© Stasys Eidrigevičius
Stasys Eidrigevičius est né à Mediniškiai, en Lituanie, le 24 juillet 1949. Il étudie à Kaunas puis Vilnius de 1968 à 1973 et s’installe à Varsovie en 1980
S’inscrivant dans la grande tradition des graveurs slaves, il se fait remarquer par ses magnifiques ex-libris qui sont plusieurs fois primés. Créateur infatigable et prolifique, il commence très vite une carrière internationale, à la fois comme peintre, graveur, affichiste, plasticien, photographe, et, à partir de 1977, comme illustrateur d’une trentaine de livres d’enfants, mettant en images des contes d’écrivains lituaniens, puis de ETA Hoffmann, HC Andersen, Pierre Gripari et Charles Perrault. Remarquable acteur de théâtre et de cinéma, il anime d’intrigantes processions de masques et ses installations inattendues, parfois abstruses, tiennent plus du rituel religieux que de la mise en scène.
Ses innombrables affiches sont éblouissantes de créativité graphique et les têtes surréalistes qu’elles représentent souvent, sont écrasantes de présence psychologique, déchirantes de tendresse nostalgique et leurs regards, profondément méditatifs, sont animés à la fois d’un ténébreux mysticisme et d’une incommensurable solitude.
Son œuvre fait l’objet de remarquables expositions partout dans le monde et les monographies et catalogues qui lui sont consacrés ne se comptent plus.
C’est un honneur d’accueillir cet immense artiste au Centre André François.
Exposition du 17 mai au 30 août 2014
Projections :
Les Sept Mystères d’après Stasys le samedi 17 mai 2014 à 14 h 30
Gośćiem u siebie (Invité chez soi) le samedi 24 mai 2014 à 14 h 30
Człowiek z waliske (L’Homme à la valise) le samedi 14 juin 2014 à 14 h 30
Bouzkachi, le chant des steppes le samedi 21 juin 2014 à 14 h 30
Extraits du catalogue
Quand « Eidrigevičius » devient « Stasys »
Biographie
Les années d’apprentissage
Lituanien par sa mère et polonais par son père, Stasys Eidrigevicius est né à Mediniškiai, dans la campagne lituanienne, le 24 juillet 1949. Il vit dans ce village entre ses parents, Léonard et Alfonsa, et ses deux sœurs, Apolonia et Genuté. Tout enfant, il sculpte des bonshommes en bois dans les troncs d’arbre abattus par son père pour leur donner une seconde vie. Il a quatorze ans quand il réalise son rêve et achète son premier appareil Zenith avec lequel il photographie les lieux et gens du vert paradis de sa jeunesse. Après une scolarité primaire solitaire et songeuse, il étudie à l’École d’Arts appliqués de Kaunas puis à l’Académie des Beaux-arts de Vilnius de 1968 à 1973. Il a alors un atelier à la National Philharmonic de Vilnius (Lietuvos nacionaliné filharmonija) où il fait des affiches pour le répertoire musical de l’orchestre, mais peut aussi s’adonner à ses travaux personnels. Et il fait déjà du théâtre.
Il signe « Eidrigevičius » des paysages agrestes à l’huile et de grands portraits de ses proches, de ses parents en particulier, dans ce qu’il appelle « un esprit photo-réaliste optimiste », peintures qui lui ont valu un franc succès, au printemps 1974, lors d’une exposition nationale de portraits au Palais des expositions de Vilnius (devenu depuis Centre d’Art Contemporain). L’un d’entre eux fut acheté par le Musée des Beaux-Arts.
Par une touchante piété filiale, il conserve encore aujourd’hui, dans son atelier, un portrait hivernal de son père en pied, sur fond de neige, introduit, en 1994-1995, au Théâtre Studio de Varsovie, dans son spectacle
Biały Jeleń (L’Élan blanc), et une grande peinture printanière, Ma mère et Tante Elžbieta à l’ombre, qui fit la couverture du N°7 du magazine Kultūros Barai (1974).
