© Alain Gauthier, 2000
Les Trains d’Alain Gauthier
Extrait du catalogue
La première image qui attira mon attention sur l’intérêt d’Alain Gauthier pour les chemins de fer est celle qui clôt magistralement Alice au pays des merveilles: derrière la fenêtre d’un wagon où se reflète symboliquement un « dernier » croissant de lune, on aperçoit Lewis Carroll avec le dodo, le lapin blanc et la souris de la mare aux larmes. Il a une expression d’une infinie tristesse. Le pied bravement posé sur le marchepied, Alice, décidée, monte dans ce train des adieux qui emmène son créateur vers de sinistres ailleurs. Admirable contrepoint à la scène qui ouvre le livre -les trois fillettes alanguies dans la barque sur l’Isis caressées par le regard rêveur du rameur- cette image est une invention originale de l’illustrateur. Que celui qui n’était encore que Charles Dodgson ait publié quelques-uns de ses premiers poèmes dans une revue intitulée The train et que ce soit pour ce mensuel qu’il se soit choisi son célèbre pseudonyme ne peut alors que nous interpeler.
Troublée par cette si pertinente lecture du texte et de la vie de Carroll, j’ai prêté un intérêt nouveau aux illustrations de La Belle et la Bête parues trois ans auparavant.Alain Gauthier y avait déjà introduit le train dans deux, voire trois planches surprenantes dans un conte traditionnel. Celle qu’il a simplement intitulée Jeu de cartes -les jeux de hasard se retrouvent de façon quasi obsessionnelle dans son travail- peut sembler loin du thème, mais si on compare la position des personnages et la composition de la page aux grandes toiles exposées (Le voyage ou les surprises de la lecture, par exemple ou encore L’impossible rendez-vous qui illustre notre couverture de catalogue), on ne peut
qu’ imaginer le couple assis dans un compartiment devant un paysage qui défile au rythme du temps..Le temps, thème lui aussi récurrent, est d’ailleurs une des composantes essentielles de La métamorphose qui s’opère sous la pendule d’une gare.La Bête y devient homme tandis que, grâce à la perversité qui caractérise si souvent les lectures d’Alain Gauthier, la Belle se transforme symétriquement en une chatte animalement câline. Quant à l’extraordinaire Descente de croix, où l’artiste parodie un des thèmes privilégiés de la peinture d’histoire, elle se déroule anachroniquement au pied d’un pylone très graphique avec, se profilant dans le lointain, un train dévidant un poétique panache de vapeur.
Loin de cet anachronisme, les voyages chastement érotisés de Prunella Banana, à l’encontre des contes de Madame Leprince de Beaumont ou de Cocteau, ou encore d’ Alice , trouvent plus fidèlement leur source dans le texte de Clotilde Bernos qui déroule son histoire dans un compartiment de chemin de fer mais le livre échappe cependant à toute banalité par la fascinante beauté de ses images et une vision surréaliste intériorisée de l’univers onirique.
Il est paradoxal que celui qui a créé tant d’ affiches pour des voyages maritimes, des compagnies aériennes ou des agences de voyage, n’ait jamais, semble-t-il, créé d’affiche pour la SNCF. Mais les trains sont encore présents sur quelques belles couvertures de livres- superbe, et troublant, Orient-express- et, bien sûr, dans ses peintures.
Je n’ai découvert que très récemment les oeuvres personnelles d’Alain Gauthier et ai été définitivement séduite par sa fausse candeur, son érotisme élégamment contenu , son humour particulièrement réjouissant, qui s’exprime en particulier par l’insolence des titres …Ah! Le petit train de ceinture! Quelle trouvaille!… Le hiératisme apparent des postures est malicieusement contredit par l’incongruité des situations décrites , le boutonné rigide de certains costumes s’oppose à la nudité prétendument naïve de vis-à-vis qui n’auraient « rien à cacher ».
Un univers si personnel qu’il peut sembler déplacé de céder à la tentation d’évoquer ici des rencontres avec quelques prestigieux aînés: avec un Hammershoï et le grisé de ses camaïeux intimistes, avec un Balthus et ses très jeunes femmes à la sensualité ambiguë ou encore un Delvaux qui, modestement, ne se prendrait enfin plus au sérieux…
Et toujours ce sens si subtil des demi-teintes, ce talent particulier de la mise en page, cet équilibre dans la structuration de l’espace qui ont fait de lui un de nos virtuoses de l’affiche
Quel talent!
20-22 octobre 2000
Une exposition qui a eu lieu à Mairie de Margny-lès-Compiègne
du 20/10/2000 au 22/10/2000