
Lire en Fête Margny-les-Compiègne
© Pef, 2007
Extraits du catalogue
Pierre Elie Ferrier, dit Pef, que nous sommes heureux et fiers d’accueillir, cette année, pour notre Lire en fête, est une des figures les plus populaires de la littérature de jeunesse contemporaine.
L’affiche qu’il a créée pour nous ressemble à son oeuvre : joyeuse et généreuse, certes, mais tout sauf superficielle, riche d’une profession de foi humaniste, et animée d’un espoir porté très haut par les enfants.
Le petit Pierrot est né le 20 mai 1939, sous le signe du Taureau, à Saint-Jean-des-Vignes, en Bourgogne. Il grandit et, en 1960, dès la fin de ses études secondaires, il publie ses premiers dessins dans Arts, parallèlement à ceux de Topor et Gourmelin. Il a ensuite dessiné pour d’autres journaux tels que L’Humanité dimanche ou la revue Pourquoi, devient secrétaire de rédaction et photographe à Francs Jeux et rédacteur en chef de Virgule, exerçant en même temps, pour joindre les deux bouts, toutes sortes de métiers.
Il crée également des dessins animés (Les Pastagums) avec Alain Serres, ce qui inaugure alors leur profonde connivence.
Pour la chanteuse Anne Sylvestre, il illustre les pochettes de disques de sa collection Chansons pour…
Ce n’est qu’en 1978, à près de 40 ans, que Petit Pierrot devenu Pef aborde le livre de jeunesse.
Les femmes de Pef
Il remporte un très vif succès dès son premier album d’auteur-illustrateur, qu’il dédie à sa chère aïeule bourguignonne, Marguerite. Moi, ma grand-mère fut édité par La Farandole, maison où paraîtront nombre de ses titres.
Ce livre, devenu mythique, est quelque peu ambigu. Ne serait-on pas tenté de voir, dans cet éloge d’une mamie–tartine et dans le regard ironique de l’auteur sur les conquérantes intrépides, le message passéiste d’un phallocrate qui renvoie ces dames à leurs fourneaux ? D’autant plus que seules les pages des héros masculins sont en couleurs. Quant aux filles, elles ne méritent que le noir et blanc…
De quoi faire bouillir les féministes! Comme son Moi quand je serai grande paru quelques années plus tard qui ne présentera guère une image très positive des projets d’avenir féminins ici réduits à des rêves dominateurs…
Soyons juste: l’alternance du noir et blanc était motivée par des raisons économiques et la réédition chez Gallimard attribuera de la couleur aux pages des deux sexes.
En fait, la postérité retiendra, de cet album fondateur d’une oeuvre, la valorisation des joies simples et de l’amour, la force des souvenirs gourmands de l’enfance, l’humour plein de tendresse de cette joute puérile, et on y a vite décelé aussi la naissance pleine de promesses d’un nouveau talent. L’astuce de la composition, la pertinence de la mise en page, la dextérité graphique, la cocasserie des personnages, gamins et mamies, auguraient plus que favorablement de l’avenir, et dans la narration verbale, et dans les images..
Cette veine humoristique et tendre à la fois court dans toute l’œuvre de ce sentimental qui avance toujours avec le cœur sur la main. Avec le beurre sur le pain? Car même dans la fameuse série des Motordu, elle s’exprime dans les amours du Prince avec la charmante Princesse Dézécolle, héroïne inspirée par la propre mère du petit Pierrot, institutrice, pardon, traitresse d’école à Vieille Eglise près de Rambouillet.
Car les femmes de la famille occupent une place de choix dans son parcours.
C’est pour consoler sa fille Elsa de ses déboires avec son tyrannique professeur fesseur de saxo qu’il a raconté les cruautés de son propre apprentissage musical dans Huit ans de violon.
