Les Vertiges de Guy Billout
Extrait du catalogue
Un américain à Paris
Divine surprise : voici que Guy Billout, qui vit avec « son petite femme » Linda à Fairfield dans le Connecticut, a traversé l’Atlantique pour investir, en ce joli mois de mai, les cimaises de l’École Estienne.
On n’a guère souvent l’occasion d’admirer ses oeuvres à Paris.
Du 4 juin au 24 juillet 2015, il avait exposé ses « Bévues », rue Campagne première, à l’Atelier An Girard, galerie conviviale spécialisée dans le dessin d’humour et l’illustration tenue par Danièle Delorme décédée depuis.
« Déséquilibres », autre exposition parisienne de Guy Billout, eut lieu, du 25 août au 22 septembre 2012, à la galerie franco-belge Petits papiers, rue Saint Honoré.
Un nivernais à New York
Né à Decize en 1941, Guy Billout a suivi les enseignements des Arts appliqués de Beaune avant de travailler, à Paris, dans la publicité. Il part, en 1969, pour les Amériques, où il est accueilli généreusement par Etienne Delessert qui le présente à Milton Glaser, directeur artistique du New York Magazine. Celui-ci publie quatorze dessins autobiographiques que Guy Billout avait amenés dans ses fontes. Ce sera le début d’une fabuleuse carrière de dessinateur de presse et il essaimera dans Time, Fortune, Washington Post, Business Week, Wall Street Journal, New York Times, des Annual Reports pour l’industrie, et surtout The Atlantic Monthly de Boston où, durant 24 ans, il occupera une pleine page avec pour seule contrainte son bon vouloir. Depuis le désastre du 11 septembre 2001, il illustre, dans The New Yorker, les articles du journaliste d’investigation Seymour Hersh, spécialiste des affaires militaires.
Il enseigne à la Parsons School of Design de New York depuis 1985.
Admirateur d’André François, Savignac, Ronald Searle, Hergé, Folon…, il cultive la ligne claire et subit l’influence du Shin-hanga : Alain Korkos a souligné la parenté stylistique qui l’unit au regretté Yan Nascimbene. Ses sages labyrinthes, perturbés d’une présence insolite, ont exercé un ascendant indéniable sur les jardins de Michel Boucher.
Il a créé des pochettes de disques et édité des estampes (Civil engineering, Vision…).
Guy et son frère Dominique, illustrateur lui aussi, mais d’un style très différent, fidèles à leurs origines nivernaises, ont exposé ensemble, en décembre 2013, au Palais ducal et à la Médiathèque Jean Jaurès de Nevers.
Les monuments et paysages des bords de Loire resteront, au fil des ans, une source vive d’inspiration pour ses images, en particulier dans The Frog who wanted to see the Sea, livre d’enfants, magique et écologique à la fois, paru chez Creative editions en 2007 et non traduit à ce jour.
La dangereuse fascination des voyages
Lorsque Guy Billout, « illustrauteur » avant tout, s’attaque à un livre, il le dessine sans-texte, ou, à de rares exceptions près, il en crée le texte et les images.
Son aventure éditoriale a commencé en 1972 par la rencontre avec le charismatique et sulfureux Harlin Quist. Celui-ci le convainc de raconter une histoire, quelle qu’elle puisse être, et s’engage à la publier (mais, selon une fâcheuse habitude, pas à la rémunérer!). Et ce sera, un an plus tard, l’éblouissant Bus 24, album muet, tonitruant des catastrophes qui s’y succèdent devant un minuscule personnage à la Sempé, qui attend, un peu voûté, cartable à la main, imperturbable, un autocar vieillot dont le jaune annonce tous les taxis à venir dans l’œuvre de l’artiste. Un horizon rectiligne caressé par les lueurs de l’aube et la paroi écrasante d’un immeuble délimitent géométriquement l’espace où une voiture est pulvérisée par un train, une barque écrabouillée par un paquebot, un petit aéroplane percuté par un monstrueux bombardier et un tank piétiné ironiquement par une armée de chevaliers carapaçonnés.
Ce Number 24 (Harlin Quist, 1973), publié à New York puis à Paris, salue l’émergence d’un des maîtres de l’humour philosophique. Le livre sera réédité en 1997 et, en 1998, en format réduit.
