travaux préparatoires et originaux ainsi que quelques signatures de livres d’or.
Enfin, nous ferions une petite incursion dans le domaine privé ou semi-privé pour dévoiler quelques cartes de vœux et enveloppes décorées.
Jean Claverie l’a très bien compris dans son malicieux visuel : nous jouerions les voyeurs…
Genèse des albums
L’une de nos idées était de faire mieux connaître le cheminement du livre depuis la rencontre de son auteur avec les Muses jusqu’aux presses de l’imprimerie.
Ainsi, May Angeli a, au zoo de Vincennes, croqué un crocodile dans un de ses carnets. Puis la bête a pris vie et elle est entrée dans sa tête pour s’intégrer à une histoire. Ce sera Chat, réalisé en gravures sur bois, qui sera sélectionné à Bratislava en 2001. Nous exposons la page arrachée du carnet, une planche de lino et son tirage-essai pour convaincre Thierry Magnier d’éditer, et, enfin, le travail finalisé: les trois matrices en contreplaqué noir, jaune et bleu, un essai de tirage sur papier recyclé et la xylographie définitive sur vélin d’Arches.
C’est en gardant une de mes petites-filles que May Angeli encore a, un jour, dessiné un coin de mon jardin. Elle en a d’abord fait une lithographie, à Saint Valery-sur-Somme, dans l’atelier du peintre Paul Petit. Cette image sera reprise dans Qui perd la boule ? (Sorbier, 1998) illustré en linogravures joyeusement colorées. Nous exposons le carnet, la lithographie inédite et la linogravure publiée.
Michelle Daufresne travaille vite, ne retouche pas, jette beaucoup et recommence souvent. Elle projette ses couleurs avec vivacité, presque avec violence parfois, aspergeant copieusement de peinture ou d’eau de Javel le grand tablier bleu qui la protège des giclées et éclaboussures. Son atelier lui ressemble, riche, spontané, et désordonné. La table est couverte de pots et de tubes, croule sous les outils de toutes sortes, pinceaux, crayons, ciseaux, sous les papiers, les matériaux à coller. Le sol est jonché d’un tapis de dessins plus ou moins froissés, rejetés par l’artiste insatisfaite. Un merveilleux capharnaüm dont Christophe Besse écrivit un jour qu’on y trouvait tout, mais vraiment tout, sauf… une gomme !
C’est dans l’épais tapis de dessins rejetés que j’ai trouvé un chemin de fer du Secret de Théodore (Centurion 1985) ainsi que quelques ravissantes variantes inédites à l’aquarelle.
Jean-Charles Sarrazin, lui aussi, fait avec allégresse de nombreux essais et esquisses qu’il offre généreusement, ainsi ces diptyques préparant les albums Fraise et Grasse matinée (L’École des loisirs, 2008 & 2010).
Avec sa fougue proverbiale, Pierre Cornuel encombre son atelier d’esquisses et d’essais (Chu Ta et Ta’o, Grasset jeunesse, 2010 & Éclats de lune, Hong Feï, 2013).
Quant à Claude Ponti, il fait des recherches au crayon en écoutant la radio qui semble l’inspirer (Le Doudou méchant, L’École des loisirs, 2000) ou ponctue ses projets graphiques de notes plus ou moins fantaisistes : les travaux préparatoires nous en apprennent beaucoup sur la personnalité de l’artiste ! Une planche aux commentaires décalés servira d’affiche pour un Lire en Fête en 2002 (Petit Prince Pouf, L’École des loisirs, 2002).
Sara déchire, pour chaque page, plusieurs essais, mais ceux qui ne seront pas retenus ne sont souvent pas moins aboutis que ceux qui seront publiés (La Petite fille sur l’océan, Circonflexe 2002 et Mon chien et moi, Épigones 1995).
L’éditeur a, bien évidemment son mot à dire. Ainsi Marcus Osterwalder a-t-il rejeté un projet de couverture pour Les Cristaux du Mont Blanc (Archimède, 2009) que Fabian Grégoire a reconnu « cucul », pour privilégier un détail de la page 35 de l’album que l’illustrateur a « bidouillé sur ordi ».
L’éditeur peut aussi saisir les ciseaux d’Anastasie. Pour une couverture de La Petite sirène d’Andersen chez Gallimard, Georges Lemoine s’est vu ainsi sommé de cacher les roses petits bouts de seins, fort discrets cependant, de la belle ondine. Un courrier avec sa grande enveloppe y fait une railleuse allusion.
Ce qu’il est intéressant de constater, c’est que le mieux peut être l’ennemi du bien : un crobard très libre, enlevé avec spontanéité, est souvent plus réussi que l’original léché confié à l’imprimeur. Ainsi en est-il de la couverture à l’aquarelle que François Place a faite pour la Jeanne d’Arc de Michael Morpurgo (Gallimard Jeunesse, 2000, Folio Jr).
L’original d’une double page de Grégoire Solotareff, présentant quatre truculents portraits de l’inénarrable Monsieur l’Ogre, témoigne d’une technique qu’il employa à ses débuts : dessins à l’encre agrandis par des photocopies successives et mise en couleurs à l’aquarelle (Monsieur l’Ogre est un menteur, L’École des loisirs 1987). À la même époque (1986), sa sœur Nadja publiait, chez Gallimard, Pourquoi les éléphants sont gris, illustré de robustes dessins noirs à l’acrylique et au fusain, manière qu’elle abandonnera par la suite au profit de techniques plus picturales.
Lorsqu’on découvre certains originaux, on est étonné de leur format. Ainsi ceux des éléphants gris de Nadja sont infiniment plus grands que le livre. De même, celui de la couverture du Panda de Kimiko, avec les couleurs toniques de sa gouache, sa silhouette lisible de loin et sa taille confortable, l’apparenterait plutôt à une affiche.
Impossible, hélas ! d’énumérer ici toutes les œuvres exposées, le labyrinthe inédit de Michel Boucher, les études de monstres d’Emmanuelle Houdart, les blops d’Hervé Tullet, les portraits de Martin Jarrie (La Vie des gens, Les Fourmis rouges, 2013), une calligraphie de Laurent Berman, un Ganesh de Christian Broutin, le rouge bateau d’Éric Battut (La Belle et la Bête, Bilboquet, 2003)…
Le dernier album auquel nous faisons un clin d’œil paraît chez MeMo juste pour l’ouverture de notre exposition. Il s’agit du superbe Circus d’Étienne Delessert, un de ces « ouvrages qui vous emportent dans les mondes parallèles de l’imaginaire et qui sont le miroir de notre époque » ; il nous en a prêté le chemin de fer, une somptueuse planche originale et son calque préparatoire.