Quant à son épouse, Geneviève, comme Nicole le fait pour Yvan Pommaux, elle assure avec talent la mise en couleurs de la plupart de ses dessins depuis J’veux un ch’val. mais les éditeurs ont mis quelque temps avant que son rôle ne soit mentionné en page de titre. «D ‘ailleurs, remarque Pef, quand je suis invité à l’autre bout du monde, à de rares exceptions près, elle doit payer son voyage.
Les machos ne sont pas là où on les attend. »
Un éternel amoureux
Les histoires de cœur ne manquent pas dans son abondante bibliographie bien souvent nourrie par la mémoire.
Ainsi, les taureaux du Charolais qui gambadent dans les prés de ses souvenirs de petit écolier en vacances désirent devenir remarquables pour les beaux yeux d’une séduisante vache, mère et célibataire (Les amours de Frisolo).
Dans Cet amour de Bernard, celui qu’on surnommait alors cruellement « Fesse de rat » exagère le tragique triangle racinien en un drôlatique polygone de l’insatisfaction amoureuse, assaisonné d’un soupçon de dérision socio-politique. Encore un livre souvenir de ses émois enfantins.
Le texte de Un étrange mariage fut écrit par une fillette de 12 ans, lauréate du concours Plume en herbe chez Nathan..Les participants devaient créer une histoire à partir des dessins de Pef livrés dans le désordre. Son héros– tiens! tiens!- s’appelle Pierre et il fait à la mariée un cadeau que beaucoup seraient ravis de recevoir : les clés de sa fertile imagination.
« Seigneur, préservez-moi de ce type à l’imagination trop féconde » dit à ce propos une jeune fille dans l’un des savoureux crobards qui ponctuent un documentaire, au demeurant très sérieux, sur Le préservatif, petit accessoire fort utile que Pef appelle affectueusement la « chaussettakiki », indispensable quand on a « glagla au dodo » . Le livre se termine par la promesse très «verte» de sauver la planète, conclue par cette injonction: « T’oublieras pas de sauver l’amour en plus ». Menacé, en voie de disparition, l’amour?
Un sentimental, vous dis-je.
Le Roi Dézécolle
Le milieu scolaire qu’il a appris à aimer avec sa manman chérie, il le fréquente toujours assidûment un peu partout dans le monde, pour des rencontres avec un jeune lectorat plein d’enthousiasme.
C’est de cette familiarité qu’il rapportera le célèbre et salutaire Rendez-moi mes poux qui a réjoui tous les petits pouilleux de la terre, et, avec eux, mères et institutrices, obnubilées qu’elles sont par leur combat contre cet envahisseur tout puissant.
Barbanouille lui fut inspiré par les souvenirs de cantine de son fils Alexis, devenu lui aussi illustrateur.
Celui qui était quasiment le seul de sa classe à ne pas fréquenter le catéchisme se devait naturellement de participer à la défense de la laïcité dans Mon école à nous. Edité par Rue du monde pour le centenaire de la Séparation de l’Eglise et de l’Etat, ce livre met en scène des situations propres à faire réfléchir les jeunes lecteurs sur la pertinence de l’engagement laïc dans le monde contemporain.
Militant de la lutte contre l’illettrisme, il allait de soi, aussi, qu’il illustrerait On lit trop dans ce pays! de Daniel Picouly qui chante la gloire de la lecture et le pouvoir salvateur de l’imaginaire.
L’expérience traumatisante de ses Huit ans de violon n’empêche pas cet anticonformiste, pédago dans l’âme, d’aimer la musique et de faire partager ce bonheur en ponctuant de dessins hilarants le célèbre Piccolo, saxo et Cie qu’a réédité Thierry Magnier.
L’atavisme de ce fils d’enseignante explique sans doute ses liens avec des défroqués de la communale comme Raymond Rener ou Alain Serres.
Narcisse, es-tu là?
Pef est omniprésent dans ses livres.
Beaucoup, on l’a déjà vu, sont nourris de souvenirs personnels.
