© Maja, 2005
Lorsqu’un porcinophile cochonologue quelque peu gorétomane vous sollicite pour monter une exposition consacrée à son animal fétiche, on ne peut qu’être flatté(e) et avoir quelques inquiétudes de ne pas être à la hauteur des attentes de cet éminent amateur et spécialiste : c’est ce que j’ai éprouvé lorsque Hervé Roberti, directeur de la Bibliothèque départementale de la Somme m’a demandé de travailler aux images du cochon dans le livre de jeunesse.
Le sujet est, en effet, vaste, et infiniment plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord et l’animal est très abondamment présent dans la littérature d’enfance, si présent qu’il est difficile et aléatoire, de faire des choix et d’opérer des classifications.
D’autre part, il a particulièrement inspiré les graphistes, surtout les dessinateurs d’humour,
et on trouve dans sa bibliographie la plupart des grands noms de l’édition illustrée contemporaine.
Se prêtant facilement à l’identification, il est souvent anthropomorphe, charmeur ou répugnant, mais il est également une charcutaille de choix, et aussi cochon de manège , tire-lire et porte- symbole religieux ou érotique tout en demeurant le souvenir nostalgique d’une vie rurale quasi révolue .
Animal de compagnie ou de boucherie, enfant sale ou charmant et drôle, symbole mortifère ou sexuel, objet plus ou moins fantaisiste, le cochon des livres d’enfants véhicule donc un peu de la complexité théorique voire philosophique qui le concerne dans la pensée des adultes et on retrouve dans les albums de jeunesse la plupart des thèmes de l’exposition que présente simultanément l’Abbaye de Saint Riquier.
Extraits du catalogue
La vedette de la cour (de ferme)
Loin s‘en faut, tous les cochons des albums ne sont pas anthropomorphes.
Dans une cour de ferme, le cochon, aimé des autres animaux, joue souvent un rôle majeur.
Joyeux drille, il entraîne les autres dans des jeux facétieux, ainsi du Cochon dans la mare de Waddell et Barton .
Dans une fable peu connue illustrée par Lisbeth Zwerger, La chienne et la truie, Esope affirme la supériorité des petits gorets sur les chiots car ceux-ci sont nés aveugles.
Une autre de ses fables, Les cochons et les moutons, inspira le seul apologue de La Fontaine (VIII-12) le mettant en scène, en un « Dom Pourceau » lucide sur le triste sort qui l’attend à l’abattoir (Le cochon, la chèvre et le mouton) . Ainsi le cochon symbolise-t-il , dans de nombreux récits, la peur de la mort.
Christophe Colomb importa des porcs aux Caraïbes lors de son second voyage comme le rapportent avec beaucoup d’humour Laura Fischetto et Letizia Galli , assurant désormais aux Américains l’incontournable bacon de leur petit-déjeuner.
Références iconographiques
La chienne et la truie in Fables d’Esope illustrées par Lisbeth Zwerger Duculot, 1989
Joëlle Jolivet Léon le cochon Albin Michel J, 1994
Tomi Ungerer L’Alsace en torts et de travers Ecole des loisirs, 1988
Martin Waddell / Jill Barton Le cochon dans la mare Ecole des loisirs, 1994
Un animal de compagnie
Animaux, les cochons peuvent également être des amis aimés des petits humains. Il en est ainsi aux Antilles, où le Peppino de Pascale Bougeault échappe au couteau du charcutier grâce à l’affection de Lucette et de son père.
Au Guatemala cette fois (grande voyageuse, Satomi Ichikawa fonde ses images sur des croquis faits sur le motif), Amarillo est l’animal de compagnie de Pablito. Lorsqu’ il disparaît, le garçonnet, aidé de son grand-père, apprendra à affronter les douloureux chemins du deuil.
Parmi les animaux de compagnie très présents dans l’hagiographie chrétienne, le cochon de Saint Antoine, créature endiablée attachée aux pas du saint homme, rappelle par sa présence les affres des tentations sulfureuses qui ont troublé la paix de sa retraite érémitique .
Références iconographiques
Pascale Bougeault Peppino Ecole des loisirs, 2000
Elzbieta St Antoine in L’enfance de l’art Rouergue, 1997
Satomi Ichikawa Mon cochon Amarillo Ecole des loisirs, 2002
Destination saloir
Avec plus ou moins de sérénité, le porc vit sa vie d’animal de la ferme promis à son avenir de cochonnaille, sans la ritualisation sacrificielle qui entoure certains animaux comme le coq ou le mouton : sa gloire posthume, charcutière, n’appelle guère les panégyriques spiritualistes. Mais l’horizon de la mort donne à réfléchir sur le prix de la vie.
« Tuer le cochon » est un moment important de la vie rurale : May Angeli , dans Louis du Limousin, comme, le fera plus tard Tomi Ungerer dans Nos années de boucherie, décrit toutes les étapes de cet événement familial dans une ferme traditionnelle.
