© Michèle Daufresne, 2006
Extraits du catalogue
Un oiseau s’éloigne dans le ciel, laissant sur terre, désespérément seul, son compagnon (sa compagne?) accablé(e) de chagrin…C’est le visuel, très émouvant que Michelle Daufresne a créé pour Lire en fête 2006 à Margny lès Compiègne sur le thème des Peines de cœur.
Elle vient de perdre son mari et ne pouvait qu’être inspirée par le sujet de cette année. Mais son talent de graphiste combiné à ses dons de bricoleuse lui ont permis de le traiter de façon originale, en collant des écorces de bois sur du papier barbouillé de peinture.
Ces collages, dit-elle modestement, lui furent en partie inspirés par l’exceptionnelle exposition d’André
François à Beaubourg en 2004, L’épreuve du feu, mais il ne s’agit pas ici d’une imitation: elle lui a imprimé sa patte très personnelle, frémissante d’une sensibilité toute féminine et vibrante d’un deuil récent. Une fort belle affiche…
Œuvres de jeunesse
Quel chemin parcouru depuis 1952, date à laquelle la très jeune Michelle Ferrier publiait, sous son nom de jeune fille, ses premiers dessins, au charme si désuet, à La Semaine de Suzette!
Après quelques balbutiements au parfum délicieusement rétro pour Mon jardin et ma maison et pour les éditions Opta, elle est remarquée par François Faucher, successeur de son père Paul, fondateur des Albums du Père Castor. Le premier titre qu’elle publie dans cette maison fera date. C’est l’inoubliable Vieux frère de petit balai qui introduit la sociologie dans le livre d’enfance: le héros est un balayeur noir qu’elle croque avec beaucoup de liberté à partir de dessins volés sur le vif dans la rue. C’est en fait un reportage généreux sur l’immigration africaine et ses corollaires alors peu représentés dans les livres pour la jeunesse, à savoir la solitude, le rejet, le racisme, l’exclusion sociale. Avec, toutefois, l’optimisme qui la caractérisera tout au long de son oeuvre: le travailleur trouvera, au bout de son balai, l’amitié d’un enfant.
Un talent qui s’affirme
En même temps que quelques albums chez Flammarion, elle travaille pour les éditions du Cerf. La liberté graphique y est plus grande et elle y publie des livres merveilleux de poésie comme Volcan gris – volcan vert ou Loin dans les sables où l’on découvre, ébloui, son talent de paysagiste qui s’exprime dans l’ineffable de ses encres et de ses aquarelles.
Elle réalise quelques albums avec Jean Fabre à L’école des loisirs, et aussi un livre pour les Editions des Femmes, Noémie la nuit, réadapté récemment sous le titre Noémie éblouie par Christine-Marie Léveillé qui dirige les jeunes éditions Bilboquet. Lucie, la petite taupe au nom de clarté, ouvre les yeux de sa mère Noémie, la sort de la torpeur et de l’obscurité d’habitudes ancestrales et la guide fermement sur les chemins lumineux de la libération. Encore un titre qui a compté dans l’édition de jeunesse.
Une femme engagée
Cette femme délicate et si bien élévée est une féministe convaincue, qui secoue le joug des conventions sociales et s’est engagée résolument dans tous les combats altruistes du siècle écoulé. Ainsi des si célèbres Contes du poulailler, nés de la rencontre avec Suzanne Bukiet et que reprendra Françoise Mateu. Elle n’hésite pas à s’incarner en poulette fantasque: Irma, si délicieusement «tête en l’air», revendique de choisir sa vie, au grand dam des commères grincheuses de son entourage. Dans son adolescence, Michelle voulait faire du théâtre, et on l’en a empêchée. Elle vient enfin de se joindre à une troupe, quelques décennies après: il n’est jamais trop tard pour réaliser ses rêves de fillette…
Il y a dans les quatre albums de cette série une richesse rarement égalée: combat pour la liberté, éloge du métissage (qu’elle reprendra des années plus tard, avec des techniques nouvelles, dans le rutilant Des goûts et des couleurs), refus de tous les racismes, valorisation de la vocation artistique, hymne au voyage, à la curiosité, à l’ouverture d’esprit, à l’ivresse des découvertes. Ils sont si stimulants, si toniques que l’on ne se lasse pas de les lire et relire…
Irma bec en l’air fut traduit dans de nombreuses langues, même en arabe, arménien, russe ou vietnamien, et s’est taillé un magnifique succès éditorial bien justifié.
Histoires d’amour
Il y avait aussi dans ces Contes du poulailler une intrigue sentimentale, entre Irma et son beau coq blanc qui, amants maudits, doivent s’enfuir pour vivre ensemble.