L’obsession du système pileux (Barbanouille, Rendez-moi mes poux!, Graine de calcaire…) n’est pas sans rapport avec son propre physique velu, poilu, barbu, chevelu.
D’autre part, ses livres sont truffés d’autoportraits.
Parfois, il apparait subrepticement, à la Hitchcock, comme dans Le monstre poilu.
Il peut être aussi directement le héros de l’album. C’est ainsi que son portrait, si facilement identifiable, court de page en page tout au long de Moi, j’ai horreur des gosses!
Il se raconte volontiers et dévoile la génèse de ses livres, et non sans une certaine jubilation, ainsi dans Enfants de papier, la monographie qu’a publiée Gallimard en 1993. Il y rend un chaleureux hommage à tous ses complices, Geneviève, épouse et coloriste, Alain Serres, Pierre Marchand, Christian Bruel, éditeurs, Raymond Stoffel, maquettiste, Raymond Rener, pédagogue, Frédéric Clément, Yan Thomas, illustrateurs, Claude Gutman, Henriette Bichonnier, Susie Morgenstern, Christian Poslaniec, auteurs, « et toute la compagnie » …
Il écrit, parfois, avec verve et humour, ses propres notices de présentation :
on n’est jamais si bien servi, n’est-ce pas, que par soi-même.
Et c’est un régal de lire ces confidences, ces anecdotes et d’entrer ainsi, pas à pas, dans l’intimité d’un bavard si sympathique qu’on aimerait l’avoir pour ami.
Monstres, dragons et autres sorcières…
Ecrire pour la jeunesse vous fait inévitablement rencontrer, au détour d’une page, les êtres inquiétants qui peuplent le monde de nos contes et de nos légendes.
Pef n’a pas échappé à ces confrontations et en est sorti, à coups de plume et de crayon, glorieusement vainqueur.
Son amie Henriette Bichonnier fut pour lui une redoutable pourvoyeuse d’adversaires répugnants. Du Monstre poilu, excellent pastiche de La Belle et la Bête, au Dragon dégoûtant et à Pincemi et Pincemoi et la sorcière, elle a accouché de créatures aux ancêtres mythiques qu’elle a transformées avec un humour particulièrement irrespectueux.
Les dessins qui illustrent Moi, j’aime pas Halloween de Christine Féret-Fleury flirtent délibérément avec un mauvais goût bien dans l’esprit de cette fête macabre et vulgaire.
Sur le mode des livres de cuisine ou de bricolage, Pef a illustré, pour le Seuil, un amusant Manuel de magie.
Quant à C’est pas sorcière, c’est un plaidoyer contre les discriminations sexistes dans le monde de la sorcellerie.
Des livres drôles et souvent sans prétention.
A bicyclet-te….
…chantait, dans de célèbres couplets, Yves Montand qui milita dans les mêmes sphères politiques que Pef.
Les vélos et autres bicross et biclounes, il les aime, au point d’en faire un objet de désir complètement loufoque dans une histoire pachydermique où il se souvient du Babar de sa jeunesse (Histoire de l’éléphant qui voulait se marier avec une bicyclette).
Un peu partout, dans son oeuvre, on voit des cyclistes (Couverture de Huit ans de violon, La liste générale de tous les enfants du monde, Moi, j’ai horreur des gosses! …)
Même les présidents de la République pédalent avec bonheur dans Cet amour de Bernard où la bicyclette est si présente.
Le grand jour, arrosé au champagne, est celui où on enlève les petites roues d’appoint et où on se lance sur les deux grandes, avec l’aide – excusez du peu! – de Fausto Coppi, « un grand type maigre avec un maillot jaune », que les petits cyclistes d’aujourd’hui ne connaissent plus mais qui fut la référence admirée de sa génération. Antoine Blondin et les étapes du Tour de France écoutées à la radio sont des éléments incontournables de la culture sportive de son jeune temps.