Du fonds patrimonial de l’Heure joyeuse
Fonds François Ruy-Vidal
François Ruy-Vidal a donné à l’Heure Joyeuse une grande partie de ses archives. J’ai eu la chance, guidée par Hélène Valotteau, de les consulter dans les hangars de Saint-Denis où les trésors de la bibliothèque trouvé refuge avant leur installation dans la médiathèque Françoise Sagan. Une escapade dans les souvenirs et émotions des années septante : nous exposerons donc des images de Danièle Bour (un Petit chaperon rouge inédit) et Nicole Claveloux (un original et sa variante inédite pour La Forêt des lilas édité par Harlin Quist en 1970) que François Ruy-Vidal a magnifiées dans d’imposants cadres dorés. Autres découvertes : un original d’Henri Galeron pour Murphy, Mollie, Max and me (Harlin Quist, 1976) acquis par Françoise Lévêque au cours d’une vente, ainsi que la maquette d’une page de Pierre l’Ébouriffé avec les dessins inoubliables de Claude Lapointe (Harlin Quist-Vidal 1972).
Nous avons aussi retrouvé, non sans pincement au cœur, les originaux d’un album mythique paru chez Harlin Quist en 1971, Sur la fenêtre le géranium vient de mourir mais toi… oui, toi… toi qui vois tout, toi qui peux tout, tu n’en as rien su. Ce brûlot, qui suscita moult polémiques dans le microcosme de l’éducation, stigmatisait les rigidités d’un enseignement dogmatique qui ne permettrait pas à l’enfant de donner le meilleur de lui-même.
Pour ce livre, l’éditeur avait souhaité « des artistes modernes, non spécialisés pour enfants, et ne faisant pas semblant de dessiner pour des enfants ». Ce choix, il y a quarante-cinq ans, était novateur et audacieux. Il a alors confié les textes d’Albert Cullum à des artistes américains et français afin qu’ils choisissent la séquence qui correspondrait le mieux à leur sensibilité. L’éditeur, grand découvreur de talents, donne avec bonheur leur chance à de jeunes illustrateurs qui ont brillamment fait leurs preuves depuis, comme Henri Galeron et Michel Gay dont les originaux, historiques, sont présentés dans notre exposition, en même temps que ceux de Bernard Bonhomme, Jacques Rozier, récemment décédé, Guy Billout et Patrick Couratin, disparu en 2011.
François Ruy-Vidal, féru de pédagogie, a manifesté une foi indéfectible dans les potentialités de l’enfance et dans sa capacité à s’interroger et à comprendre tous les grands problèmes existentiels qui hantent le monde adulte.
Ainsi a-t-il édité des albums mémorables traitant de la mort, avec un humour légèrement mis à distance par Françoise Mallet-Joris (Les Feuilles mortes d’un bel été, illustrations de Catherine Loeb, Grasset J, 1973), ou avec un lyrisme ethno-philosophique dans Adieu Monsieur Poméranie de Gordon Sheppard illustré par Jacques Rozier (Harlin Quist, 1971). Des images de ces deux albums sont présentes dans l’exposition.
Ils témoignent de la richesse thématique de la littérature de jeunesse des années septante qui abordera désormais tous les sujets, même les plus difficiles, avec une audace qui n’exclut cependant pas le respect de son lectorat.
Harlin Quist soignait particulièrement ses catalogues qui ont fait rêver plus d’un jeune artiste. Une aquarelle intrigante d’Alain Letort témoigne de la créativité graphique privilégiée par la maison.
Le microcosme du monde de l’édition de la jeunesse n’a pas pu ignorer les tribulations très agitées des relations entre François Ruy-Vidal et son associé américain, discorde qui précipitera la chute de la maison Quist-Vidal en 1972. Deux documents inédits de Claude Lapointe, légendés de sa main, datés « Buchmesse Frankfurt – 26 septembre 1970 », sont censés rendre compte de la « perversité » et de la « duplicité » d’Harlin Quist. Une savoureuse rareté.
Varia
Le Fonds patrimonial Heure Joyeuse/Françoise Sagan est la mémoire du livre de jeunesse.
C’est aussi dans ses cartons que nous avons déniché un dossier de Marcelino Truong consacré à la Comtesse de Ségur comprenant maquettes, dessin original et page du Figaro littéraire datée du 10 novembre 2005.
Nous y avons aussi puisé d’intéressants travaux préparatoires de Beatrice Alemagna pour Un lion à Paris (Autrement, 2006) et de Malika Doray pour Gare aux lapins ! (Didier Jeunesse, 2006), ainsi qu’une planche, sa variante non retenue et des calques de Gerda Muller pour Boucle d’or, album paru au Père Castor en 1956, donc avant la naissance du CRILJ, mais rééditée plusieurs fois jusqu’à une édition totalement renouvelée et redessinée par Gerda en 2006 à l’Ecole des loisirs sous le titre de Boucles d’or et les trois ours..
Curiosité technique, nous présentons aussi des films positifs d’impression offset de Dragon de feu (Chen Jiang Hong, Archimède-L’École des loisirs, 2000).
La bibliothèque édite régulièrement des catalogues et les fait illustrer.
Un certain nombre des originaux de ces images sont ici exposés.
Pour Des bébés et des livres (Ville de Paris, 1998), des linogravures mises en couleurs de Joëlle Jolivet.
Pour Des livres et vous (Ville de Paris, 2000), de vigoureuses planches de Laurent Corvaisier.
Pour Lire, est-ce bien sérieux ? (Ville de Paris, 1999), des participations joyeuses de Rémi Courgeon et Serge Bloch.
Pour Tu lis déjà ! (Ville de Paris, 1998), de tendres croquis caractéristiques de la délicatesse de Mette Ivers mais très étonnants chez l’énergique Gilles Rapaport.
Miscellanées graphiques
Ce demi-siècle a vu prospérer les séries, avec des héros récurrents devenus très populaires, ainsi de Elmer, l’éléphant bariolé de David McKee, de Petit Ours brun de Danièle Bour et de l’âne Ttrotro de Bénédicte Guettier : ils sont présents ici avec des images inédites de leurs bébés, aux côtés de Domitille de Pressensé, la maman d’Émilie, qui nous fait découvrir un grimoire de sorcière, souvenir d’un projet inabouti.