Amours contrariées encore, non par leur couleur, mais par leur appartenance sociale et leur différence d’éducation que celles des cochonnets Rose Comifo et Laxo, héros aux noms particulièrement bien choisis de Mais, mais, mais…, version livresque pleine d’humour de La belle et le clochard et qui renouvelle aussi l’antique Proprette et cochonnet.
Amours malheureuses encore dans Coup de soleil qui évoque avec lyrisme la fragilité de la beauté incarnée symboliquement par une libellule au bleu diaphane et les souffrances de la déception que la belle éphémère inflige au pauvre grillon Léon.
Des amours joyeuses, aussi, quand même! Mon biberon, ta pipe confronte les dépendances, et le renoncement conjoint, d’un petit garçon à son biberon et du grand-père à sa pipe. Ulysse, le jeune cochon, abandonne sa tétine pour séduire, sur la plage, une ravissante porcelette, et son grand-père se sentira obligé de l’imiter et de jeter sa chère bouffarde. Un livre qui fut plébiscité par le Comité Français d’Education pour la Santé! Et une belle occasion de figurer, avec peinture et collages, de cocasses scènes de drague porcine entre les cabines du bord de mer, images qui ne sont pas sans rappeler le Paddy Pork de Goodall.
Un regard profondément altruiste
Maman pélican stigmatise, sans cruauté pour les protagonistes, une maternité abusive, étouffante pour sa progéniture. Constat un peu sévère qui n’empêche pas Michelle Daufresne de consacrer à sa propre mère trois très beaux livres, particulièrement émouvants.
Dans Le secret de Théodore, elle raconte la connivence entre un jeune singe et Sara, la vieille girafe. Cette rencontre affectueuse d’un enfant avec son aïeule se retrouve dans Ni oui ni non, mais avec gravité, cette fois, autour d’un jeu et d’inquiétudes partagées devant la proximité des fins dernières. Avec Le sourire de Sara, elle évoque l’acharnement thérapeutique d’un rhinocéros-médecin aveuglé par sa conscience professionnelle, imperméable à l’amour et à la compassion de ceux qui regardent la mort de Sara comme un repos attendu, comme, enfin, la paix d’un sommeil éternel bien mérité.
La relation privilégiée entre un enfant et un vieillard est un thème récurrent chez Michelle Daufresne.
Dans son Histoire d’yeux, elle porte son regard amusé de grand-mère, pétillant d’humour et de tendresse, critique et indulgent à la fois, sur ses petites filles et leur précoce coquetterie.
J’ai peur et Accident, esthétiquement très aboutis, sont inspirés aussi de souvenirs de famille et tentent de rassurer l’enfant qui a vu ou vécu un dramatique accident et de lui redonner le courage de vivre.
Chaque fois, l’amitié ou l’amour, très présents, guérissent tous les maux, pansent toutes les plaies. Et la confiance dans la bonté humaine ne fait jamais défaut…
Tous ces thèmes sont graves souvent, douloureux parfois. Mais que l’on ne s’y trompe pas: ces messages chaleureux sont suggérés avec tact, et les héros qui incarnent ces valeurs humanistes ou ces chocs psychologiques sont d’adorables petites poulettes, de fragiles taupes, des lapins ou des cochonnets malicieux, des oiseaux multicolores, des chouettes capricieuses, des guenons coquettes, croqués d’un geste libre et vif. Point de larmoiement ni de discours lourdement moralisateur. Tout est suggéré, effleuré, avec tact et légèreté, et dans les mots, et dans les images.
Illustrer les textes des autres
Michelle Daufresne n’a peur de rien: elle a osé affronter une illustration, excusez du peu, de la Bible! Gageure réussie par cette agnostique, sensible au souffle du texte et qui, malgré son humilité, ne fut pas paralysée par les artistes nombreux et prestigieux qui ont d’ores et déjà illustré ce livre essentiel. Devant cette tâche monumentale, elle est restée elle-même, sans concession à l’imagerie sulpicienne, et le résultat est superbe.
Avec les Vers d’un peu partout, elle s’est mise au service d’un texte de Ulrike Blatter. Michelle Daufresne fut émue et heureuse que cet auteur lui demande d’illustrer un recueil de ses poésies et touchée de sa confiance Et cependant, avec la discrétion et la modestie qu’on lui connaît, et aussi son éternelle insatisfaction, elle n’a cessé de craindre de n’être pas à la hauteur, de ne pas être en mesure d’imager fidèlement « la musique secrète qui se tapit dans les mots » dont parle Ulrike. Cette crainte était vaine, bien sûr: les sensibilités mélodiques si raffinées de l’une et de l’autre ne pouvaient que s’accorder et confluer de concert vers la sereine harmonie qui émane de ce recueil. Toutes deux possèdent en effet une merveilleuse qualité d’attention aux petits riens qui émanent des êtres et des choses, aux lumières et aux brumes des regards et des paysages, à la rosée des fleurs ou aux trilles des oiseaux, aux évidences poétiques du monde qui les entoure, et elles ont su accorder plume et pinceau pour en traduire sans mièvrerie toutes les délicates subtilités.