Son service militaire dans l’armée soviétique, en 1975, l’a plongé dans le désespoir. Enfermé, éprouvant de la répulsion pour les armes, il se voit confier l’écriture de longues phrases idéologiques en russe auxquelles il ne comprend rien. Est-ce là l’origine de ses fonds de tableaux couverts de calligraphies énigmatiques ? Ouvrant un jour des épaulettes, il y découvre des bouts de toiles sur lesquelles il brosse des toutes petites peintures à l’huile. Il peint aussi, à la gouache et à l’aquarelle, sur des chutes de papier photo abandonnées par les soldats, se forgeant ainsi une compétence nouvelle de miniaturiste et se recréant un espace de liberté inviolable. Ses miniatures, exceptionnelles, seront exposées à maintes reprises et feront l’objet de catalogues. « Il y avait, dit-il, de l’abstraction, du surréalisme et de l’absurde. S’approchant d’une sorte de mystique, d’obscurité, de désespoir, d’inquiétude, de doutes, de mystère », il vient, dans la douleur et la solitude, de trouver son style, bouleversant, inégalable, où la hantise de l’enfermement sera obsédante.
L’euphorie souriante des premiers portraits est bel et bien oubliée.
Chacun des événements de sa vie sera une source vive d’inspiration, des angoissants contrôles policiers à Berlin-Est à la découverte libératrice de Berlin-Ouest : le contexte historico-politique est prégnant.
La mort tragique de son père, en 1985, renversé sur la route en transportant un bidon de lait, provoque en lui de picturales visions où le blanc du lait se mélange au rouge du sang.
S’inscrivant dans la grande tradition des graveurs slaves, ce virtuose de la miniature se fait remarquer par ses magnifiques ex-libris à la symbolique sibylline. Ils seront plusieurs fois primés et reproduits dans divers catalogues dont celui de Klaus Rödel en 1981 (Stasys (Eidrigevičius, 16 ex-libris) et celui de la NDA Gallery de Tokyo en 1992 (Stasys Eidrigevičius – 224 Small Graphic Works : Bookplates). Stasys recevra, en 1973, la Médaille d’honneur de la VIème Biennale d’Ex-libris contemporains de Malbork, ville polonaise jumelée avec Margny-les-Compiègne où se situe notre Centre André François.
Il se rend en Pologne pour la première fois en 1972. Il y voyage fréquemment et y expose en galerie entre 1975 et 1980, date à laquelle il finit par s’installer à Varsovie. Il y demeure encore aujourd’hui, créant ses multiples chefs d’œuvre dans l’impressionnant capharnaüm de son atelier du quartier Praga qui jouxte une pittoresque gargote de soupe populaire.
Il aura trois enfants, Barbara, Kristina et Ignacy.
Une œuvre multiforme
Créateur infatigable et prolifique, il commence très vite une carrière internationale, à la fois comme peintre, graveur, affichiste, plasticien, et, à partir de 1977, comme illustrateur d’une trentaine de livres d’enfants, mettant en images des contes d’écrivains lituaniens et polonais, puis de Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, Hans Christian Andersen, Pierre Gripari et Charles Perrault. Hélas, peu de ces albums abscons et poétiques seront traduits en français.
Un inépuisable vivier de rééditions disponibles pour des éditeurs curieux et avides d’images étranges…
Remarquable acteur dont la présence irradie l’écran, il joue son propre rôle dans Les Sept mystères d’après Stasys d’Andrzej Papuszynski, et Bouzkachi, le chant des steppes de Jacques Debs.
Plusieurs documentaires inspirés lui sont consacrés par les télévisions lituanienne, Kūrybos Metas (Le Temps de la création), et polonaise, Człowiek z waliske (L’Homme à la valise) et Gośćiem u siebie (Invité chez soi). Sa sincérité, sa sensibilité, son attention aux autres s’y doublent d’une distance pleine d’humour.
Il est resté très fidèle au monde rural de son enfance dont il photographie avec émotion les gens, les maisons, les paysages, les cimetières où il va volontiers honorer les tombes familiales en y allumant respectueusement de traditionnelles bougies.
Son œuvre de photographe est fort diverse et ne se cantonne pas au contexte ethnologique et affectif de sa jeunesse. Ainsi a-t-il magnifié de nombreux nus masculins mis en situation dans des installations sophistiquées ou figés dans des postures sculpturales.
La scénographie le passionne. Il crée des spectacles théâtraux dont la subtile dramaturgie, avec ses intrigantes processions de masques ou ses installations inattendues et parfois abstruses, tient plus du rituel religieux que de la mise en scène.
Il se livre en outre à des performances variées et jubilatoires comme celle qui lui fit, en 2012, couvrir de graffiti une blouse d’infirmière au Salon du Livre et de la presse jeunesse de Montreuil. Des performances, il en réalise d’étonnantes, parfois provocatrices, suscitant surprise et admiration un peu partout sur la planète, en Pologne et Lituanie, évidemment, mais aussi en Italie, en Israël, en Australie, au Japon…
Ses innombrables affiches signées « Stasys », qui reprennent obsessionnellement les sujets de ses peintures et de ses sculptures, sont éblouissantes de créativité graphique et les têtes surréalistes qu’elles représentent la plupart du temps sont autant de troublants auto-portraits spirituels.
