© Letizia Galli, 2004
Extrait du catalogue
« Regardez-la, c’est l’image de notre belle Italie; …nous nous plaisons à la contempler comme une admirable production de notre climat, de nos beaux-arts, comme un rejeton du passé, comme une prophétie de l’avenir … »
Corinne ou l’Italie (Madame de Staël)
« un rejeton du passé… une prophétie de l’avenir… »
Letizia Galli créa, en automne 2000, l’affiche de l’exposition Italiennes qui a présenté, en Picardie, 210 images de l’Italie dans l’album illustré. Cette affiche correspondait bien à l’esprit de cet original auteur-illustrateur dont l’œuvre s’articule, le plus souvent, autour de deux pôles: tradition et modernité…
Au centre de l’affiche, un bouquet facétieux réunit Galilée enfant, juché sur la pointe des pieds, un Pinocchio à l’œil malicieux, Polichinelle au pied d’une tour de Pise plus penchée que jamais, un cadre doré, rutilant mais vide et suspendu de travers, et un drapeau italien: personnages et objets incontournables de l’espace culturel péninsulaire, symbolisant quasiment tous les domaines des arts et des lettres (tradition!), mais traités avec une grâce irrévérencieuse, un humour non exempt de tendresse et enfin des techniques alliées à une gestion de l’espace novatrices (modernité…).
Architecte de formation et ayant exercé son ministère à Milan, cette florentine, parisienne d’adoption, s’est récemment installée avec délectation, au dernier étage des Roches Noires, face à la plage. Elle partage désormais son temps entre son appartement du Marais, ses obligations filiales italiennes et Trouville.
Elle a abandonné, au bout de quelques années d’exercice, son premier métier, consenti sous la pression familiale, pour s’adonner enfin à sa passion, le dessin.
Après des débuts remarqués en Italie, dans la publicité et la presse en particulier, son talent a été découvert en France par un album, Chez moi, sur un texte de René de Obaldia, (Trouville et les Roches noires, déjà !) édité chez Grasset.
Elle participe ensuite à la « cause » des Editions des Femmes : Jamèdlavie, sur un texte de Adela Turin, fut un plaidoyer un peu caricatural contre le mariage, imbibé d’idéologie féministe très « années soixante-dix ».
Mais ces commencements, si prometteurs fussent-ils, semblent bien loin désormais quand on considère l’ensemble de sa bibliographie et le chemin parcouru depuis son premier livre milanais.
Letizia et les arts du spectacle
Dès ses jeunes débuts dans le Corriere dei Piccoli , journal qui avait charmé son enfance, elle illustre, en 1978, des bandes dessinées sur des scenarii de Dara Kotnik, Le Fiabe dell’Opera Lirica, qui adaptent, pour les enfants, les livrets des grands opéras. Il y a beaucoup d’humour dans ces pages où elle rend hommage, non sans jubilation, à ses souvenirs de petite fille émerveillée voyant passer devant ses fenêtres, les décors impressionnants de la scène lyrique florentine auprès de laquelle elle a passé ses premières années.
Le souci pédagogique sera constant chez elle, mais comme sur l’affiche d’Italiennes, sans lourdeur aucune et, toujours, avec une fantaisie fort réjouissante. Ainsi, les bandes dessinées inspirées par les grands opéras du répertoire furent-elles suivies, chez le même éditeur, d’autres bandes dessinées adaptées des grands textes du théâtre européen. Donc, après Verdi, Puccini ou Wagner, c’est au tour de Shakespeare, Goldoni, Brecht et Pirandello d’entrer dans le bagage imaginaire de l’enfance. Ils précèdent de quelques années Fellini auquel elle dédiera Le rêve de Federico, livre sensible et poétique, inspiré de plusieurs films du Maître, dont La Strada, Les Clowns, Amarcord, Et vogue le navire, La voix de la lune…
Salué par la critique, couronné par le prix Octogone, ce récit, nourri des souvenirs d’enfance du maestro et fidèlement annonciateur de son œuvre à venir, fut cependant peu défendu par son éditeur qui le retira trop vite de son catalogue.
