© Solotareff, 2005
Extraits du catalogue
L’exposition présentée ici est propre à dévoiler des aspects inattendus de l’œuvre archi-connue de Grégoire Solotareff et à réjouir les très nombreux admirateurs de ce célèbrissime peintre-illustrateur à la verve si décapante.
En effet, elle présente, non seulement des originaux de ses livres, mais encore des esquisses diverses, des travaux préparatoires, des œuvres personnelles, des portraits animaliers (dont la plupart sont … des auto-portraits) et même des publicités ou des témoignages de son incursion récente dans l’univers cinématographique .
Sans doute Grégoire Solotareff puise-t-il son talent si original dans un parcours personnel peu commun. Sa famille est bien connue dans le monde de l‘édition puisqu’il est le fils d’Olga Lecaye, le frère de Nadja et d’Alexis Lecaye, l’oncle de Raphaël Fejtö et le père d’Emmanuel Lecaye. Sans commentaire…
Né en Egypte, à Alexandrie, où il a passé sa petite enfance jusqu’à l’avènement de Nasser et les troubles qui s’en suivirent, il a ensuite vécu quelques années au Liban dont son père était originaire, rattrapé là aussi par la guerre civile qui poussera sa famille en Grèce d’abord, puis en France.
Gâté sur le plan de l’hérédité, il est le fils d’un médecin féru de littérature, poète à ses heures, et d’une mère d’origine russe, artiste et conteuse : un métissage culturel qui explique sans doute son ouverture d’esprit et son mépris des conventions .
Ballotté par les vents de l’histoire, le vaisseau familial prendra des habitudes autarciques : les enfants ne seront pas scolarisés avant l’adolescence et recevront l’enseignement de parents affectueux, attentifs et cultivés. Grégoire fera des études médicales comme son père et exercera durant quelques années mais, trop sensible, il fera finalement de son violon d’Ingres son métier.
Il suffit de parcourir la bibliographie jointe pour prendre conscience de l’importance de son œuvre .
Importance quantitative, certes, mais aussi intellectuelle et culturelle.
De nombreux titres de cette bibliographie ont en effet fait date dans le paysage éditorial et sont connus bien évidemment des spécialistes, mais aussi largement – fait rare en France dans le domaine du livre pour la jeunesse- du grand public. Ainsi en est-il de Loulou, de Matthieu, de Monsieur l’Ogre, du Diable des rochers, de Moi Fifi, ou de son Dictionnaire du Père Noël..
Importance artistique, également car Grégoire Solotareff est, à la suite de sa sœur Nadja, le créateur d’un style que l’on a souvent tenté d’imiter. Ils ont en effet tous deux introduit la peinture dans le livre illustré et il n’est que de regarder les tableaux de cette exposition pour prendre conscience de la vigueur de son coup de plume, crayon ou pinceau et de la présence chaleureuse, voire même parfois agressive, de la couleur.
Autodidacte, il sera toujours en recherche graphique et un panorama chronologique de son œuvre permet de mesurer ses perpétuelles remises en cause. Il manie d’abord l’aquarelle, les encres et la gélatine, souvent sur des photocopies successivement agrandies, ce qui donne d’intéressants effets de matière.
Loulou marque un tournant important dans son parcours.
Il y abandonne les fonds blancs, les photocopies et découvre une palette beaucoup plus violente, de grands aplats cernés de noir et un épanouissement des formes sur l’ensemble de la double page.
Puis, autre tournant, vient Mathieu. Couleur splendide, touche plus visible, matière épaisse, clins d’œil référentiels, c’est une éclatante libération sur le plan esthétique.
La violence d’une palette chaude et profonde, souvent dans l’esprit des Fauves, des Nabis ou de certains expressionnistes allemands qui ont aussi souvent influencé sa sœur Nadja, sera constante dans les livres qui suivront, et certaines pages seront inoubliables : la chambre en camaïeu rouge de Toi grand et moi petit, la bibliothèque de Mathieu, les chaumières et les sous-bois de Toute seule, l’atmosphère inquiétante du Masque, la splendeur des paysages maritimes de Un jour un loup ou du Diable des rochers…On pourrait multiplier à l’infini les exemples de ces pages qui font date dans l’histoire du livre d’images et dont le nuancier est aussi réussi dans le joyeux et le lumineux que dans le sombre et le romantique.
Importance idéologique, aussi: les thèmes évoqués et les héros « zoo-anthropo-morphes »qui les illustrent sont audacieux, ouverts et généreux sans mièvrerie, tendres et fantaisistes sans être superficiels, pudiques et introvertis sans morosité, philosophes et idéalistes sans moralisme ennuyeux et porteurs de messages qui s’adressent autant à l’enfant qu’à l’adulte . Anticonformiste, contestataire, Grégoire Solotareff ne manque cependant pas de lyrisme voire de mélancolie et il a rendu, avec une sensibilité rare, le sentiment de solitude de l’enfant incompris ou les plaisirs nostalgiques et fragiles des couples mal assortis. Mais jamais avec lui on ne s’enlise dans la guimauve : la tendresse est acide, la sagesse élégamment désinvolte, et un humour indéfectible colore l’ensemble.
Les sujets et les personnages puisent dans le vivier des contes traditionnels et le bestiaire (loups, lapins, souris, crocodiles, éléphants…) est commun à de nombreux illustrateurs mais il est ici renouvelé avec une insolente fantaisie qui n’empêche pas une certaine distinction et exclut toujours le mauvais goût.
Directeur de la collection Loulou & Cie, il met son exigence graphique et thématique au service de livres qui enchantent les tout-petits .
Ses premiers livres sont parus chez Hatier, mais, depuis, à part quelques infidélités en direction de la maison Gallimard, toutes ses œuvres ont été éditées à L’école des loisirs avec la complicité attentive de son directeur artistique Arthur Hubschmidt.
Beaucoup des albums de Solotareff sont créés en collaboration: en famille, avec Nadja ou avec sa mère Olga Lecaye, mais aussi avec des amis -Kimiko, Alain Le Saux…- à qui, en généreux Pierrot, il prête volontiers sa plume. Car ce n’est pas seulement un peintre mais c’est aussi un écrivain de talent dont les textes recréent, avec une grande sobriété de moyens, un univers parfois désabusé, souvent mélancolique, drôle quelquefois, poétique toujours.
Un talent rare qui fait de lui l’un des auteurs-illustrateurs les plus intéressants de sa génération et explique ses brillants succès éditoriaux qui débordent largement les limites de notre hexagone.
Une exposition qui a eu lieu à Médiathèque Cathédrale, Reims
du 06/09/2005 au 01/10/2005