Stasys, l’Homme Cent têtes, Cent masques, Cent visages…
Prisonnières d’objets disparates, coiffées, comme notre affiche, d’animaux incongrus ou de végétaux à la sécheresse mortifère, ces têtes sont écrasantes de présence psychologique, déchirantes de tendresse nostalgique et de compassion, et leurs regards, profondément méditatifs, naïfs parfois, enfantins souvent, sont animés à la fois d’un ténébreux mysticisme et d’une incommensurable solitude. Des yeux souvent bleus comme le siens, ou absents dans des orbites vides et cependant expressives, qui nous interrogent, nous interpellent, nous supplient, nous hantent, nous envoûtent, nous hypnotisent.
Ils ont une âme, ces visages. Une grande, une belle âme.
C’est pour le théâtre, en particulier, qu’il a créé de ces fascinantes affiches, dans diverses villes de Pologne, mais pas seulement : ainsi avait-il réalisé, entre autres, la campagne de la saison 2009-2010 pour le Théâtre des Célestins de Lyon. Les pièces de son répertoire sont éclectiques, Andromaque de Racine, Oncle Vania et Les Trois sœurs de Tchékhov, Le Menteur de Goldoni, Les Émigrants de Slavomir Mrožek, La Belle vie de Jean Anouilh…
On fabrique, à partir de ses images, toutes sortes de produits dérivés, parapluies, sacs, vaisselle…, où la calligraphie de ses signatures, est certes une identification, mais aussi un élément décoratif très graphique.
Un succès planétaire
Son œuvre fait l’objet de remarquables expositions, dans de grands musées, institutions et galeries, partout dans le monde : Pologne (Lodz, Varsovie, Wroclaw, Bielsko Biala, Poznan, Lublin, Malbork, Cracovie…), Lituanie (Vilnius), Suisse (Neuchatel, La Chaux de Fond, Bâle, Le Locle…), France (Paris, Locronan, Douarnenez, Lyon, Grenoble, Auvers sur Oise…), Japon (Tokyo, Sapporo, Toyama…), États- Unis (New York, Chicago, Los Angeles, Université du Michigan…), Lettonie (Riga), Australie (Perth), Italie (Modène, Rome…), Finlande (Lahti), Allemagne (Berlin, Cologne…).
Et il expose souvent à Paris (Institut culturel polonais, Galerie Marie-Claude Goinard, Centre Georges Gorse de Boulogne-Billancourt, Galerie du Roi Doré, Galerie Blue Square, Espace Eiffel-Branly…) occasions de retrouvailles chaleureuses avec ses amis français. Il avait participé, en. 2001, à l’Orangerie du Palais du Luxemboug, à l’exposition collective L’Enfant et les sortilèges, inspirée par l’opéra de Colette et Ravel.
Les monographies et catalogues qui lui sont consacrés ne se comptent plus et son œuvre est entrée dans de prestigieuses collections muséales et privées.
Docteur Honoris causa de l’Académie des Beaux-Arts de Vilnius, il a reçu de très nombreux prix, et beaucoup d’autres remarquables récompenses à Lahti (Grand prix de la Biennale internationale de l’affiche, 1989), Varsovie, Katowice (Gold Medal, 1999), Chicago (Gold Hugon, 1987), New York (Siver Medal de l’Art Directors club, 1988 et Gold Medal, 1993), Boulogne-Billancourt (Prix Savignac, 1993), Cannes (Lion de bronze, 2013) et Toyama, au Japon (Médaille d’or du Quatrième International Poster Triennal, 1994), dans un jury où siégeait André François qui s’est dit, par un de ses sempiternels jeux de mots, en “ex-stasy” devant son affiche de Biały Jeleń.
Alors qu’il séjournait à Paris où il exposait dans une galerie de la rue de Turenne, Stasys avait revu André François, lors de la grande rétrospective André François Affiches et graphisme à la Bibliothèque Forney en 2003. Tous deux furent enchantés de ces retrouvailles.
Il a aussi participé à André François Remember, l’hommage que 55 artistes du monde entier ont rendu, en ce début de 2014, à leur maître admiré et respecté.