La Bourse aux projets de l’Institut de l’Internet et des Multimédias (IIM) en produira un dessin animé de Nicolas Renou, sous la direction artistique de Patrick Couratin et Marc Bellan, avec une jolie musique d’Albert Marcœur (2002-2003) : un petit chef d’œuvre cruel et poétique où le temps étiré de l’attente se peuple de cauchemars.
Dans By Camel or by car (Prentice Hall, 1979), traduit par Histoires de partir chez Gallimard en 1980, on retrouve cette attirance pour les moyens de transport en tous genres, dromadaire, bicyclette, moto, voiture, camion, bus, métro, train, scooter des neiges, navire, montgolfière, téléphérique, avion, hélicoptère et même vaisseau spatial. Pour chacun, une double page, avec, à gauche, un texte à deux volets : un souvenir personnel et un paragraphe documentaire. En vis à vis, une image sagement ordonnée, à la palette mélodieuse, dont un détail surréaliste déséquilibre la belle ordonnance.
C’est dans le compartiment d’un train que se déroule Journey, élégamment mis en page par Rita Marshall pour Creative edition en 1993. Un garçon, seul sur une confortable banquette, voit défiler des paysages oniriques, d’une fabuleuse beauté, dont l’harmonie est perturbée par des incongruités drôles et inquiétantes à la fois. Son périple traverse notre univers culturel, historique, littéraire, cinématographique, architectural, et toutes les contrées de notre imaginaire, pour le mener à une vieillesse lyriquement méditative et à la mort. Un album magnifique repris par Pierre Marchand chez Gallimard (En voyage, 1993).
Architectures et ouvrages d’art
Sa fascination pour les architectures anciennes ou contemporaines, le mobilier urbain, les ouvrages d’art, les phares… s’épanouit dans toute son œuvre et tout particulièremet dans Stone & Steel A Look at Engineering (Prentice Hall, 1980) : à gauche, une page écrite, documentaire, scientifiquement renseignée, et sur la page de droite, un dessin où un élément vient faire basculer la scène dans l’absurde. Comme disait Tomi Ungerer, autre européen longtemps transplanté outre-atlantique, « Expect the Unexpected ! ».
C’est ainsi qu’un petit chien semble attendre son os au pied des funèbres tours du silence parsis, que deux bateaux se retrouvent face à face dans l’étroit canal de Corinthe, qu’une petite barque et ses canotiers impressionnistes s’engagent dangereusement dans l’écluse de Panama ou qu’un agneau s’égare dans la cathédrale Sanct John the Divine de New York : souvent le tout petit vit l’angoisse de la confrontation à l’infiniment grand. La transe est, à coup sûr, métaphysique.
Il y a quelque chose qui cloche (Harlin Quist, 1998) et Il y a encore quelque chose qui cloche (Seuil Jeunesse- Crapule, 2002) présentent une succession de scènes peintes où « l’Unexpected » règne sur chaque planche. Un seul mot, décapant, légende chaque page, comme « Phobie » qui sert de laconique commentaire à l’image d’un train qui déraille pour éviter un serpent ou « Contagion » pour ce lierre qui grimpe autant sur les murs d’une noble demeure que sur les flancs de la vache blanche qui broute à ses pieds.
Dans toute son œuvre, Guy Billout manifeste sa prédilection pour l’antique. Nombre des bâtiments représentés sont néoclassiques ou antiques, avec frontons et colonnades plus ou moins stables, certes, mais toujours d’une grande élégance. Cependant, lorsqu’il nous raconte les grandes légendes de la mythologie gréco-romaine, il les replace dans des décors résoluments modernes où l’on peut reconnaître, la plupart du temps, des vues de New York. C’est ainsi que l’éblouissant Thunderbolt & Rainbow A look at greek mythology (Prentice Hall, 1981) transpose métaphoriquement les habitants de l’Olympe dans des lieux improbables mais éminemment symboliques comme le métro pour Hadès, un bloc illuminé de soleil et un taxi jaune pour Hélios, le reflet de la pleine lune dans l’East River pour Séléné et les vapeurs des sous-sols ne sont pas, cette fois, associés à Marilyn mais au forgeron Héphaestos. Le livre se clôt par une confrontation savoureuse entre Jupiter et King-Kong, unissant, par un jubilatoire syncrétisme, les mythes d’hier et d’aujourd’hui.