Certains albums sont vite devenus des classiques du genre et ont donné lieu à l’édition de nombreux produits dérivés, plus timidement sur le marché français que dans les pays anglo-saxons où vaisselle, peluches, vêtements, jeux et jouets sont offerts largement à la tentation des jeunes lecteurs, démultipliant leur familiarité avec leurs héros favoris.
Estampes
Plus sérieux, et nettement moins mercantiles, nos illustrateurs ont réalisé, dans la mouvance de leurs albums, des gravures diverses.
En marge de l’exposition Gustave Doré (1832-1883) – L’imaginaire au pouvoir du Musée d’Orsay, Albert Lemant, le chouchou des musées parisiens, a gravé en eau-forte, technique où il excelle, la double page de Gustave dort où, hommage à Maurice Sendak, le jeune héros chevauche gaillardement un maximonstre. Cette planche numérotée accompagnait un « Gustave de tête » (Atelier du Poisson soluble- Musée d’Orsay, 2014).
C’est aussi sur cuivre que François Place a gravé, pour la galerie L’Art à la page avec la finesse qui caractérise son trait, la silhouette d’un de ses Derniers géants (Casterman, 1992). Ce récit de voyage inspiré et nostalgique a fait découvrir son immense talent et lui a valu une kyrielle de prix : Totem Album du livre de jeunesse de Montreuil, Prix du livre de jeunesse de la Société des gens de lettres, Cercle d’or de Livre Hebdo, Prix Sorcières, Prix des critiques belges, Prix Lire au collège, Prix de la ville de Pithiviers, Prix des lecteurs en herbe de la ville de Bègles, Prix Hungry Mind Revue, Prix Rattenfänger de la ville de Hameln, Prix « Capitale » des Libraires de la ville de Paris et l’a fait figurer sur la liste d’honneur d’IBBY France. Une notoriété bien méritée que ses livres suivants conforteront.
C’est la forme du bicorne de l’empereur qui a fait germer, chez Gilles Bachelet, l’idée de transformer Napoléon Bonaparte et ses comparses en champignons. Ce sera Champignon Bonaparte, chef d’œuvre d’intelligence, de culture, de drôlerie, de virtuosité et d’inventivité graphiques qui a séduit d’éminents historiens dès sa parution au Seuil en 2005. Gilles Bachelet s’est beaucoup documenté pour écrire et illustrer cet album, accordant un soin particulier à la reproduction des costumes, uniformes et toilettes, mais aussi à celle des champignons : on reconnaît sans peine morilles et girolles, cèpes et coprins chevelus, amanites tue-mouche et laccaires améthyste… Dans le sillage de cette belle aventure éditoriale, il grava quelques planches pleines d’humour, osant même une espiègle scène de fornication mycologique !
Michel Gay est l’auteur de la charmante lithographie du garçonnet au cerf-volant qui servit d’emblème à L’Art à la page durant de longues années.
Grand amoureux de New York et des atmosphères portuaires, Louis Joos en a souvent fait le décor de ses livres noirs, dans l’esprit du Quai des brumes de Carné ou de Remorques de Grémillon. Il a réalisé une sombre lithographie représentant le port de New York et deux personnages, des marins ou des dockers, à la silhouette sévèrement campée et à la mine déterminée.
Venues elles aussi de Belgique, une sérigraphie de David Merveille en hommage à son cher Monsieur Hulot à qui il a consacré plusieurs joyeux albums publiés au Rouergue, et une gravure poétique à souhait de l’énigmatique Anne Herbauts.
André François a publié de nombreux livres d’enfants aux États-Unis et la plupart n’ont jamais été traduits dans notre hexagone. Cependant on trouve sur le marché français Arthur le Dauphin qui n’a pas vu Venise du poète et critique américain John-Malcolm Brinnin (1961). C’est Christiane Abbadie-Clerc qui, en 1997, a eu la bonne idée de le confier à un éditeur bordelais, Le Mascaret, qui l’a accompagné d’une lithographie devenue célèbre.
On sait l’amour de Lionel Koechlin pour l’univers circassien, présent dans de nombreux livres et toutes sortes de lithographies dont certaines furent tirées dans le célèbre atelier Mourlot qui édita les œuvres des plus grands maîtres du XXème siècle, Picasso, Matisse, Chagall, Miró, Braque, Dubuffet, Léger, Giacometti…
C’est naturellement dans ce prestigieux atelier que Jacqueline Duhême réalisa une série de lithographies à partir des planches de Tistou les pouces verts dont le texte fut écrit par Maurice Druon en 1957 et que Gallimard réédita en 1992 et 2005.
Déclinaisons diverses
Il n’est pas rare que les illustrateurs aient un animal favori. Pour Elzbieta, en grande partie à cause de la magnifique gravure qu’en fit Dürer, c’est le rhinocéros, « monstre merveilleux… survivant de l’Atlantide ». Elle en a croqué un magnifique dans son Grimoire de sorcière (Pastel, 1990), puis en a réalisé de poétiques variantes, avec les techniques subtiles et mystérieuses dont elle a l’impénétrable secret.
Daniel Maja a, durant plus de 30 ans, fait des dessins pour le Magazine littéraire. Sa culture, son humour, l’originalité et le mordant de son trait ont fait de certains dossiers des pièces d’anthologie. C’est à partir de celui, si réussi, sur les Épicuriens que, inspiré par les carreaux de faïence anciens d’une cuisine amie, il a aquarellé en bleu de Ponchon des reproductions de ses vignettes qu’il a marouflées sur toile pour en faire un très élégant et drolatique panneau.
Toujours en recherche de techniques nouvelles et de supports inédits, Claire Forgeot a avisé un jour une antique planche à laver, ravinée par les coups de brosse d’une vieille lavandière. Elle en a fait une Ève paradoxalement asexuée, dans la lignée des personnages qu’elle illustra sous la houlette de Nicole Maymat.
La mutine Albertine et son mari Germano Zullo, sortent parfois du livre d’enfance pour concocter, en complicité et duplicité, des livres érotiques drôles et audacieux. À mi-chemin entre ces deux mondes, elle a peint avec malice quelques planches légèrement coquines pour l’exposition Pour adultes seulement. La plus sage se retrouve ici.