Dans La mer en vrai, où Rue du monde, qui a, décidément, le sens des commémorations, célèbre 1936 et les premiers congés payés, Pef pastiche avec talent les tableaux de Fernand Léger qui fut si proche du monde du travail et de la culture ouvrière. Là encore, les vélos occupent une grande place, proportionnelle à l’importance qu’ils avaient alors dans la vie. Dans ces époques pas si lointaines où l’automobile était réservée aux classes aisées, ils n’étaient pas des accessoires de musculation pour cadres dynamiques, mais un moyen de locomotion indispensable dans les milieux populaires. Et surtout, pour de nombreux gamins et ados, ils étaient synonymes d’évasion et de liberté.
A bicyclet-te… Avec Paulet-te…
Albert Londres ?
Pendant près de vingt ans, Pef fut journaliste. On ne s’étonnera pas qu’il fut autant inspiré par les media.
C’est en allant (à bicyclet-te!) chercher le journal de son père que le gamin de
6 ans que Pef était alors a eu la brutale révélation de l’horreur des camps nazis dont une photo montrait, en première page, la libération. Le traumatisme fut douloureux et il lui a fallu plusieurs décennies pour qu’il parvienne à l’évacuer dans un très beau livre, Je m’appelle Adolphe..
C’est par son expérience de journaliste que ce natif de la campagne a apprivoisé le paysage urbain qu’il décrit dans Bureau des ombres, Paris.
Il s’est beaucoup amusé à illustrer l’anti-texte du célèbre Rodari, exceptionnel grammairien de l’imagination. Scoop ! décrit une presse renversante au sens propre du terme qui ne raconterait que des non-événements, une vision optimiste de la vie à contre-pied du catastrophisme complaisant qui habite le monde de l’information. Les journaux, écrit Susie Morgenstern, « ces pages imprimées… pas si appétissantes que cela, remplies de disputes politiques, de terrorisme, de guerres lointaines… ». Alors, s’en moquer, c’est un plaisir, forcément!
Avec Premières nouvelles, il collabore avec Christian Bruel pour l’éphémère et subversif Sourire qui mord dont il était « l’auteur-éditeur-directeur » comme Alain Serres le sera pour Rue du monde. Pef illustre, en noir et blanc car « il n’y a pas de couleurs à la radio », une parodie à l’humour décalé des infos radiophoniques matinales qui grésillent durant nos toilettes et petits-déjeuners.
Après la presse écrite et la radio, la télé, bien sûr. Oukélé la télé, une histoire racontée par Susie Morgenstern, décrit la défense acharnée d’un garnement accro au petit écran que l’on tente d’éloigner, en vain, de l’objet de son addiction.
Lisses poires en série
Raymond Rener, en charge de la communication pour Gallimard Jeunesse, était bègue, ce qui, entre parenthèses, en dit long sur le goût de la provocation et l’anticonformisme du directeur de la maison, Pierre Marchand. Très excité par la perspective de ce livre alors si novateur, Raymond Rener m’annonce, un jour de septembre 1980, la prochaine parution d’un récit qui réhabiliterait les défauts de prononciation. Ce sera La Belle lisse poire du Prince de Motordu qui va inaugurer une fructueuse série de livres à succès profondément enracinés dans le terreau de l’école, parodies joyeuses et iconoclastes des manuels d’apprentissage de toutes les disciplines : Dictionnaire des mots tordus, Les belles lisses poires de France, L’ivre de Français, Le livre de nattes, Leçons de géoravie, Silence naturel : tout sur le cor humain. ..
Cet ensemble pédagogique qui joue malicieusement avec la phonologie et l’orthographe va se doubler, ces dernières années, d’une saga consacrée au Prince de Motordu, déclinée en différents formats, et éventuellement rééditée avec des CD. Ce seront, entre autres, Motordu a pâle au ventre, Motordu champion olympique, Motordu sur la Botte d’azur, L’ami vert cerf du Prince de Motordu , Motordu papa et Le Voyage en bras long de la famille Motordu.
