© Succession André François
Extraits du catalogue
« Ainsi le cirque peut incarner pour moi les émotions de mon enfance et la fascination de voir les émotions de tous les jours mises en spectacle dans le microcosme de la piste. »
André François
André Farkas, dit François est né le 9 novembre 1915 dans le Banat, à Timisoara, une petite ville qui était, si on l’en croit, « tout de même une grande ville ». Elle avait deux cinémas, dont un en plein air, et il y venait des cirques, et parfois même des cirques « à trois pistes et grande ménagerie ». Et les cirques qui s’y arrêtaient ravivaient le souvenir de son oncle Armand.
Des oncles Armand, le petit André en a eu deux, un ogre et un géant qui seront tous deux sources d’inspiration de son œuvre à venir. L’un, frère de sa mère, avait un appétit fabuleux et on peut croire qu’il a pensé à lui en illustrant Le Fils de l’Ogre de François David (Hoëbeke / Motus, 1993).
Le souvenir de l’autre, qui fut l’un des douze frères de son père – qui eut aussi deux sœurs -, scellera son pacte d’amour avec les arts de la piste. A l’âge de 14 ans, cet oncle Armand Farkas fugua et suivit un cirque de passage. André raconte avec humour que, au milieu de cette innombrable fratrie, on ne s’aperçut pas tout de suite de la disparition de l’adolescent… qui mesurait pourtant deux mètres six.
Il devint avaleur de sabres et jongleur avant d’épouser la veuve du Barnum russe Salomonsky et devenir directeur des cirques de Moscou et Riga.
Revue Neuf, numéro 7
L’aventure de l’oncle Armand a nourri l’imaginaire d’André qui la racontera en septembre 1952 avec verve, dans un article du mythique numéro 7 de la revue Neuf, dont le directeur et rédacteur en chef, Robert Delpire , deviendra son ami pour toute une vie.
Il faut y découvrir comment ledit tonton inaugura ses tumultueuses amours avec la veuve Salomonsky par l’offre d’une coupe de champagne, un impertinent baiser sur la bouche et la gifle magistrale qui s’ensuivit. Une effronterie qui ne pouvait que séduire un gamin anticonformiste et lui bourrer la tête de rêves libertaires. Il faut croire que cette fugue avunculaire lui tenait à cœur car il la racontera encore dans la monographie qu’éditeront Herscher, Booth Clibborn et Harry N. Abrams en 1986 et, en 2003, dans le catalogue Affiches et Graphisme de la bibliothèque Forney.
Quant aux alertes croquis naïvement joyeux qui illustraient ces mémoires d’enfance, il les reprendra, à New York, en 1958, sous le titre Circus, dans le recueil The Half Naked Knight où Alfred A. Knopf réunira de cocasses dessins de presse.
Ce numéro spécial consacré au cirque de la Revue de la maison de la médecine, fort recherché des bibliophiles, mis en page avec l’aide de Pierre Faucheux, reproduit de superbes clichés de photographes déjà glorieux, les Robert Franck, Henri Cartier -Bresson, Robert Doisneau, Willy Ronis, Brassaï… L’ami Delpire a toujours su s’entourer de talents. Et comme c’est une revue médicale, il est truffé de publicités pharmaceutiques. Il sera très vite réédité dans une élégante version reliée, sans messages publicitaires, sous le titre Permanence du Cirque, mais avec des reproductions, commentées par Michel Ragon, de toiles de maîtres inspirées par les arts de la piste, Picasso, Fernand Léger, Monory, Toulouse-Lautrec…
Quant aux textes, ils sont tous passionnants, Calder qui raconte l’histoire de son cirque, Robert Delpire qui interpelle le perchiste Emilio Jardys, Alain Sergent qui évoque Barnum, et bien d’autres encore dont, excusez du peu, Guillaume Apollinaire ou Pierre Mac Orlan qui chante le « puissant lyrisme banal » d’une « lumière insaisissable ».
C’est arrivé à Issy-les-Brioches
Ce célèbre numéro spécial de la revue Neuf paraît la même année que la Lettre des Îles Baladar, album iconoclaste concocté avec Jacques Prévert (NRF-Le Point du Jour), que Gallimard rééditera sous diverses formes plus ou moins heureuses, puis, enfin, en 2007, à l’identique de la première édition. En 1952 toujours, à New York et Philadelphie, chez J.B.Lippincott Company, paraît The Magic Currant Bun sur un texte, jamais traduit en français, de son ami John Symonds, « écrivain lunaire et excentrique », rédacteur en chef de la revue anglaise Lilliput.
