© Nadja, 2004
Extraits du catalogue
Fille de l’illustratrice russe Olga Lecaye et d’un médecin d’origine libanaise, Henri El Kayem, sœur du scénariste et romancier Alexis Lecaye et du célèbre auteur-illustrateur Grégoire Solotareff, Nadja est la tante d’ Emmanuel Lecaye, auteur d’un petit roman délicat qu’elle a illustré, et la mère de Raphaël Fejtö qui a d’ores et déjà édité une liste importante d’albums pour tout petits et qui a fait une entrée remarquée au cinéma en mettant en scène, le printemps dernier, Osmose. Quant au quatrième enfant Lecaye, Hélène, artiste elle aussi, elle dessine des tissus en Malaisie et elle collabora à Les copines de Maxou et Il fait trop chaud pour Maxou sous le pseudonyme de Nash. .
Une famille incontournable dans le paysage éditorial et cinématographique!
Nadja qui doit son prénom à l’héroïne de André Breton et à une grand-mère russe, est née, comme son frère Grégoire, à Alexandrie, alors qu’Alexis est né en Bretagne.
Au moment de la prise de pouvoir par Nasser, la famille fuit vers le Liban où elle sera vite rejointe par les troubles. Sa plus jeune soeur, Hélène, naîtra à Beyrouth au milieu du fracas des bombes et des mitraillettes. Nouvel exode, quelques années après, vers la Bretagne où Olga possède une maison de famille.
La vie familiale est tout sauf ordinaire.Les enfants ne sont pas scolarisés: ils bénéficient des leçons de leurs parents complétés ensuite par quelques cours par correspondance. Olga fabrique tous les vêtements de la famille et même les livres! Henri El Kayem, qui a francisé son nom, s’installe comme pédiatre aux Mureaux. C’est un homme de grande culture qui a noué des amitiés solides dans les milieux littéraires avec Pierre-Jean Jouve, en particulier, ou avec René Char avec qui il a longtemps correspondu. Lui-même écrira ses mémoires et consacrera un livre à Charles Baudelaire. Aussi est-ce lui qui, naturellement, initie ses enfants aux belles lettres tandis qu’ils bénéficient des leçons de dessin et de peinture de leur mère. Nadja n’ira au lycée qu’en troisième, et aura, comme son frère quelques années auparavant, beaucoup de mal à s’adapter à ce milieu fermé, conformiste et autoritaire.
Autodidacte comme son frère, après s’être essayée au dessin de mode et créé des costumes de scène, elle publie en 1986 chez Gallimard un premier album illustré au fusain, d’une grande force graphique et d’une drôlerie très prometteuse, Pourquoi les éléphants sont gris?. Album qui s’adresse à l’adulte plus qu’à l’enfant, elle s’y amuse avec beaucoup d’humour, comme plus tard dans Les croquettes à la souris, des aléas de la vie de couple.
Une BD très drôle illustrée sur un texte de son fils Raphaël (11 ans!) paraît également chez Gallimard.
Mais le livre qui la fera connaître est, en 1989, Mitch, sur un texte de Grégoire Solotareff, inspiré du célèbre Michka de Rojankovski, qui inaugure sa longue collaboration avec L’Ecole des loisirs et qui marque l’histoire de l’illustration par l’introduction de la peinture dans les images des albums pour la jeunesse. La manière de Nadja sera souvent imitée, avec plus ou moins de bonheur et de liberté, par de très nombreux jeunes illustrateurs.
Chien bleu, dont elle crée à la fois le texte et les images, a connu un succès éditorial sans précédent et est légitimement devenu un classique de l’album d’enfance. Il a à la fois obtenu le Totem de Montreuil et le Prix Enfantaisies décerné par les enfants genevois. L’animal, écrit Sophie Chérer, y est « beau, fort, tutélaire et fascinant comme le lion de Kessel, mais en images ».