Antonin Louchard créa, pour L’Art à la page, Portance, une carte postale discrètement surréaliste.
Pascale Bougeault réalisa, pour la médiathèque départementale de la Mayenne, un coffret de jeux. Les jetons y sont rangés dans des sacs en tissu dont les motifs sont inspirés par le patrimoine de la région. Elle nous en a prêté les esquisses préparatoires et une pièce de cotonnade.
Com de com !
On aurait pu exposer des milliers d’affiches et nombre d’entre elles réveillent bien des souvenirs.
Affiches d’éditeurs
En 2015, L’École des loisirs fête également son jubilé. L’emblème de la maison est un papillon lecteur créé au début des années septante par André François. L’original de cette image, frangé d’une émouvante dentelle brune de papier brûlé, fut retrouvé dans les décombres de l’atelier détruit par un tragique incendie en 2002. Conservé dans les archives familiales, il fut provisoirement déposé au Centre André François.
Alors que de nombreux éditeurs déclinent en affiches des pages ou des couvertures de leurs albums, L’École des loisirs fait créer un visuel par la plupart des artistes de la maison. Distribuées avec générosité, ces affiches ornent les murs de nombreuses écoles et bibliothèques partout dans le monde. Le livre y est omniprésent. Ainsi, le loup déguisé en grand-mère de Grégoire Solotareff lit au lit.
Pour les 15 ans de Gallimard Jeunesse, Henri Galeron a créé lui aussi une amusante scène de lecture animale tandis que Delessert, grand amateur de chats, croquait la féline silhouette de l’emblème de la collection de contes Grasset Monsieur Chat, à l’illustration de laquelle lui et son épouse Rita Marshall invitèrent les plus grands noms du graphisme mondial.
Salons, colloques et expositions
Les salons du livre se multiplient et demandent souvent la création d’un visuel. Jean Claverie a juché son petit bonhomme sur le donjon du château de Crépy-en-–Valois à l’ombre duquel on célébrait un tonique Festivalivres. Pef, le militant généreux, fut sollicité pour annoncer Vers un monde meilleur à Margny-lès-Compiègne, tandis que Nadja y attirait son Chien bleu Dans la forêt des contes, que Yvan Pommaux y résolvait Énigmes et enquêtes, que Philippe Dumas y croquait des Portraits d’écrivains, que Joëlle Jolivet y soupirait Ah ! La mode ! ou que Michelle Daufresne, qui venait de perdre son mari, y symbolisait ses Peines de cœur. Toutes les campagnes de cette petite médiathèque eussent mérité d’être présentées ici.
Le jubilé du CRILJ a été l’occasion d’un ambitieux colloque, Raconter hier pour préparer demain. Christophe Besse présenta deux projets qui seront ressentis comme ironiques par le comité de pilotage qui les refusa, préférant adopter un visuel, utilisé antérieurement pour un salon, qui montrait un enfant d’hier arrosant un enfant de demain.
Dans la mouvance criljienne, nous présentons un projet de Bernadette Després, la maman de Tom-Tom et Nana, pour une couverture de la revue Griffon.
Pour les expositions d’originaux, individuelles ou collectives, souvent thématiques, des affiches sont aussi créées : joyeuse mosaïque de scènes tunisiennes pour les Orientales de May Angeli ou les évocations transalpines pour les Italiennes de Letizia Galli à Amiens, palabre solaire de Dominique Mwankumi se souvenant de ses Impressions du Mali, somptueuse scène de désert avec Zaü annonçant Les Mille et une nuits en Picardie, éclatante composition ethnique pour Laura Rosano et ses Impressions d’Afrique à Beauvais où Alain Gauthier rêva de Merveilleuses merveilles, et Frédéric Clément des Soleils levants d’un onirique Extrême-Orient. La qualité de ces créations témoigne de l’engagement de Brigitte Braillon, charismatique conservateur de bibliothèque trop tôt disparue.
Une florentine à Trouville a permis à la facétieuse Letizia Galli un euphorisant autoportrait.
Adepte de la gravure, Sacha Poliakova a réalisé une xylographie inspirée, discrètement autobiographique, pour l’exposition qui accompagnait sa résidence au Centre André François.
Signatures et courriers
Au cours de ces salons et de ces expositions sont organisées des séances de signatures. Certains illustrateurs n’hésitent pas à apporter outils et matériaux faisant de ces envois d’authentiques œuvres d’art, ainsi de la regrettée Kelek (décédée en 2002), de Charlotte Mollet et Anne Buguet ou encore de Bruno Heitz. Les amateurs de BD font commerce de ces pages de titre dédicacées. Ce n’est heureusement pas (encore?) le cas pour les albums de jeunesse.
Les accueils dans les musées, salons, galeries et médiathèques sont aussi l’occasion de signer les livres d’or. Il va de soi que ces paraphes d’artistes sont accompagnés de réjouissants dessins.
La Poste a eu la bonne idée de solliciter les illustrateurs (Henri Galeron, Jame’s Prunier, Danièle Bour, Christian Broutin, Emmanuelle Houdart, Serge Bloch, Olivier Tallec, Tomi Ungerer, Pef…) pour créer des timbres. Dans une époque où le courriel électronique prend le pas sur le courrier postal, ces vignettes deviennent les précieuses reliques de temps presque révolus.
Recevoir des courriers d’illustrateurs est un rare bonheur. Les enveloppes sont souvent décorées, les vœux sont personnalisés et créatifs et peuvent prendre la forme de pop-up (Julia Chausson) ou de signets (Martine Delerm, Albert Lemant, Nicole et Yvan Pommaux, Hervé Tullet). Alice Charbin y déploie sa grâce et son humour. Le mail art est pratiqué largement par David McKee et le musée de la poste de Tokyo a consacré une importante exposition avec catalogue à ses enveloppes et à celles de ses amis. Jacqueline Duhême qui a multiplié les amitiés de célébrités a vu ses courriers exposés au musée Picasso. Certains des courriers de Georges Lemoine furent dévoilés à l’abbaye de Saint-Riquier.
Nous sommes heureux de montrer quelques exemples de cette riche correspondance.
Dans les coulisses de l’album présente des œuvres de l’Heure Joyeuse, d’une collection privée mais aussi des archives des artistes. Que tous ces prêteurs soient ici chaleureusement remerciés.