André François était déjà l’illustrateur du délicieux Pitounet et Fiocco le petit nuage (Auguste Bailly Librairie Arthème Fayard, 1945), de Jacques le fataliste de Diderot (Les Editeurs Réunis,1946), du splendide Odyssée d’Ulysse du romancier et critique de théâtre Jacques Lemarchand (Guy Le Prat éd., 1947) et de Little Boy Brown sur un texte de la musicienne Isobel Harris, paru, en 1949, chez J.B.Lippincott Company à Philadelphie et New York, petit bijou que les éditions MéMo ont eu l’excellente idée de rééditer en français, en 2011, avec le soin fidèle à l’original qui caractérise cette belle maison.
Mais il n’avait été, jusqu’alors, qu’une seule fois auteur-illustrateur avec C’est arrivé à Issy-les-Brioches ( Les Éditeurs Réunis). Ce ravissant album, écrit en 1943 mais publié en 1949, raconte l’effervescence que fait naître, dans un petit village au charme désuet, l’arrivée du cirque Krapouchik, un nom, comme par hasard, aux sonorités très russes.
La joie des gosses, il l’a bien évidemment puisée dans ses souvenirs. Même si on y sent encore les influences de Peynet ou Effel, la fraîcheur et la sincérité du dessin et du ton ne laissent pas place au doute : il s’agit d’un livre très personnel, débordant d’humour tendre, habité par l’esprit d’enfance, et qui mériterait grandement d’être réédité. L’harmonieuse maquette fait alterner les vignettes et images intégrées au texte avec de grandes doubles pages. Seule la couverture est polychrome. Certaines planches sont en vert et noir, d’autres en rouge et noir : la bichromie caractérise, à cette période, la plupart de ses albums pour l’enfance, ainsi du vert des célébrissimes Larmes de crocodile (Delpire, 1956) ou du jaune de la Lettre des Îles Baladar.
Une élégante sobriété qui met en valeur le trait déjà magistral de l’artiste.
Dessins de presse
Avant la guerre, déjà, André François travailla pour la presse satirique française, L’Os à moelle, Le rire, Marianne, Ric et Rac, puis, à la fin du conflit, pour Vogue, La Tribune des Nations, et, en Grande Bretagne, pour Punch et Lilliput où il se lia avec Quentin Blake et Ronald Searle.
Très vite, les Américains se sont intéressés à ses dessins d’humour et d’humeur et il a été publié dans le New Yorker. Plusieurs recueils publiés aux Etats-Unis, en Grande Bretagne et Australie, en Italie, Allemagne et Suisse, réédités plusieurs fois de 1952 à 1974, ont réuni ces diverses planches où figurent quelques réjouissantes scènes de cirque : The Penguin André François, Double Bedside Book, Mit Gestraûbten Federn, The Tattooed Sailor, The Half Naked Knight, Heikle Themen, François 133 Disegni…
C’est à leur succès qu’André François, qui séjourna à New York pour la première fois en 1958, attribue son intronisation dans le club très envié des créateurs de couvertures du New Yorker, cinquante-neuf publiées pendant près de 30 ans, des années 60 au début des années 90.
Trois d’entre elles, très belles, hivernales mais intemporelles comme ne le sont plus les couvertures actuelles désormais collées à l’actualité, évoquent le monde du cirque marié à d’autres récurrences de son univers personnel. L’une présente un clown hilare juché sur un éléphant affublé d’un costume de Père Noël (1972) une autre une piste de cirque où des contorsionnistes figurent les quatre chiffres de l’année 1975 et la troisième, pour les vœux de 1969, un chien coiffé d’un chapeau de clown sous une pluie de confettis.
Il collabora encore avec de nombreux autres titres de presse, Fortune qui le fit voyager autour du monde pour des reportages magnifiquement colorés, mais aussi Le Monde, le Nouvel Observateur, Télérama, et, à la fin de sa vie, au journal de santé mentale VST dont son ami Vincent Pachès était directeur artistique. Ensemble, ils ont fondé, en toute connivence, les Éditions Savon rouge, et y ont publié en 1997, dans l’esprit des contributions à la revue, un petit chef -d’œuvre, Reste(s), série d’auto-portraits d’André François en clown, comiques, goguenards, grinçants et désespérés à la fois, en contrepoint de textes de Vincent Pachès. Un flirt appuyé avec Thanatos.
La bonne humeur tonique des commencements n’a pas survécu aux blessures de la vie.