L’exposition Stasys L’Homme Cent têtes au Centre André François, modeste en regard de toutes les éblouissantes manifestations qui lui furent consacrées de par le monde, est encore, pour lui, une généreuse façon d’honorer son aîné.
Les Enfantina de Stasys
A partir de 1974, en effet, Stasys, tout en continuant à peindre à la détrempe, commence à illustrer d’étonnants livres d’enfants où s’expriment la nostalgie de sa jeunesse et la profondeur de sa vie intérieure.
Il met en images des contes dont les « nobles métaphores influencent sa plastique qui coule comme le torrent des notions surréalistes », ainsi que l’écrivent les critiques d’art Wieslawa Wierzchowska et Danuta Wroblewska à l’occasion d’une exposition à Varsovie en 1979.
Publications en polonais et lituanien
Il en illustrera une belle trentaine dont beaucoup, non traduits, ne seront connus qu’en Lituanie et en Pologne, mais où ils compteront beaucoup pour plusieurs générations d’enfants. La présidente lituanienne, Dalia Grybauskaité, en 2009, lors de l’inauguration de l’exposition Mur du silence- Chagrins au Musée de l’insurrection à Varsovie a confié à Stasys combien ses livres avaient enrichi son enfance. Son compatriote, l’illustrateur Rimantas Rolia, lors d’un entretien publié sur le site de Ricochet en septembre 2010, a exprimé toute sa dette envers cet aîné génial à qui il dit vouer une immense admiration.
Pour un francophone qui se plonge dans ces albums, le mystère des symboles et métaphores qui embrume ces envoûtantes images est décuplé par l’énigme linguistique des textes imprimés en polonais ou en lituanien, avec leur kyrielle de signes diacritiques inscrits, suscrits et souscrits et leurs étranges correspondances grapho-phonétiques. La compréhension du texte ne lui est donc d’aucun secours pour décrypter le sens des illustrations qui existent alors par elles-mêmes, dans toute leur nudité esthétique et leur richesse sémiologique. Comme le constate justement un critique d’art polonais, ces livres « sont pour ceux qui savent déchiffrer la langage oublié des symboles. »
Il commence par éditer en Pologne.
Le lecteur français est plongé dans une perplexité admirative devant Mala zla czaownica (La petite ogresse affamée) de Vaclav Ctvrtek (1974), ou Kilka czarodziejskich historii (Quelques histoires miraculeuses) de Zbigniew Brzozowski (1985) avec leurs démon, dragon, ange, sorcière, bouc encorné, héroïne prisonnière et violoniste à la Chagall, ou encore Opowieść (Conte) de Joanna Papuzińska (2010) avec ses délicieuses scènes enfantines. Et il ne peut manquer de se délecter du raffinement des techniques employées où alternent ou se mélangent crayon, tempera, gouache, pastel et aquarelle.
En revanche, il se trouve dans un contexte familier avec Sƚowik (Le Rossignol de l’empereur de Chine), célèbre conte d’Andersen (2012), ou encore Bajka o księciu Pipo, o koniu Pipo, io księżniczce Popi (Histoire du Prince Pipo, du cheval Pipo et de la Princesse Popi) de Pierre Gripari (1985). Il peut alors apprécier la subtilité avec laquelle Stasys entre en connivence avec la sensibilité d’Andersen et s’approprie, avec des crayons de couleurs, sa métaphore des oiseaux vivant ou mécanique. Il peut goûter aussi la réinterprètation du monde de Gripari, l’intelligente dualité qui lui a fait intégrer, dans des planches au crayon gris, des petits tableaux en couleurs, jouant, en virtuose, des ruptures et des liens entre ces deux mondes légèrement superposés. On découvre dans ce Prince Pipo des motifs qui seront récurrents dans son œuvre, le cheval avec une robe inattendue, ici rouge ou verte, les palissades et cabanes de planches disjointes où les personnages sont entravés, les laisses et rênes rigides des équidés comme sur l’affiche de cette exposition, les couronnes bizarrement enfoncées sur les crânes des monarques, les cordes dont on ne sait si elles entravent ou si elles relient, les filets qui emprisonnent bêtes et gens, les visages d’enfants naïfs et étonnés et ceux des vieillards ravinés et tragiques, les moulins omniprésents qui commémorent les moments où il portait avec sa mère le blé à moudre. On ne comprend vraiment pas pourquoi aucun éditeur étranger n’a jeté les yeux sur ce chef d’œuvre.
Il publie aussi en Lituanie.