Les techniques de l’illustration : tradition et innovation
Une multiplicité de possibles
Dans une contribution remarquable à la revue Notre librairie (Hors-série – Janvier-mars 2003), Daniel Maja écrit : « Face à la multitude des ressources graphiques, l’illustrateur a l’embarras du choix : le dessin, la peinture, la gravure, le modelage, l’empreinte, la 3D… chacun doit expérimenter pour découvrir les techniques dans lesquelles il se sent le plus à l’aise. L’artiste peut les mélanger (techniques mixtes), les varier selon les références plastiques, les sujets et la symbolique qu’ils évoquent. Tout doit concourir à l’expression personnelle et à l’originalité….Manipuler la matière, dense ou fluide, pâteuse ou subtile, l’odeur même de l’huile, des siccatifs, des vernis pour la gravure, l’outil qui pénètre dans le bois, les copeaux, ou le lino, la plume qui gratte, le frôlement du pastel, la pointe de burin dans le cuivre, représentent autant de sensations, de plaisirs rares. »
Loin des discours éculés sur les affres et douleurs de l’enfantement artistique, Daniel Maja évoque ici, avec gourmandise, la sensualité du geste, et la jouissance voluptueuse de la création. Il devient alors évident que le choix de la technique, des outils, des supports participe, de façon essentielle, à la réussite du produit fini que sera l’album édité.
Il semblerait qu’il y ait grosso modo deux principales sortes d’illustrateurs, que d’aucuns appellent les sangliers et les renards. Le sanglier reste fidèle à la même technique et fouille, fouille toujours pour l’approfondir, l’améliorer, la peaufiner, tandis que le renard fouine, museau au vent et explore constamment des voies nouvelles.
Ainsi, Gilles Bachelet (aquarelle), Éric Battut (acrylique), François Place (aquarelle et encres), Jennifer Dalrymple (gouache), Alain Gauthier (acrylique), Sara (papier déchiré), seraient de la famille des « sangliers », alors que Frédéric Clément, Michelle Daufresne, Elzbieta, Katy Couprie, Laura Rosano, Antonin Louchard ou Letizia Galli seraient apparentés au « renard ».
Mais cette pittoresque distinction ne couvre évidemment pas tous les cas de figures. Certains artistes oscillent entre deux ou trois manières, privilégiant l’une ou l’autre selon le sujet ou l’inspiration du moment, ainsi de May Angeli, Zaü, Nadja, Daniel Maja, David McKee ou Mette Ivers.
La vogue, nouvelle, des expositions d’originaux, la jubilation des collectionneurs de dessins et d’esquisses, la naissance, encore frileuse en France, mais bien établie dans les pays anglo-saxons ou au Japon, de galeries spécialisées, l’entrée des originaux dans les collections publiques, l’organisation de ventes aux enchères et l’émergence, timide, certes, mais réelle, d’une cotation de leurs valeurs, informent progressivement le public français, souvent néophyte en ce domaine, de l’infinie richesse d’un genre artistique presque aussi neuf que le cinéma puisque, limité longtemps à la gravure, il ne s’est que récemment diversifié et épanoui en fonction des progrès des moyens d’impression. Car, si respectueux et méticuleux que soient les éditeurs et les imprimeurs pour la réalisation des livres, rien ne remplacera jamais le contact direct, physique, avec l’original qui, seul, restitue la sensualité des matières et la chaleur, émotionnellement sensible, de la main qui, du cœur et du cerveau, guidait l’outil.
Inventaire
Dans ce même article à discrète vocation pédagogique, Daniel Maja, expert en arts graphiques – ancien élève de l’École Estienne, il a longtemps enseigné à l’École Émile Cohl de Lyon – fait un inventaire, non exhaustif, des techniques employées par les illustrateurs :
« *le dessin : crayons, fusains plus ou moins gras, mines (Conté), pastels (noirs, sanguines, couleurs), crayons de couleur, aquarelles, stylets…
*les encres : plumes de toutes formes, bambous, pointes, feutres, stylos, pinceaux, brosses, chinois, pinceaux à lavis de tous poils, (des plus doux aux plus rêches) ; lavis d’encre, sépias, café, teintures, vernis…
*les peintures : gouache, aquarelle, lavis, peintures acryliques, à l’eau ou à l’huile, pastels gras ; colorants et encres de toutes natures, poudres, pigments, peintures sur soie…
*les matières : sables, goudrons, végétaux, bitumes, empreintes, traces, soufflette, peigne…
*les gravures (nécessitant une presse) : sur métal, (burin, pointe sèche et tout outil saillant), aquatinte, manière noire, vernis mou, sucre ; xylogravure (sur bois), linogravure, sur plastique ; lithographie (sur pierre) ; monotypes, gaufrages, frottis, empreintes ; carbones, transferts, tampons…
*les collages : journaux, montages d’images, transferts, tissus…
*reliefs ou 3D : modelage en terre, pâte à papier, pâte à modeler, pâte à sel, fil de fer ; dioramas, marionnettes, art brut… Ces techniques imposent une prise de vue avec ses particularités : éclairages, ombres portées, mise en scène, angle de prise de vue, cadrage.
*l’ordinateur et toutes ses possibilités de colorisation, déformation, manipulation… »
Ajoutons que les supports, eux aussi, peuvent varier et contribuent indéniablement au rendu de l’image : bois, carton(s), toile, tissus, verre, céramique, terre cuite, métaux… et, bien sûr, papier(s) de toutes sortes, depuis le kraft ou le papier d’emballage le plus fruste, les papiers récupérés ou recyclés, les feuilles arrachées des cahiers d’écoliers, papiers Canson blancs ou de couleur, jusqu’à la noblesse des « grands papiers », papiers artisanaux des moulins, vélins et vergés prestigieux de Fabriano ou d’Arches, avec, en outre, la possibilité de superposer, de maroufler sur bois, pierre, carton ou toile…
Le scanner, la photo numérique, l’ektachrome, de plus en plus perfectionnés, facilitent le travail de l’imprimeur et permettent le passage de ces originaux de la table confidentielle de l’artiste à la page publiée du livre, l’offrant, de façon de plus en plus fidèle, à la contemplation du plus grand nombre.
L’outil est si important que, tel le pinceau chinois de Pierre Cornuel (Eclats de lune, Hong Feï 2013), il peut devenir le héros d’un livre . Quant aux crayons, chargés, depuis le tragique attentat de Charlie Hebdo, d’une force symbolique, ils ont envahi la presse, l’écran, les réseaux sociaux et même les rues.