Clowns de pub
Si le jeune André Farkas avait quitté son pays natal pour venir à Paris, c’était pour étudier chez l’affichiste Cassandre. C’est donc tout naturellement que ses premiers travaux furent publicitaires. Plus tard, Robert Delpire lui confia, au sein de son incontournable agence, de superbes campagnes qui ont fait date dans l’histoire du graphisme.
Et dans la pub aussi, les artistes de la piste sont bien présents, le clown surtout, drôle ou tragique, en qui André François a toujours vu une sorte de double fraternel.
Clown à qui un éléphant prête sa trompe en guise de hamac pour une carte de vœux de Reader Digest, clown crânement juché sur un lion à l’opulente crinière pour Dop, clown heureux de porter un ange en équilibre sur sa main pour Neimann Marcus, clown squelette pour la British Diabetic Association, clowns musiciens pour Sandoz, clown archer de Sédagrip, clown-centaure pour Habitat, quatuor de clowns héroïquement vainqueurs de la douleur pour Optalidon, clowns poètes des Imprimeurs Artra, dompteurs, clown, acrobates et bêtes de cirque pour Taylors Walker’s, singe mono-cycliste sur un buvard de Baignol et Farjon, fakir pour les chaussettes Stemm …
Les originaux de ces images farfelues et poétiques ont quasiment tous disparu dans l’incendie de l’atelier, en décembre 2002.
Affiches & estampes
C’est en grande partie parce qu’il fut un exceptionnel créateur d’affiches qu’André François acquit sa notoriété. Il suffit de feuilleter le catalogue Affiches et graphisme de l’exposition de la Bibliothèque Forney (2003) pour prendre conscience de l’importance qualitative et quantitative de son travail d’affichiste. Dans les domaines les plus divers, commerce ou culture, les arts de la piste sont bien présents.
Certaines de ces affiches furent tirées en sérigraphie, comme celle de Royal Utopia, réalisée par Graphicaza en 1992. L’enchantement du cinéma y est figuré par une superbe scène de magie, discrètement érotisée, qui se détache sur fond de coucher de soleil hollywoodien.
Nombre de ses offset sont doublés de tirés à part sur beau papier, en lithographies ou sérigraphies, techniques qu’il a largement utilisées en dehors des campagnes d’affichage. Ainsi Georges Lemoine a offert au Centre André François une lithographie étonnante avec un clown-squelette au rictus sardonique.
Et il s’adonna aussi au bonheur de l’estampe sur cuivre, gravant lui-même ses plaques, et cela dès 1964, chez son éditeur Georges Visat, à la Galerie Suzanne Visat, rue Bourbon le Château.
En 1969, Maurice Felt et sa femme Jacqueline éditèrent sa célèbre série des sept gravures sur cuivre sur le thème du cirque. Elles étaient conservées dans l’atelier qui a brûlé et on en trouve encore, parfois, de très rares exemplaires.
Ami de Pierre Etaix dont il illustrera, en 1996, le savoureux Je hais les pigeons, André François crée les affiches de ses longs métrages, Le Soupirant, Le Pays de cocagne, Le Grand Amour, et, bien sûr YoYo (1964).
André François Circus
Dans ce film délicieusement poétique né de la collaboration de Pierre Etaix avec Jean-Claude Carrière, apparaît, jouant son propre rôle, le clown Pipo. Son fils a eu la générosité de nous prêter le magnifique costume de son père, et aussi le sien, quand il avait trois ans, souvenirs émouvants de la grande époque de Medrano, dont témoignent aussi de précieux documents photographiques. Pipo Sosman Jr viendra nous faire partager cette irremplaçable mémoire.
Depuis le tragique incendie de l’atelier en décembre 2002, la plupart des originaux d’André François ont disparu. Il y en a donc peu dans cette exposition, d’autant plus que la succession de l’artiste n’étant pas réglée, les œuvres des archives familiales ne sont pas accessibles.
André François fut un merveilleux graveur et on eût rêvé de le voir initier notre jeune public à cette technique qui nous a valu tant de ses chefs-d’œuvres. L’ombre du maître planera sans doute sur les ateliers de gravure animés par le jeune illustrateur Thomas Périno.
Le thème du cirque est récurrent dans le livre d’enfance. Le Centre s’honore d’accueillir la grande artiste Elzbieta à qui les arts de la piste ont inspiré quelques merveilleux albums. Un beau moment d’émotion dans cette quatrième manifestation organisée par le Centre André François autour de l’œuvre de son charismatique parrain.
Une exposition qui a eu lieu à Centre André François, Margny-lès-Compiègne
du 26/01/2013 au 04/05/2013