Et, lacune incroyable pour un album qui manipule aussi brillamment les fondamentaux de notre culture, aucun éditeur francophone n’a eu l’idée de le traduire…
Servir un texte
Quelques livres, aussi, où Guy Billout illustre les textes des autres.
Pour Alaster Cambell, en 2007, il a truffé les trois recueils de conseils logistiques de Nick Souter, Dynamic writing, Persuasive presentations, et Breakthrough thinking, d’une sélection astucieuse de dessins d’ores et déjà publiés qui cousinent bizarrement avec le contenu.
C’est la même démarche qu’il utilise dans sa collaboration inattendue avec ses deux frères, Dominique, le dessinateur, et Jacques, le prêtre nivernais, qui a écrit le texte de Jésus à plus d’un titre Trois frères à la recherche du Fils de l’Homme paru chez Desclée de Brouwer en 2012. En regard de 77 dénominations particulièrement signifiantes du Nouveau Testament, Jacques donne une exégèse verbale, Dominique, une illustration narrative fidèle au texte, et Guy des contrepoints iconiques récupérés parmi ses illustrations antérieures (de The Atlantic Monthly Magazine essentiellement), métaphores anachroniques éclairant d’une lumière singulièrement dérangeante les dogmes et mystères chrétiens.
Les trois frères se retrouvent aux Éditions du Signe, fin 2015, pour célébrer Bernadette et l’Évangile, monographie consacrée à la petite paysanne lourdaise qui sommeille au couvent Saint Gildard de Nevers, telle Blanche-Neige, dans son cercueil de verre. Là aussi, Guy a fait voisiner des dessins publiés avec des créations nouvelles, préférant le symbolique au narratif. Quant à Dominique, il s’y adonne à des compositions abstraites généreusement colorées. On est bien loin de la célébration sulpicienne que l’on pourrait attendre d’un sujet aussi édifiant.
Participation à des ouvrages collectifs
Guy Billout avait, dans les années septante, participé à quelques albums collectifs édités par le redoutable couple Quist-Vidal qu’Étienne Delessert compare savoureusement, dans L’Ours bleu (Sladkine, 2015), au chat et au renard de Pinocchio.
C’est ainsi qu’on lui doit l’invraisemblable scène de ski de Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé n’est pas une pure coïncidence (1974) sur un texte de Max Howard.
De Guy Billout encore, l’irrévérencieuse fornication canine de La Raison des plus grands n’est pas toujours la meilleure (1976), sur un texte de Albert Cullum.**
Surtout, il a fourni l’inoubliable dessin du passe-muraille, particulièrement percutant, au fameux brûlot anti-scolaire d’Albert Cullum adapté par la plume vitriolée de François Ruy-Vidal, Sur la fenêtre le géranium vient de mourir mais toi… oui, toi … toi qui vois tout, toi qui peux tout, tu n’en as rien su. Sa contribution publiée en 1971 voisine avec celles d’artistes français et américains, parfois débutants, mais riches de promesses dont c’est parfois, comme Henri Galeron ou Michel Gay, la première publication : François Ruy-Vidal fut un grand découvreur de talents.***
Son image sera heureusement reprise dans la réédition expurgée par Mona Richez en 1978 (Le Géranium sur la fenêtre vient de mourir mais toi maîtresse tu ne t’en es pas aperçue). ****
Et elle est republiée encore dans la relecture affadie qu’en a faite Patrick Couratin avec un texte adapté par Marie-Ange Guillaume en 1998.*****
L’original de ce célèbre dessin, qui faisait partie de la collection personnelle de François Ruy-Vidal, est conservé à la médiathèque Françoise Sagan dans le fonds patrimonial de L’Heure Joyeuse. Il est montré, en ce moment, dans l’exposition itinérante du CRILJ, Dans les coulisses de l’album Cinquante ans d’illustration pour la jeunesse.
Techniques
Voilà comment Guy Billout « himself » m’a explicité ses techniques :
« Je fais, comme vous dites, des croquis sur le motif, ne sachant pas très bien comment m’y prendre entre l’ambition de capturer un peu de l’essence de ces paysages sublimes et le désir de me faire plaisir.