Mais pour une Italienne, le spectacle, plus encore que le cinéma, l’opéra ou le théâtre, c’est bien évidemment La Commedia dell Arte , genre auquel elle consacre un album délicieux, paru à New York en 1994, où Arlequin, Florindo, Pantalon, le Docteur et Polichinelle voisinent jovialement avec leur digne héritier Charlie Chaplin, plus intemporel qu’anachronique. Les jeunes éditions Des Lires, sous la houlette de François Ruy-Vidal, ont très heureusement édité en France, en l’accompagnant d’un solide dossier pédagogique, cet Arlequin et la robe verte , canevas dramatique joyeusement enlevé où la fantaisie bouscule allègrement la culture carnavalesque. La liberté de l’improvisation qui caractérise le genre se retrouve dans l’insolence enjouée avec laquelle l’artiste se moque des perspectives et des proportions, le brio avec lequel elle peint les sauts et cabrioles de personnages entraînés dans un Carnaval joyeusement mouvementé et la gourmandise d’une mise en couleurs qui conjugue subtilement acrylique et aquarelle.
Letizia et les Beaux-arts
Tradition et modernité… Transmettre en renouvelant…
C’est ce souci que l’on retrouve aussi dans Mona Lisa, the secret of the smile et dans Michael the angel qui- hélas!-, sont parus aux Etats-Unis mais n’ont pas trouvé encore leur éditeur francophone. Du grand Léonard, génial gaucher, elle privilégie, sans qu’ aucun détail ne soit fondé sur une documentation solide, l’anticonformisme qui lui sied si bien à elle aussi.
Elle l’accompagne avec bienveillance, de ses propos d’enfant qui font rougir les doctes vieillards, à la pyramide du Louvre qui attend sa Mona Lisa, ne négligeant ni ses travaux scientifiques, ni son œuvre artistique, montrant, en outre, – clin d’œil savant aux spécialistes – les détails de son costume alors anachronique.
C’est aussi dès l’enfance qu’elle croque Michel-Ange, de ses apprentissages tumultueux dans l’atelier du peintre Domenico Ghirlandaio, ses extractions de marbre blanc dans les carrières ensoleillées de Carrare, jusqu’à l’édification de la monumentale nudité de son David que regardent, éberlués, les Florentins.
Elle a, bien évidemment, subi les influences picturales des grands maîtres italiens, admirant le pur Giotto et, plus que tout, Masaccio, sa jeunesse insolente, ses touches dynamiques et ses perspectives audacieuses.
Mais sa patrie n’est pas sa seule source d’inspiration.
Les provocations d’un Robert Rauschenberg l’enchantent. Les adeptes du pop-art, et en particulier Rosenquist, l’inspirent. Et sa dette envers l’avant-garde russe a été maintes fois soulignée : Malévitch, bien sûr, mais aussi Viktor Palmov et Alexandre Chevtchenko, ou les architectures de Alexandre Kouprine, et plus encore, pour ses idées plus que pour son graphisme, Pavel Filonov. Les dernières illustrations de Letizia Galli, « abstracto-narratives », semblent une application directe des théories de cet artiste sur « l’œil qui voit », créateur de la couleur et de la forme, porté sur le figuratif, et « l’oeil qui sait », ce « témoin oculaire de l’invisible » qui découvre intuitivement les processus cachés et les exprime par l’abstraction.
Letizia et la musique
On pourrait être tenté d’ajouter « l’oeil qui écoute » tant la musique est présente dans l’univers graphique de Letizia Galli.
Présente précocement dans les bandes dessinées consacrées aux opéras de sa jeunesse…
Présente dans Le rythme de la rue où l’on retrouve l’atmosphère du début de Manhattan de Woody Allen ou – Gershwin encore- de Un Américain à Paris , mais aussi les percussions des Amériques d’Edgard Varèse, les sonorités de Central Park in the Dark de Charles Ives ou encore des Diamorphoses de Xenakis : l’univers urbain ne produit pas de « bruit » comme le croient ceux qui ne savent pas écouter, mais des rocks et des raps très entraînants qui réjouissent les jeunes oreilles et mettent incoerciblement les corps en mouvement.
Présente, aussi et surtout, rythmiquement dans le mouvement frénétique de certaines illustrations.
Il y a du déhanchement et du balancement dans les élans graphiques d’Igor ou de Willie Moon, et il y en avait déjà dans les courses du petit Michel-Ange qui danse dans un univers où même les architectures semblent se trémousser selon une harmonieuse chorégraphie. Il y en a encore dans la sarabande effrénée des acteurs de Arlequin et la robe verte.