Si l’on veut se régaler d’un inventaire joyeux de nombre de ces techniques, on peut se référer au sommaire de quatre célèbres imagiers édités, entre 1999 et 2005, par Thierry Magnier, Tout un monde, Au jardin, à table, et Tout un Louvre. Dans ces pavés ludiques et intelligents, sortes de marabout – bout de ficelle de l’image, deux compagnons de papier particulièrement imaginatifs, Katy Couprie et Antonin Louchard, ont utilisé, toutes sortes de procédés et se sont amusés à faire se télescoper, avec une inépuisable créativité graphique, maints codes du genre. Ils jouent, sans texte aucun, avec virtuosité, des clins d’œil et des références, des associations d’idées, des parentés formelles et visuelles, des changements d’échelle, des effets de zoom, des cadrages, des points de vue, des mises en pages : une inventivité jubilatoire d’où la poésie n’est pas exclue, qui explique un succès éditorial inattendu. Ces épais petits livres synthétisent la somme des recherches de nombreux illustrateurs contemporains avides de s’éloigner des dessins, peintures et gravures traditionnellement en usage dans l’édition, pour étendre et diversifier leurs expérimentations en profitant des fabuleuses possibilités offertes par les progrès de la reproduction et de l’impression.
Si le sommaire de ces imagiers indique clairement les techniques utilisées, cette démarche éditoriale
est rare. Les éditions suisses de La Joie de lire font aussi mention des techniques, mais c’est un cas isolé dans le monde de l’édition et la petite cuisine des artistes, au vu des livres imprimés, demeure la plupart du temps une alchimie mystérieuse.
Dans le secret d’une vingtaine d’ateliers
Comme il est impossible d’être exhaustif et de répertorier toutes les techniques utilisées au cours du demi-siècle écoulé, on s’intéressera à quelques manières et parcours d’artistes singuliers présents dans l’exposition.
May Angeli
À ses débuts, May Angeli utilisait l’encre, l’aquarelle, la gouache ou le crayon. Puis un stage à Urbino, patrie du grand Raphaël, lui révéla l’usage de la xylographie qui, depuis, est devenue son mode d’expression privilégié. D’une vigueur singulière dans le coup de gouge, virtuose dans l’art de la mise en page, elle excelle autant dans les compositions noires que dans l’usage de la couleur, maîtrisant avec une remarquable précision la superposition des planches monochromes et jouant habilement avec les veines et aspérités de ses bois. Malgré la résistance des outils et des matériaux, elle parvient superbement à exprimer les variations de la lumière, le mouvement des animaux, la poésie des végétaux et la présence charnelle des humains.
Elle a, très ponctuellement, pratiqué la lithographie et l’eau-forte.
Pour les ateliers de création qu’elle anime avec un dynamisme infatigable, elle utilise la linogravure, d’un usage plus facile pour un public novice, souvent très jeune.
Frédéric Clément
Après des débuts presque classiques à l’aquarelle, Frédéric Clément expérimente, à chaque livre, des techniques nouvelles : acryliques lustrés à l’huile ou dorés à la feuille de cuivre, collages de tissus, de papier, de pétales, de feuilles mortes, de papillons et d’insectes sur des papiers méticuleusement choisis, anciens en particulier, sur des toiles parfois usées voire brûlées, ou entre des plaques de verre, photos de détails architecturaux, de graffiti, de femmes ou de paysages, plus ou moins retravaillées et toujours mises en scène, installations d’objets précieux ou de débris parfois minuscules de matériaux (verre, terre cuite, végétaux) peints, gravés, calligraphiés, soin infini donné à des miniatures réalisées sur les supports les plus inattendus…
Il trouve une véritable jubilation dans ces créations de plasticien qui participent au cheminement narratif. Chaque livre est un objet précieux, dont le format, la reliure, les papiers, la mise en page, la couleur dominante sont pertinents et en adéquation avec l’histoire racontée. Ce raffinement byzantin et sa démarche originale en perpétuel renouvellement, lui donnent une place à part dans le paysage éditorial français.
Pierre Cornuel
Esthète exigeant, Pierre Cornuel aime à travailler de préférence « sans électricité » et adapte avec jubilation ses techniques au propos de ses livres. Plume et encre sépia avec mise en couleur à l’aquarelle pour ses albums de la veine de Beatrix Potter, acrylique sur papier flamboyant à gros grain pris « à rebrousse-poil » et encre mise en couleurs sur Photoshop pour ses livres pour ados, et, dans ses derniers albums en hommage à la peinture chinoise, une cuisine subtile à l’encre de chine et bâton de pin brûlé dilué sur pierre à encre, appliquée avec une incroyable collection de pinceaux chinois en martre, loup, renard, cheval, chèvre, cochon, coq, sur un sensuel papier aubier de santal assoiffé, qui boit l’encre goulûment, et dont l’épaisseur varie de une à trois couches. Pour ses œuvres personnelles où il privilégie l’huile, il prépare ses fonds avec des enduits où, sentimentalement, il intègre des sables ramassés au cours de ses nombreux voyages, aux îles grecques, par exemple, ou en Australie. Il s’adonne ponctuellement à la gravure sur cuivre.
Michelle Daufresne
L’inspiration de Michelle Daufresne, généreuse et profondément altruiste, s’exprime avec des techniques d’illustration qui ont considérablement évolué au fil des années et des livres.
Sans doute est-elle poussée au changement par les expositions successives de son travail de peintre en galerie. Ainsi, les sages aquarelles et encres des débuts se sont-elles vues aspergées d’eau de Javel, éclaboussées de sel, postillonnées à la pipette (que feu son architecte de mari nommait malicieusement « souffle au cul »…), alourdies de sable ou décorées des collages les plus inattendus. Elle expérimente l’eau forte et même les photos d’installations : petites sculptures, écorces, feuillages et galets mis en scène sur des fonds peints très raffinés.
Mais, à toutes les époques, ce qui caractérise ses images, c’est la sensibilité, la poésie, la fantaisie, et la grâce primesautière de son coup de pinceau.