Pour répondre enfin à votre question sur mes techniques de prédilection, je commencerai par ce que je pratique sur la route : je fais des dessins à l’encre indélébile et je colore à l’aquarelle, en aplats comme j’aime dans les estampes japonaises. La plupart du temps je n’ai que le temps de dessiner en 2 couleurs, me servant du rouge et du noir.
Mon premier livre pour enfants, Bus 24, fut exécuté entièrement au pinceau et aux encres de couleur (Dr. Ph. Martin’s dyes) puis j’ai découvert l’aérographe au début des années 70, que j’ai pratiqué en me servant de l’aquarelle (Windsor & Newton) jusqu’à l’avènement de l’ordinateur et de Photoshop il y a environ 15 ans.
Le grand mérite de l’ordinateur est une plus grande rapidité et un vrai plaisir dans l’exécution, ce qui n’était pas le cas avec l’aérographe qui nécessitait de porter un masque respiratoire pendant l’application des couleurs et un long travail de découpage de masques successifs dans un film adhésif spécial.
Je n’ai bien sûr avec l’ordinateur, plus d’originaux uniques sur papier, mais au bout du compte, j’aime assez l’idée d’une œuvre désormais immatérielle. »
Cette dernière réflexion concorde bien avec la connotation éminemment spirituelle de ses dessins…
A suivre…
En vacances en Norvège, Guy Billout a découvert, à Bergen, l’œuvre de Nicolai Astrup « qui peint et dessine les fjords de façon qui (le) laisse pantois ». Il s’émerveille aussi des paysages et s’enchante « de l’idée que certains fjords sont plus profonds que les montagnes qui les entourent. C’est tout autant vertigineux, dit-il, que de monter sur le Pulpit Rock à Stavanger, qui surplombe la mer d’un à pic de 602 mètres. »
« Qu’est-ce que les vikings allaient donc chercher ailleurs? », ajoute-t-il.
Nul doute que ces émotions éblouies, qui envahissent d’ores et déjà les pages de ses carnets, vont titiller ses Muses et donneront naissance, bientôt, à de nouvelles images.
Nous les attendons avec impatience…
*Avec Henri Galeron, Nicole Claveloux, Patrick Couratin, Bernard Bonhomme, Victoria Chess, Tina Mercié, Jean-Michel Nicollet, Jacques Rozier & Monique Gaudriault.
**Avec les mêmes partenaires auxquels s’ajoutent Gralyn Holmstrom, Keleck, Claude Lapointe, Catherine Loeb, Dan Long et Jözef Sumichrast.
***Norman Adams, John Alcorn, Richard Amsel, Bernard d’Andréa, Nestor de Arzadun, Bernard Bonhomme, Nicole Claveloux, Alan E.Cober, Patrick Couratin, Jacqueline Duhême, Gérard Failly, Lorraine Fox, Henri Galeron, Michel Gay, Georges Lacroix, JKLambert, Claude Lapointe, Catherine Loeb, Jean-Jacques Loup, Frankin Luke, Stanley Mack, Guillermo Mordillo, Wilson McLean, Robert Andrew Parker, Jacques Rozier, Reynold Ruffins, Jean Seisser et Philippe Weisbecker.
****Aux côtés de Norman Adams, John Alcorn, Richard Amsel, Bernard d’Andréa, Bernard Bonhomme, Victoria Chess, Nicole Claveloux, Philippe Corré, Cathy Deeter, Gérard Failly, Lorraine Fox, Henri Galeron, Georges Lacroix, JKLambert, Claude Lapointe, Jean-Jacques Loup, Stanley Mack, Joel Naprstek, Robert Andrew Parker, France de Ranchin, Jacques Rozier, Reynold Ruffins, Jean Seisser, Slug Signarino, Elwood Smith, Jözef Sumichrast et Philippe Weisbecker.
*****Avec Gilles Bachelet,Victoria Chess, Nicole Claveloux, Patrick Couratin, Gérard Failly, Claude Lapointe, Dan Long, François Roca, Slug Signarino, Elwood Smith et Philippe Weisbecker.
le programme des expositions sur le site de l’école
Une exposition qui a eu lieu à École Estienne, 12 bd Auguste Blanqui - 75013 PARIS
du 12/05/2016 au 02/07/2016