Présence musicale encore dans un texte humaniste et futuriste, La planète Orbis, voyage initiatique dans la voie lactée, qui inaugure une collaboration pleine de promesses entre deux tempéraments libertaires qui ne pouvaient que s’entendre: José, le jeune héros créé par le grand écrivain guadeloupéen Maryse Condé, est lui aussi passionné de rap et de reggae…
Ne soyons pas surpris de découvrir que Letizia Galli a créé des couvertures de disques et des affiches pour des soirées de danse, que les rythmes sensuels des musiques afro-américaines ne sont pas étrangers à son attirance pour les Antilles et qu’elle nous pardonne de dévoiler ici qu’elle met la dernière main à un livret de comédie musicale très contemporaine…
Letizia et l’Histoire
Tradition et futurisme : connaître l’autrefois pour mieux comprendre l’avenir : les références au passé ne manquent pas, ni les rencontres, pour cette femme de grande culture, qui a l’obsession de transmettre allègrement cette culture.
D’où cet hommage encore aux héros légendaires de son pays, avec son All pigs on Deck où l’on découvre un épisode inattendu de la vie de Christophe Colomb et un espiègle pied de nez à ses tentatives coloniales: elle y dépeint une traversée de l’Atlantique mouvementée et y raconte comment le plus bel apport de la culture européenne aux jeunes Amériques est l’importation du … cochon !
Souveraine est la désinvolture de ces hommages inlassablement répétés à l’Italie de sa jeunesse, à ses artistes et ses voyageurs, ses écrivains et ses musiciens, et à ses villes mythiques, Venise, Milan, Florence… qu’en architecte à l’oeil expert, elle représente, non seulement comme un superbe décor où évoluent ses illustres héros, mais comme des éléments indispensables à la bonne marche de la narration.
Letizia et les textes fondateurs
Tradition et modernité. Patrimoine et anticonformisme dans sa transmission…
On retrouve encore cette constante dans ses très célèbres illustrations de la Bible.
« La poule aux oeufs d’or »…Ainsi surnommait-on cette étonnante « Galli » dont la ponte miraculeuse, éloignée du conformisme des représentations sulpiciennes, fut traduite en quelque vingt langues et adaptée en une série télévisée de 7 heures et 54 épisodes.
Fructueuse collaboration avec les éditions Bayard, qui se poursuivit, avec sa complice Laura Fischetto, par une édition de légendes mythologiques à laquelle l’historien d’art Véronique Schiltz apporta sa précieuse caution scientifique. D’où l’exactitude dans les références aux textes fondateurs- ce qui est unique dans l’édition pour la jeunesse française- malgré la distance humoristique et le traitement moderne des thèmes loin des conventions surannées de la peinture d’histoire traditionnelle.
Ces mêmes qualités auxquelles s’ajoute le pétillant d’un texte quelque peu iconoclaste, que, cette fois, elle écrit elle-même, on les retrouve dans la série des savoureux Sept dans la Bible. Incurie éditoriale, là aussi: Fleurus n’a eu ni la patience, ni l’intelligence, d’attendre que ces livres novateurs par leur esthétique et leur texte rencontrent un lectorat plus large et on ne les trouvait déjà plus, trois ans à peine après leur parution, chez nos libraires. Dommage…
Letizia et les enfants
L’écriture, alors, elle y a pris goût. Elle crée fébrilement, dans un état second, ses étonnants derniers livres. En anglais qui est, paradoxalement, pour cette florentine vivant à Paris, la langue de l’écriture!
D’où la médiation nécessaire d’un traducteur…
Federico Fellini, Michel-Ange, Léonard de Vinci, elle les avait saisis, par son dessin, dans la spontanéité de leur enfance pleine des promesses d’un futur prestigieux. Les héros qu’elle crée de toutes pièces, dans les livres qu’elle a, à la fois, écrits et illustrés, sont des enfants d’aujourd’hui, anonymes, dont le présent n’est guère prometteur de lendemains qui chantent : gosses des rues, russe, caraïbe ou né dans les milieux latinos.
On retrouve, certes, dans les albums qu’elle a écrits elle-même, les constantes des albums qu’elle a seulement illustrés, ne serait-ce que son amour des rues citadines déjà présent dans Michael the Angel ou dans Le rythme de la rue.
Mais plus encore que dans les livres créés en collaboration, elle manifeste dans Connais-tu Igor? et dans Comme le papillon puis Tricheurs, menteurs et fanfarons (album à paraître chez Grasset), sa foi dans les ressources potentielles de l’enfance.
Car du petit d’homme, elle croit non seulement qu’il peut, avec bonheur, s’approprier tous les fondements de notre culture. Mais davantage, qu’il est aussi capable de résister à la pauvreté matérielle, à la marginalisation sociale, à l’abandon et au désespoir, et de poser les vraies questions sur le sens de la vie, ces questions qui dérangent, que les adultes laissent sans réponse, qui indisposent parfois les savants eux-mêmes. Le jeune Igor qui illumine de sa vitalité et de ses espoirs les couloirs mortifères du métro de Moscou, ou le petit noir du Papillon qui s’envole vers ces ailleurs de rêve qui semblaient inaccessibles, démontrent qu’à l’enfant, rien d’impossible.