Il est le premier d’une série de livres à l’envoûtante poésie où les petites filles, décidées et courageuses, amoureuses et secrètes, avancent résolument dans la vie, vers un avenir de sérénité et de liberté. Rien n’est anodin, dans ce grand album: l’atmosphère qui flirte avec le merveilleux, les rapports familiaux, sereins avec le père, ambigus avec la mère, les relents de surnaturel qui entourent le mystérieux chien aux yeux d’or et au pelage d’azur, la place privilégiée du sommeil dans la vie de l’enfant, l’alternance du jour et de la nuit où les forces obscures du mal affrontent les forces victorieuses du bien, la technique picturale, généreuse voire épaisse, les couleurs, sombres et lumineuses à la fois…Un chef-d’oeuvre!
Nadja oscille entre deux manières principales : le livre peint, à l’acrylique ou plus encore à la gouache, avec une charge impressionnante de matière et les audaces des Fauves dans le traitement de la couleur, avec des atmosphères oniriques, mystérieuses et poétiques qui semblent héritées de Franz Marc et de l’expressionnisme allemand (ainsi de ce très célèbre Chien bleu, de L’enfant des sables, de L’histoire d’amour, de La petite fille du livre, de Méchante, ou de la série des Lutins des bois ou encore de Violette et le secret des marionnettes ) et le livre dessiné, éventuellement colorié à l’encre ou à l’aquarelle, dont l’inspiration est plus humoristique (ainsi des ses truculentes parodies des contes de fées, des inénarrables Croquettes à la souris ou de son excitante relecture des légendes mythologiques, La punition d’Erysichton et Les dieux de l’Olympe qui furent adaptées pour la télévision).
Mais qu’elle fasse dans l’humour ou dans le rêve éveillé, Nadja puise toujours dans le vivier des mythes et contes qui ont ému son enfance, qu’elle s’en émerveille, ou, dans ceux qu’elle partage avec ses frères, qu’elle s’en amuse.
La connivence familiale y joue à plein: « Nous rions des mêmes choses depuis toujours » , dit-elle. D’où l’exceptionnelle réussite de La Bergère qui mangeait ses moutons illustré sur un texte d’Alexis ou des parodies des contes de Perrault illustrées sur des textes de Grégoire.
Impertinente et espiègle, elle est aussi très capable de s’amuser toute seule et de détrôner joyeusement, sans l’aide fraternelle, les héros des contes ou même des nobles légendes mythologiques. Virtuose de la parodie, elle les désacralise par une illustration iconoclaste et des dialogues boulevardiers dont la familiarité gouailleuse frôle parfois, non sans une certaine jubilation, une vulgarité qui n’a plus rien d’olympien.
« Merde, merde et merde! », s’exclame la prêtresse Io. » Crétine! » crie Apollon à Daphné. »Mais qu’est-ce que tu veux que ça me foute! » répond Zeus au téléphone à Héphaëstos…
Et que dire de ces baguettes magiques qui se détraquent, en jouant aux jeunes fées, des tours du plus mauvais goût?
Nadja se ressource aussi dans les contes traditionnels avec beaucoup de sérieux et même de gravité. Ainsi a-t-elle réécrit, les rendant accessibles au plus grand nombre, quelques contes de Grimm choisis pour leur force symbolique ou dédié un dictionnaire aux Créatures et monstres fantastiques qui ont hanté ses terreurs nocturnes. Elle met en scène des personnages légendaires archiconnus (les sorcières) ou alors élitistes, peu
présents dans l’édition d’aujourd’hui, ainsi des lutins inquiétants ou débonnaires et des jouets vivants qu’elle partage avec Grégoire, de l’affreux Cerbère ou des très romantiques dryades. Cette fois, c’est le lyrisme et l’émotion qui éclairent des pages inspirées.