Cette surexploitation mercantile n’est pas sans nuire à l’image de la série même si chaque nouvelle histoire reste bien ficelée et si la virtuosité linguistique de leur créateur demeure toujours active.
Mots-valise (grottogélateur), allographes (cor-corps) et homophones (jus d’os- judo), paronomases (drapeau-crapaud), antanaclases (professeur fesseur) et autres tropes sont toujours réjouissants et leur usage aisé dans de nombreux livres, et pas seulement les Motordu, intronise Pef dans la Confrérie des Humoristes-Philologues aux côtés de Claude Ponti ou de Raymond Devos.
Il vient de nous donner, dans cette veine malicieuse et créative, le texte et les images d’une grande et jubilatoire EncycloPefdie fort réussie, drôle et poétique à la fois.
Un expert en gossologie
« Je n’aime dessiner que les gens, et parmi eux, les enfants, encore les enfants, toujours les enfants », écrivit-il un jour.
D’ailleurs, dans Image, où es-tu? , il se donne le docte titre de «gossologue»…
D’où la belle réussite de La liste générale de tous les enfants du monde, livre né des très nombreuses rencontres et animations que Pef continue à faire infatigablement dans tous les recoins de la planète. L’humour s’y allie à la tendresse et à la compassion pour croquer des portraits parfois légers, parfois tristes, mais toujours enlevés d’un trait expert, tout ensemble rapide et sensible, et qui ne craint pas de stigmatiser les injustices qui pèsent trop souvent sur les petits.
Il est en profonde sympathie avec les timides (Rouge timide), les boutonneux, ceux qui ont peur la nuit (Mes peurs bleues), les maigrichons, les esseulés, les victimes du racisme (Les peaux de Victor)…
Ce n’est donc pas un hasard si Alain Serres lui a confié l’illustration des deux volumes de Mes droits d’enfants, plaidoyer grave en faveur de ses chouchous, et si c’est encore à lui que Françoise Mateu, alors directrice de Syros, a donné la mise en images de Dis non ! dans la collection Les petits carnets.
Le ton révolté qu’il trouve là pour accuser ceux qui s’en prennent à ses petits protégés devient agressif voire presque violent.
Moins polémique, Moi, j’ai horreur des gosses ! est un petit bijou à l’humour subtilement décalé sur les joies qui habitent le pays d’enfance et sur le regard attendri et nostalgique de l’adulte sur ces contrées enchanteresses qu’il eût peut-être aimé ne jamais quitter et qu’il contemple complaisamment dans le
rétroviseur de sa vie.
C’est aussi cette difficulté à quitter le nid et à accepter de grandir qu’il raconte symboliquement dans Il arrive qu’une cigogne… Ceux qui restent éternellement des enfants deviennent… des anges.
Laïc, le Pef, mais certes pas sectaire!
« Voulez-vous que je vous passe un kleenex ? »
Pef est loin de se laisser piéger par le rôle de joyeux histrion où risquait de l’enfermer la fabuleuse gloire commerciale des nombreuses « lisses poires » rigolotes parues chez Gallimard et il a fait montre, plus d’une fois, d’esprit de sérieux, de gravité et même, plus récemment, de tragique.
En 1994, il illustre un beau texte sur la mort écrit par Geneviève Laurencin, Le Dimanche noyé de Grand-père, dont le manuscrit lui parvint un jour par la poste. Une gageure que de mettre des images sur un thème aussi douloureux, et sur un texte aussi émouvant. L’emploi d’un papier à beurre déniché dans l’épicerie d’un village tunisien contribue, par sa matière incertaine, au climat mélancolique et tragi-comique de ce livre bouleversant. Le garçonnet est seul à même de comprendre et d’aimer son grand-père malgré les déchéances de sa vieillesse. Evoquer les faiblesses et la décrépitude du grand âge et le rejet gêné de ce vieillard négligé par ses propres enfants, la mort en direct et le chagrin du deuil de cet aïeul marin avec qui on partageait les délires de l’imagination, n’était pas un projet évident. Et si le sujet de la dépendance est actuellement à la mode dans les media, il n’est guère traité dans les livres de jeunesse. Celui-là est, au bout du compte, l’un des plus beaux livres de Pef.