Après une flopée de garçons, le dernier né de Letizia Galli est enfin une fille : normal, le livre est, mutatis mutandis, auto-biographique! Dora, la petite mexicaine perdue dans l’immense cirque de Las Vegas, revient, grâce à la médiation d’un oncle attentif, d’un voyage kafkaïen dans un monde parallèle, celui des métamorphoses inquiétantes, des monstres improbables et des terreurs qu’ils engendrent. Un message discrètement féministe et une illustration futuriste qui fait la part belle aux architectures agressives et aux néons violemment colorés d’une infernale ville nocturne, infiniment éloignée des cités-musées de la belle Italie qui disparaît complètement des œuvres dont Letizia Galli est à la fois l’auteur et l’illustrateur.
Un discret hommage à Rosenquist et Rauschenberg, servi par des techniques mixtes très élaborées et d’audacieux collages de matières.
Techniques
Ainsi, au fil de l’œuvre, le message change, s’approfondit, en même temps que les techniques évoluent.
Des encres sur Fabriano de Jamèdlavie, des aquarelles sur Arches de The Jungle is my Home, où elle manifeste une remarquable maîtrise ((tout au pinceau: pas la moindre reprise des contours à la plume…), aux huiles du rythme de la rue où elle inaugure les fonds sablés, jusqu’aux acryliques sur sable, aux collages contemporains de textures incongrues et à l’assistance de l’ordinateur, l’évolution est passionnante. Le talent de la coloriste s’affirme progressivement, gagnant en raffinement et en subtilité, jouant de la variété des palettes, des camaïeux doux ou sombres, des accords délicats ou des dissonances les plus osées.
La mise en page, elle aussi, est intelligente, ménageant toujours astucieusement la place du texte qui se trouve intégré dans l’espace illustré, en harmonie, et parfois même avec humour. De la belle ouvrage!
Hommages
La grande manifestation qui lui fut consacrée en 2001 par la Bibliothèque de l’Heure Joyeuse dans l’ensemble de la rue des Prêtres Saint-Séverin, mettait bien en relief les différentes facettes du talent de cet auteur-illustrateur peu ordinaire: l’inspiration biblique à l’église et à la Galerie Saint-Séverin, le patrimoine péninsulaire au Centre culturel italien, les enfants contemporains à la Bibliothèque…
Il n’y manquait que son travail de graphiste et ses films.
Des livres et la rue , titre-calembour de cette constellation d’expositions, convenait bien à la personnalité indépendante de celle que ses amis italiens surnomment « Regina », rien moins.
La » reine » de la rue Saint-Séverin incarne bien, en tout cas, cette citation de Madame de Staël extraite de Corinne ou l’Italie, placée en exergue à cette notice :
« un rejeton du passé… une prophétie de l’avenir… »
Au fil de la vie et de ses rencontres, l’image de l’Italie « mère des arts et des lettres » s’estompe, le passé est rejeté dans les brumes des souvenirs enfouis, pour mettre en lumière d’autres lieux et nourrir d’autres sources d’inspiration .
Car cette italiennissime est désormais bien française, et très parisienne. Dédions-lui alors cette réplique de Sacha Guitry dans Quadrille, qu’un de ses amis dénicha pour elle:
« Les hommes n’ont pas cette étonnante faculté d’adaptation, que vous avez, vous autres. C’est fantastique! Vous arrivez de Carpentras ou de Quimper -et vous en avez l’air-.au bout d’un an, on se demande si vous êtes nées à la Villette ou à Montmartre- et dix-huit mois plus tard, vous êtes devenues tellement parisiennes, que la question se pose de savoir si vous n’êtes pas une étrangère!… »
Au bout de combien d’années de vie trouvillaise la prendra-t-on pour une authentique normande ?
Florentine partageant sa vie entre la Toscane, le Marais et les Roches Noires, écrivant en anglais, s’inspirant du passé avec un langage graphique d’aujourd’hui, femme de culture à la drôlerie irrésistible, intellectuelle et artiste cuisinant divinement « la pasta » …
Une personnalité hors du commun …
Regina… vraîment…
Une exposition qui a eu lieu à Mairie de Trouville
du 01/06/2004 au 30/06/2004