Robotas ir Petelišké (Robots et papillons) sur un texte de Vytaute Žilinskaite paraît chez Vyturys à Vilnius en 1978. La maison d’édition a quelque peu hésité à publier cet album et a demandé… que les enfants n’y soient pas chauves ! L’auteur, elle, a conseillé de modifier la bétaillère qui transporte les chevaux en remplaçant la charrette à claire-voie par une cabine fermée. Malgré ces concessions, au vote, il s’en est fallu d’une voix pour que le livre ne soit pas publié : c’eût été dommage car ses dessins furent médaillés à la Biennale de l’Illustration de Bratislava. Les originaux, d’une grande poésie, sont peints à la gouache et à la tempera sur papier noir, comme le seront ceux de deux livres édités par Vaga, Gaidzio Kalnas (La Crête du coq) de Vytaute Žilinskaite (1981) ainsi que Triju Brolių Svirnelis (La Grange des trois frères) de Anzelmas Matutis (1982), légèrement retouchés à l’aquarelle, avec, au fil des pages, d’élégantes vignettes au crayon. On déguste, dans d’émouvantes variations sur les âges de la vie, quelques thèmes familiers de l’artiste, le chat noir, les pendules, la lune tenue en laisse…
Les textes, en dehors de Aukso Puodas ir Kitos Istorijos (Le Pot d’or et autres histoires ) de Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (1985), aux illustrations fantastiques et élégantes, sont écrits par des auteurs lituaniens, ainsi Čyru vyru (Chant d’oiseau) où des détails peints se détachent dans les planches dessinées au crayon, et Miśko Pasaka (Contes de la forêt) de Eduardas Mieżelaitis (1980 et 1981) où un personnage tient de nouveau en laisse la lune. Dans Kelioné į Tandadriką (Voyage à Tandradrika) avec ses lapins tragiquement expressifs, il retrouve Vytaute Žilinskaite, l’auteur de Robots et papillons, et leur album lui vaut une nouvelle plaque d’or à Bratislava.
Publications en français
Puis sa diffusion devient planétaire. La Reine des neiges, publié par Rita Marshall aux États-Unis chez Creative Education et par Étienne Delessert chez Grasset (1984), le fait connaître en France et outre Atlantique puis, par le biais de ses traductions, dans de nombreux pays étrangers. Cet album, publié dans l’épatante collection Monsieur Chat, le fait cousiner avec Topor, Tardi, Edelman, André François, Innocenti, Delessert, Chwast, Lemoine, Dumas…, les plus grands noms de l’illustration mondiale. Il recevra un Award of excellence lors d’une exposition parrainée par Communication Arts magazine.
Le monde raffiné et mélancolique d’Andersen qu’il a illustré par trois fois lui sied à ravir.
Les éditions Nord-sud publieront plusieurs albums particulièrement remarqués.
Le Chat botté (1990), sombre lecture sur laquelle s’étend l’ombre mystérieuse de Parques paysannes, lui vaudra, l’année suivante, le Grand Prix de la Biennale de Bratislava. Le chat est un animal privilégié de son bestiaire et il en croque ici de savoureux portraits, avec, en guise des fameuses bottes, de ravissants petits chaussons d’enfants qui seront disséminés avec humour sur les pages de garde, toujours très soignées chez Stasys.. Sa vision funèbre de la vie rurale est poignante. Les effigies du roi, du père et de l’ogre, surréalistes à souhait, s’inscrivent dans la belle lignée des têtes stasysiennes. Un livre exceptionnel par la beauté de ses images où l’artiste fait une lecture très personnelle du conte de Charles Perrault.
Histoires de nez (James Krûss 1995), variations lyriques et mélancoliques sur le personnage de Pinocchio, est une pure merveille. Le nez y a les usages les plus inattendus, prosaïques mais merveilleusement poétiques, archet de violon, flèche d’un arc, mât d’un voilier, crayon, tringle de rideau, bec ou corps d’oiseau, poutre de charpente, pont, attelle, plantoir et, par une géniale pirouette graphique, auto-dérision suprême, … nez qui perfore un rudimentaire masque de bois. Pinocchio est tellement présent dans toute l’œuvre de Stasys, ses affiches, sa peinture et sa sculpture, et même sur des timbre-poste en Tchécoslovaquie, qu’il fit l’objet de jubilatoires expositions, dont Pinokio à Lublin en 2007. Stasys conserve dans son atelier une sculpture où il se gausse du monumental Palais des sciences et de la culture de Varsovie, souvenir architectural quelque peu encombrant des années soviétiques, en juchant sur son sommet un Pinocchio avec un grand nez pointu crânement érigé. Doit-on y voir une allusion au mensonge politique ? Un pinocchio en bois, très fruste, également gardé dans son atelier, peut rappeler les sculptures rudimentaires de son enfance…
La Suisse a adopté Stasys. Il y a présenté des expositions à Neuchatel, La Chaux de Fond, Bâle, Le Locle., créé des couvertures pour la revue Graphis et publié quelques livres, et pas seulement pour Nord-sud.