Étienne Delessert
Même s’il affirme modestement ne pas savoir dessiner et être resté l’autodidacte qui peine sur chaque image, c’est avec une aisance souveraine qu’Étienne Delessert maîtrise les techniques et outils traditionnels, aquarelle, gouache, peinture acrylique, crayon, acryligraphie, encres à la plume ou au pinceau, peinture émail, et, à ses débuts, huiles et tempéra… au service de ce qu’il nomme, non ses illustrations, mais ses dessins graphiques, sa « visualisation d’idées ». Son trait est audacieux et vigoureux, et sa palette lyrique et luxuriante à la fois.
Ses images, énergiques et sensibles, d’une poésie étrange et dérangeante, sont réalisées sur des supports variés, parfois inattendus pour des œuvres destinées à l’impression, car il peint et dessine avec brio sur de classiques papiers de textures diverses, mais aussi sur toile, étain, panneaux de bois, cartons teintés, jouant ainsi subtilement des opacités et des transparences.
Jacqueline Duhême
Jacqueline Duhême travaille essentiellement à l’aquarelle, gracieuse et légère, et ne se sépare jamais de sa jolie petite boîte qui l’a toujours accompagnée dans ses animations scolaires et ses séances de dédicaces. Elle avait édité une première version de Tistou les pouces verts en remarquables dessins à la plume et a décliné en lithographies, dans le prestigieux atelier Mourlot qui travailla pour Picasso et tous les grands du siècle, quelques images de ce beau livre. Elle a aussi, ponctuellement, expérimenté la linogravure.
Elzbieta
Certains illustrateurs répugnent à dévoiler leurs secrets de fabrication. Ainsi en est-il d’Elzbieta qui raconte ses souvenirs et décrit ses sentiments avec une déchirante générosité mais se dissimule avec une pudeur effarouchée lorsqu’on l’interroge sur ses techniques… ce qui ne manque pas de poser problème aux commissaires de ses expositions qui doivent se contenter, sur leurs cartels, d’un vague et décevant « Techniques mixtes ». Il est vrai que sa fabrique est subtile, et bigrement élaborée, et un examen attentif de ses originaux ne permet de lever qu’un petit coin du voile. De plus sa variété de styles est étonnante, toujours inventive, toujours élégante : dessin caressé d’une plume légère, aplats de couleurs vives vigoureusement cernées de noir, collages, délicate superposition de papier Japon qui joue les transparences… Parfois, c’est la fantaisie joyeuse qui prime, parfois, c’est une mélancolie émue, une tendresse nuancée, mais toujours la manière colle avec le propos.
Claire Forgeot
Claire Forgeot n’a que rarement utilisé des techniques traditionnelles. Admiratrice d’André François, de Bacon et surtout de Alechinsky, elle a souvent mélangé avec bonheur les techniques et les textures et varié les fonds : elle peint sur bois, grave de robustes linogravures sur un papier recyclé rustique, mêle l’huile, le sable et l’acrylique sur d’élégants papiers Japon, travaille sur des pages de livres anciens déjà imprimés et joue des marouflages sur toile ou sur carton, des collages et des superpositions pour des palimpsestes très raffinés.
André François
André François s’est avéré virtuose dans toutes les techniques : gravures diverses (lithographie, eau-forte…), peintures à l’eau, à l’huile ou acrylique, collages incongrus de toutes sortes de matériaux, vaisselle cassée, bois flottés ou brûlés, ferraille, objets détournés et intégrés avec humour dans des compositions grinçantes ou harmonieuses. On ne peut alors qu’être surpris qu’il n’exerçât guère ces expérimentations techniques dans ses illustrations pour la jeunesse où, classiquement, il privilégie l’encre, l’aquarelle, la gouache et le crayon. Si la tradition y est bousculée, c’est par la liberté du trait, d’une souveraine désinvolture.
Henri Galeron
Si l’audacieuse fantaisie et l’anticonformisme iconoclaste caractérisent l’inspiration d’Henri Galeron, ses techniques sont fidèles à la pure tradition des Beaux-Arts, et il magnifie avec élégance et adresse, selon les sujets, la douceur grise du crayon, la transparence des encres et des aquarelles, le velouté de la gouache ou la vigueur éclatante de l’acrylique. Il ne répugne pas non plus, parfois, à l’usage de l’informatique. Il est à la fois un artiste du trait et un chantre de la couleur et il adapte avec discernement l’outil au grain de papiers soigneusement choisis.
Letizia Galli
Les techniques de Letizia Galli ont évolué au fil du temps. Après avoir utilisé les encres sur Fabriano et les aquarelles sur Arches où elle manifeste une remarquable maîtrise ((tout au pinceau: pas la moindre reprise des contours à la plume…), elle passe aux huiles avec lesquelles elle inaugure les fonds sablés, puis travaille les acryliques sur sable, s’adonne aux collages de textures incongrues et passe à l’assistance de l’ordinateur. Le talent de la coloriste s’affirme progressivement, gagnant en raffinement et en subtilité, jouant de la variété des palettes, des camaïeux doux ou sombres, des accords délicats ou des dissonances les plus osées. La mise en page, elle aussi, est intelligente, ménageant toujours astucieusement la place du texte qui se trouve intégré dans l’espace illustré, en harmonie, et parfois même avec humour.
Bruno Heitz
Un évident bonheur à créer et à innover anime les illustrations de Bruno Heitz, depuis les encres, gouaches et aquarelles de ses débuts auxquels se mêleront collages et papiers déchirés, aux linogravures sur papiers collés, ou les bois et contreplaqués découpés et peints à l’acrylique. Ses esquisses crayonnées sont pleines d’allant, et l’ensemble de son œuvre rayonne de générosité et de joie de vivre.
Albert Lemant
Les expérimentations techniques d’Albert Lemant sont passionnantes, toujours élaborées, et s’adaptent avec sensibilité, intelligence et humour aux sujets traités. S’il utilise les traditionnelles peintures à l’eau (aquarelle et encres avec rehauts de gouache), il maroufle ses papiers sur bois, les apparentant ainsi à des tableaux. Il use aussi de la peinture estampée des monotypes qu’il apprécie pour leur aspect joyeux, chaleureux, sensuel. Il exerça la taille douce à l’atelier de Georges Leblanc durant quatorze ans. Aussi est-ce dans l’eau-forte qu’il trouve son plus grand bonheur, qu’elle soit présentée dans la nudité d’un trait expert ou retravaillée à l’aquarelle pour lui donner l’aspect des gravures anciennes qui lui sont chères. Pour ne pas ruiner ses éditeurs, il délaisse parfois les plaques gravées et triche en griffant, avec virtuosité, des dessins à l’encre de Chine qui, imprimés, ressembleront à s’y méprendre à de l’eau-forte.