Et même lorsqu’elle situe ses histoires dans l’univers contemporain, elle les baigne dans un climat de mystère en leur intégrant des éléments oniriques, irrationnels, « psychoféériques »(dit-elle), abolissant les frontières entre le rêve et la réalité, donnant, nouveau Pygmalion, vie à des êtres de sable ou de papier, créant ainsi une atmosphère envoûtante, ensorcelante qui n’appartient qu’à elle, les situant dans des lieux « où souffle l’esprit »: sombres forêts, maisons abandonnées baignées par le Styx, plages éclaboussées par le ressac …
Parfois, elle hésite entre le pastiche et la poésie. Ainsi dans le délicieux Pion de la Reine, livre hybride au dialogue – en bulles- drôle et familier mais dont l’intrigue a noblement hérité des cours d’amour: un album inclassable au charme subtil où l’Amour (avec un grand A, bien sûr), comme dans L’enfant des sables ou L’histoire d’amour, joue un rôle salvateur et libérateur.
Elle pratique également l’auto-dérision, ainsi dans les deux bandes dessinées à la verve décapante parues chez Cornélius, Comment faire des livres pour les enfants et Celles que j’ai pas fumées, mais aussi dans les marges de certains albums comme Les croquettes ou L’horrible petite princesse. Une façon décalée et assumée de se mettre en scène, qui détourne notre attention des autres auto-portraits, plus graves, plus intimistes, celui de l’écrivain de La petite fille du livre voire de la petite fille
elle-même, Nadja prêtant de soi à la fois aux fillettes qui sont autant de ses petits clones, qu’aux mères, ses héroïnes étant essentiellement féminines. Et le merveilleux des situations n’empêche pas la justesse des sentiments, ni la complexité des caractères, que ce soit dans le rapport entre les générations, l’ambivalence de certaines situations, ou les jeux de l’ombre et de la lumière: ainsi, dans Méchante, la fillette est-elle consciente de faire le mal car elle évalue très bien le rôle maléfique de sa poupée, mais elle continue car la conscience morale ne suffit pas à corriger sa déviance. Il y faudra un peu de magie…
Le talent de « Nad », son imagination, son savoir-faire, la sûreté de son graphisme font que même les séries de livres pour tout petits, qu’elle les ait réalisés seule ou avec son frère Grégoire, sa soeur Nash ou son fils Raphaël, sont de belles réussites. Ainsi de la série des Bébés où la tendresse de la mère est représentée en de délicieux tableaux, des Momo ou des Ninon à l’humour distancié, des Maxou dont les vers de Mirliton font les délices des lecteurs grands et petits, des Mic et Mac dont le duo rappelle les dialogues des clowns de la grande époque du cirque traditionnel, des tendres Petits chats à la forme ludique, des Où es-tu, petit… où les fourmis hantent des décors culturels raffinés et où les dragons débordent de références médiévales…
Ce métier acquis dans l’illustration et dans l’écriture, elle en fait profiter d’autres auteurs, certes surtout des proches de la famille (elle a écrit des textes pour sa mère alors qu’ illustre pour tous les autres), mais aussi quelques privilégiés de L’Ecole des loisirs.
Elle adapte alors sa technique au style de l’écrivain dont elle a à cœur de faire comprendre l’univers, ou, comme dans le dernier paru, Violette et le secret des marionnettes où on a le sentiment que Geneviève Brisac a adopté le monde de Nadja avec son mystère, une petite fille secrète, une maman discrète, et des marioles qui prennent vie. Grâce à cette fusion harmonieuse des musiques de l’auteur et de l’illustrateur, ce nouvel album prendra sûrement place dans les incontournables de L’Ecole des loisirs.
Margny a l’insigne honneur d’accueillir la première exposition publique d’une artiste généreuse, pétillante, malicieuse et sensible, au talent multiforme, un peu sorcière, un peu dryade, beaucoup fée qui a conservé intacte la fraîcheur de son enfance, tour à tour affreux moutard ou petite fille modèle …
Tout le monde, ici, s’en réjouit: les albums édités sont beaux, certes, mais leurs originaux sont magnifiques: merci, très très chère Nadja!
Une exposition qui a eu lieu à Médiathèque Jean Moulin, Margny-lès-Compiègne
du 02/10/2004 au 17/10/2004