Le Chat Muche, petit bijou de fantaisie raffinée illustrant un joli texte de Yves Vélan, paraît en Suisse romande en 1986 (Eliane Vernay). La réussite de ce livre tient autant de la grâce infinie des illustrations (crayon, aquarelle et tempera) que de l’élégante maestria d’un texte ciselé.
Die Zaubernuss, édité à Zurich par Bohem Press – qui en perdit tous les originaux – sera traduit par les éditions Épigones sous le titre Le Secret des noix (1989).
Monsieur Cent têtes
Goulu le Meurt de faim (Nord-sud, 1993), sur un texte de Kurt Baumann à l’humour dérangeant, marque un tournant dans l’œuvre illustrative de Stasys qui, ici, rejoint l’univers de ses affiches, peintures et sculptures. En effet, l’album présente uniquement une galerie de bustes dont on ne sait s’ils sont peints ou s’il s’agit de compositions photographiées : Stasys refuse de dévoiler les recettes de son inventive cuisine ! Les motifs récurrents, l’arbre, la palissade ébréchée, le moulin, les branches mortes, les légumes, la chaîne, les longs cheveux qui s’étirent ou s’entortillent, sont là, mais intégrés aux têtes à la manière d’Arcimboldo.
Messidor-La Farandole, qui publie alors maints artistes d’Europe de l’Est, édite, en 1993, Petit cochon, chef d’œuvre de dérision décapante illustré par les têtes de Stasys, avec des bidouillages techniques dont il refuse là encore de dévoiler le secret. Il s’agit en fait de quinze bustes, photographies d’un personnage masqué, dont on voit, comme dans Goulu le Meurt de faim, les mains nues, des mains fines, d’enfant ou de jeune femme, sans doute celles de Marie, la fermière, des mains actives et expressives, les seuls éléments naturels et vivants de ces étranges compositions sur lesquelles plane l’ombre maligne de Circé. Les masques troublants qui dissimulent le visage du personnage font la part belle aux cochons, petits gorets ou gras pourceaux, dans des positions et des assemblages surréalistes qui se jouent des architectures et mobiliers paysans. Des vignettes de même facture ponctuent le récit de cette cruelle métamorphose porcine.
En 2010, François David, très admiratif du travail de Stasys, écrit et publie dans sa propre maison, Motus, des textes qui seront magnifiquement illustrés au pastel, une de ses techniques de prédilection, par une somptueuse galerie de masques et visages (Le garçon au cœur plein d’amour). Là aussi, on rejoint le monde de l’Homme Cent têtes.
Son illustration de e.e.cummings (Creative education, 1994), qui ne s’adresse pas exclusivement au jeune public, est à l’unisson des innovations stylistiques du poète. Elle se compose principalement des photos de masques, empreints d’une immense tristesse, portés au bout de branchages rustiques, comme ceux qui seront exposés en 2009 lors de l’exposition Smutki (Chagrins) au Musée de l’insurrection à Varsovie.
Le travail d’illustrateur de Stasys a été abondamment primé. Outre les distinctions énumérées plus haut, il a reçu, à Barcelone, en 1986, le Grand Prix du IIème concours de livres d’enfants et le Grand Prix, à Belgrade, de la Biennale du livre illustré. Il a eu en outre, en 1980, la mention Plus beau livre de Lituanie et, en 1981, le prix, à Tallinn, de l’International Book Art. The Raven King, sur un texte de Paul Delarue, a reçu, en 1981, le Grand Prix of the Polish Books Publishers.
Stasys Eidrigevičius a été nominé pour le Prix Andersen en 1998.
Et cet inventaire est loin d’être exhaustif…
De quoi prouver, s’il en était besoin, que son illustration d’Enfantina n’a rien à envier à son œuvre pour adultes.
Une exposition qui a eu lieu à Centre André François, Margny-les-Compiègne
du 15/05/2014 au 30/08/2014