« J’aurais, écrit-il, en partie raté mon exploration du monde si Claude (Gutman) n’avait pas, à un certain moment, guidé mes crayons vers les grottes humides du malheur. » Claude Gutman fut-il le premier à déceler, dans les dessins et les éclats de rire de Pef, « un peu de désespoir » ? Tous deux, en tout cas, ont concocté ensemble cinq histoires « mouilleuses de mouchoirs », dont Toufdepoil, si émouvante. Une belle association.
Zappe toutes les guerres !
Mu par le lancinant souvenir des camps de la mort et par son amitié pour Lili, rescapée de l’holocauste, il prend le risque de raconter l’histoire ambiguë et troublante d’un enfant ressemblant de façon inquiétante à Hitler. Réincarnation ? Je m’appelle Adolphe paru à La Nacelle déstabilisa son public et suscita force interrogations et critiques dubitatives. Un livre passionnant, étrange, subversif et bouleversant qui traite de la transmission de la mémoire et de la métaphysique du mal sans aucunement sombrer dans le manichéisme.
C’est encore de la mémoire des camps qu’il est question dans Un violon dans la nuit. Pef illustre cette poignante histoire avec une touche qui n’est pas sans rappeler les expressionnistes allemands inspirés par le désastre de la grande guerre. Il y a du Egon Schiele et du Munch dans ces têtes hâves et tragiques, dans la violence du trait et dans le traitement sombre des couleurs.
C’est le troisième livre sur le deuxième conflit mondial édité par Rue du monde avec des textes de Didier Daeninckx. Il faut désobéir évoquait la collaboration, Viva la liberté! la résistance : des livres sensibles et engagés sur des sujets qui fâchent et dont on ne parle guère d’habitude aux enfants.
Ce généreux militantisme pacifiste s’était déjà exprimé dans Zappe la guerre , bel album sur l’hécatombe de la grande guerre auquel Pef, qui en a assuré et le texte, et les images, a donné son ton personnel qui allie émotion et dérision.
Pour Une si jolie poupée, paru chez Gallimard, le procédé narratif ajoute au malaise par la fausse naïveté du récit. Il s’agit, en effet, comme pour Otto, l’autobiographie d’un ours en peluche de Tomi Ungerer, d’une sorte de journal, raconté cette fois par une poupée truffée d’une mine qui arrachera le bras de la fillette qui la ramassera. Une sourde révolte court derrière les mots du texte, et les couleurs vives des jouets piégés, incongrues dans les paysages désespérément dévastés par les bombes, accentuent le mal-être du lecteur.
Sur un ton plus léger, mais avec la même conviction, Pef retrouve Gianni Rodari. dont il met en images La guerre des cloches pour Kaléidoscope.
A qui fera-t-on croire que Pef est… juste un rigolo ?
Pourtant, il y a des étiquettes qui sont difficiles à décoller. Pef avait écrit un récit poétique de 365 levers de soleil, Le soleil sur la langue. Il fut refusé par quinze éditeurs, pas moins, sous le prétexte qu’il était « trop connu en jeunesse pour aller jouer dans la cour des grands ». Le manuscrit a fini par être accepté en Suisse par les Editions Zoé.
Pas grave quand on est un très grand dans la cour des petits…
Et nous avons beaucoup de chance de pouvoir, durant ces temps de Lire en fête, passer du rire aux larmes aux côtés de ce Janus gossologue sensible et généreux.
Une exposition qui a eu lieu à Médiathèque Jean Moulin, Margny-lès-Compiègne
du 02/10/2007 au 21/10/2007