Georges Lemoine
Dessinateur expert, Georges Lemoine ne répugne pas aux expérimentations, les illustrations à l’huile sur papier ou divers types de gravure, en particulier dans des œuvres confidentielles. Mais ce qui a fait sa notoriété, c’est l’infinie délicatesse de ses aquarelles et encres et la virtuosité de son crayon ou de sa plume qui sont à l’origine d’authentiques chefs d’œuvre.
Esthète raffiné, il met dans ses dessins un soin très méticuleux et choisit des papiers de qualité exceptionnelle avec une exigence infinie.
Daniel Maja
S’il maîtrise parfaitement d’autres techniques, Daniel Maja marque une prédilection pour le pastel sur papier recyclé qu’il utilise avec beaucoup de subtilité, créant des harmonies en camaïeu chaleureuses et solaires. Il nomme parfois « encéphalogramme de son inconscient » le trait, diaboliquement sûr, de ses dessins et croquis à l’encre ou au crayon, coloriés ou pas. Il pratique volontiers le marouflage de ses œuvres sur papier sur des châssis toilés ce qui démultiplie la force de leur présence.
Alan Mets
Chez Alan Mets, les techniques sont différentes d’un livre à l’autre et les aquarelles du début ont fait place à la gouache, à l’acrylique, à l’encre ou à des techniques mixtes toujours d’une grande force graphique. Les matières sont transparentes parfois, ou plus ou moins opaques, avec des coups de pinceau invisibles, ou au contraire très présents, des effets de gouache blanche qui donnent une forme de lyrisme mystérieux à certaines images et célèbrent la contemplation des grands espaces, des nuits étoilées, des feux de camp, des étendues neigeuses, des forêts nocturnes.
Le papier est soigneusement choisi, du classique Canson au raffiné papier Japon.
Nadja
Après un premier livre robuste au fusain, Nadja oscille entre deux manières principales, entre drôlerie et lyrisme : le livre peint, à l’acrylique ou plus encore à la gouache, avec une épaisseur impressionnante de matière, avec des atmosphères oniriques, mystérieuses et poétiques et le livre dessiné, éventuellement colorié à l’encre ou à l’aquarelle, dont l’inspiration est plus humoristique (ainsi de ses truculentes parodies des contes de fées ou de sa jubilatoire relecture des légendes mythologiques).
Laura Rosano
Laura Rosano use de techniques originales et très élaborées. Elle pratique les découpages au cutter, brode sur tissu ou sur carton, entaille la carte à gratter, triture des papiers de soie qu’elle a elle-même teintés, colle des papiers de bonbons, de chocolat et peint, aussi, à la gouache surtout.
Ce goût du bricolage se retrouve dans ses autres activités: réalisation d’affiches, d’objets uniques, de paravents, de chaises, de dessins pour textiles, de foulards de soie… ainsi que dans les nombreux ateliers de création qu’elle anime avec conviction.
Sara
L’élégance, le tact et la discrétion caractérisent la démarche de Sara qui use, dans toutes ses publications éditoriales, d’une seule et même technique, le papier déchiré.
« Il y a, dit-elle, dans mon geste lorsque je déchire, une immédiateté, une proximité avec mes sentiments, que je n’éprouve pas… avec les autres techniques. En fait, ma manière de faire est différente. Ce n’est pas une technique d’illustration… Déchirer du papier, c’est un langage. J’utilise cet autre langage. » Un langage qu’elle maîtrise magnifiquement, réussissant à exprimer, dans ses déchirures, les sentiments et expressions les plus ténus, avec une sobriété dans les formes et une harmonie dans la palette qui laisse pantois d’admiration.
Grégoire Solotareff
Les premiers albums de Grégoire Solotareff utilisent l’encre, la gouache et l’aquarelle puis jouent des photocopies démesurément agrandies, aquarellées ensuite. Puis il expérimente de violents aplats d’encre colorée cernés d’un vigoureux trait noir. Il dédaignera ensuite ce cloisonnisme et, à la suite de sa sœur Nadja, il introduit la peinture à l’acrylique dans l’album illustré.
La matière alors se densifie, les coups de pinceaux sont appuyés, les couleurs vives jusqu’à frôler parfois l’agressivité dans certains titres, ou, dans d’autres albums, le nuancier est sombre, romantique et dans des harmonies en camaïeu, à la fois audacieuses et raffinées. Un authentique talent de peintre. Toujours curieux d’explorer des voies nouvelles, il vient de publier deux titres colorisés à l’ordinateur et un dernier album où il a réutilisé des techniques élaborées propres à ses films d’animation (premier et second plan à l’aquarelle fusionnés sur Photoshop).
Zaü
En dehors du pastel gras sur papier recyclé de couleur – « du vrai buvard » – qui lui a valu le succès que l’on sait, Zaü use du pastel sec qui permet, dit-il « d’aller vite sans avoir à tartiner la feuille ». Sa rapidité d’exécution lui permet de saisir prodigieusement le mouvement de ses si vivants personnages. Il travaille parfois sur des transparents au recto desquels il dessine vigoureusement les contours à l’encre de Chine, coloriant le verso à l’acrylique.
Il est à la fois un virtuose du trait et un artiste de la couleur.
Il fait montre, en outre, d’un fabuleux talent de calligraphe qu’il exerce dans ses dédicaces où il ponctue généreusement les portraits à l’encre et au pinceau de ses lecteurs de leurs prénoms et de sa signature calligraphiés d’un geste ample et majestueux.
Il a aussi pratiqué avec talent la sérigraphie en couleurs.
Dates
22/03/2015 – 16/04/2015, Eglise Saint-Étienne de Beaugency
16/06/2015 – 03/07/2015, Bron (Rhône)
12/11/2015 – 31/01/2016, Paris
25/02/2016 – 12/03/2016, Arras
18/03/2016 – 09/04/2016, Mourenx
16/04/2016 – 04/06/2016, Cherbourg
14/06/2016 – 20/08/2016, Reims
16/09/2016 – 19/11/2016, Strasbourg
05/12/2016 – 04/02/2017, Orléans
Une exposition qui a eu lieu à Saint-Étienne de Beaugency, Bron, Paris, Arras, Mourenx, Cherbourg, Reims, Strasbourg, Orléans
du 22/03/2015 au 04/02/2017