Sa collaboration avec François David pour Motus où elle a illustré Le rire des cascades de Alain Boudet donne un petit livre élégant et lyrique.
Comme Jules Renard est mort, nous ne saurons jamais -hélas!- s’il aurait apprécié à sa juste valeur le savoureux Sourire que Michelle Daufresne lui a joliment adressé…
Artiste et écrivain
La plupart du temps, elle écrit elle-même les textes, concis, qu’elle illustre, dans la fantaisie ou l’émotion, selon l’humeur du jour, avec un réel talent de plume, un je-ne-sais-quoi de tendre ou de primesautier, une élégance subtile et une justesse de sentiments, un humour et une légèreté, une grâce infinie que l’on découvre aussi dans les nombreux poèmes qu’elle a publiés depuis quelques années.
Elle a mené, parallèlement à ses activités d’auteur-illustrateur et de poète, une carrière de peintre et de plasticienne qui a influencé ses techniques d’illustration. Ses expositions successives en galerie l’ont poussée à des recherches graphiques et à des innovations techniques qu’elle expérimente avec jubilation.
Ainsi les sages encres et aquarelles des débuts se sont-elles vu aspergées d’eau de Javel, éclaboussées de sel, postillonnées à la pipette (que son architecte de mari appelait élégamment souffle-au-cul), alourdies de sable ou décorées des collages les plus inattendus. Il n’est que de voir comment elle a figuré récemment ses Jardins en comptines, son Petit brouillard ou les vues de Cabourg de son Victor et les éclats de mer et de les comparer au désert de son ancien Loin dans les sables pour prendre conscience de cette évolution.
Et sa joie de créer avec des matériaux incongrus éclate partout: 1,2,3, allons au bal! est un petit bijou d’intelligence et de fantaisie.
Elle s’amuse aussi à sculpter, des animaux souvent, et bricole avec du bois, des galets, des plumes, des brindilles, des feuilles et des fleurs séchées pour créer des installations qui seront photographiées dans certains albums comme Le petit théâtre de pierre.
Visite d’atelier
Elle travaille vite, ne retouche pas, jette beaucoup et recommence souvent. Elle projette ses couleurs avec vivacité, presque avec violence parfois, aspergeant copieusement de peinture ou d’eau de Javel le grand tablier bleu qui la protège des giclées et éclaboussures.
Son atelier lui ressemble, riche, spontané, et désordonné. La table est couverte de pots et de tubes, croule sous les outils de toutes sortes, pinceaux, crayons, ciseaux, sous les papiers, les matériaux à coller et le sol est jonché d’un tapis de dessins plus ou moins froissés, rejetés par l’artiste insatisfaite. Un merveilleux capharnaüm dont Christophe Besse écrivit un jour qu’on y trouvait tout, mais vraiment tout, sauf…une gomme!
L’abécédaire Images images que sa fidèle complice Marie-Thérèse Devèze, directrice de L’art à la page, vient de consacrer, après Sara et May Angeli, à Michelle Daufresne nous fait pénétrer avec bonheur dans l’univers espiègle et sensible de cette grande dame de l’illustration.
Un petit souvenir…
Un anecdote réjouissante qui en dit long sur sa désinvolture et son caractère facétieux…
J’avais organisé, en vue d’une exposition à Saint-Valery-sur-Somme, la rencontre d’illustrateurs avec une amie galeriste. Georges Lemoine est arrivé le premier. Il a ouvert de beaux cartons où les dessins étaient soigneusement rangés, emballés chacun dans un papier de soie, méticuleusement répertoriés sur des fiches artistement calligraphiées. Notre Irma bec en l’air est arrivée ensuite, porteuse d’un grand sac poubelle, qu’elle a vidé sans ménagement sur la table de la galerie, sous l’œil incrédule et médusé de son confrère…
Enchantée de ce succès inopiné, cabotine et mutine, elle a renouvelé la scène devant un groupe de mes étudiants ravis de ce spectacle inattendu.
Délicieuse et fantasque Michelle Daufresne qui, malgré son talent, ne se prend guère au sérieux…
Une exposition qui a eu lieu à Bibliothèque Jean Moulin, Margny-lès-Compiègne
du 07/10/2006 au 27/10/2006