La légende de Saint Nicolas joue de l’identification ambiguë des enfants aux petits cochons roses en faisant séjourner les « trois petits enfants…au saloir comme pourceaux ».
Elzbieta a créé une variante très subtile de cette célèbre chanson.
Références iconographiques
May Angeli Louis du Limousin / Louis dô Limosi (Andrée Paule Fournier)
Père Castor-Flammarion, 1972 Réédité par les Amis du Père Castor
Anonyme Saint Nicolas et les enfants au saloir (image d’Epinal)
Tomi Ungerer Nos années de boucherie Ecole des loisirs, 1987
Enfant = cochon ?
Alors que son statut de bête impure est source de nombreux interdits dans les civilisations juive et musulmane, le cochon est un des héros des récits d’enfance les plus populaires de la littérature occidentale, surtout anglo-saxonne, et son omniprésence dans l’album illustré n’est pas sans poser de problèmes aux médiateurs qui accueillent les enfants de l’immigration.
Comme souvent dans le livre d’enfance, l’animal sert principalement à l’identification du jeune lecteur. C’est le sort réservé aux kyrielles de gentils lapins, ravissants oursons, câlins chatons et autres mignons souriceaux qui peuplent les albums illustrés. Le cochon rose et dodu n’échappe pas à ce rôle – à cause de la ressemblance entre le goret replet et le bébé potelé ? – mais, par la drôlerie de sa silhouette, il apporte une connotation humoristique qui éloigne quelque peu l’écueil de la mièvrerie.
Les truies sont réputées pour leur exceptionnelle prolificité. Anaïs Vaugelade, qui les aime particulièrement, rend hommage à leur fécondité (Madame Quichon n’a pas moins de 73 petits !) dans une récente série qui raconte les tribulations d’une sympathique famille de cochons . Les pages de garde, foisonnantes, sont très réussies .
Cette saga porcine est héritière de celle des Mellops qui fit connaître à New York le jeune Tomi Ungerer dont l’œuvre à venir laissera une place de choix à notre héros.
Références iconographiques
Kimiko Le cochon Ecole des loisirs, 2002 (Loulou & Cie)
Néna Gaston mange comme un cochon Kaléidoscope, 1999
Armelle Modéré Petit-frère Ecole des loisirs, 2004
Alan Mets Brosse et savon Ecole des loisirs, 2003
Les trois petits cochons
Lorsqu’on évoque le cochon dans le récit d’enfance, les premiers héros qui viennent à l‘esprit sont Les trois petits cochons. Ce conte de la tradition orale anglaise fut analysé en son temps par Bruno Bettelheim qui a mis en lumière, dans la version originale du récit où les deux premiers cochons sont dévorés par le loup, la victoire du principe de réalité sur le principe de plaisir et valorisé l’effort, le travail et le renoncement qui aident l’enfant à grandir.
C’est le film de Walt Disney, plus édulcoré, moins moralisateur et délibérément optimiste, qui leur assura, dès les Silly Symphonies de 1933 et l’album paru chez Hachette en 1934, un succès qui ne se dément pas .
Nombreux sont les artistes qui se sont inspirés de ce conte des Three Little Pigs , en restant souvent , au moins en partie, fidèles au schéma initial, comme dans les versions illustrées par les talents divers de Gerda, Eriko Kishida, Kimiko, Charlotte Voake, James Marshall ou Jean Claverie .
Références iconographiques
Walt Disney Les trois petits cochons Hachette, 1934 & 1990
Paul François / Gerda Trois petits cochons Père Castor -Flammarion, 1958
Eigoro Futamata / Eriko Kishida Les trois petits cochons Ecole des loisirs, 1992
James Marshall Les trois petits cochons Kaléidoscope, 1987
Charlotte Voake Les trois petits cochons et autres contes Gallimard J, 1991 (Folio cadet bleu)
… et leur postérité
Le succès du dessin animé de Walt Disney fut conforté encore par les parodies inspirées qu’en fit, quelques années plus tard, le génial Tex Avery. Blitz Wolf , en 1942, se moque d’un Hitler à la fois ridicule et inquiétant et fait de nos trois compères de courageux soldats yankees. (Dans le célèbre La Bête est morte de Dancette et Calvo, on retrouvera, en 1945, le loup-Hitler mais on y découvre aussi un très subversif cochon-Mussolini .)
Pour One Ham’s family ou Three Little Pups, Tex Avery mélange les mythes et contes en un joyeux désordre en continuant à opposer les trois petits héros à leur prédateur légendaire, le loup. L’érotisme canaille de certaines scènes fait entrer délibérément ces dessins animés dans le spectacle pour adultes.
Dans le domaine de l’album illustré contemporain, les artistes transforment avec plus au moins de désinvolture le conte de la tradition. Ainsi de Frédéric Stehr qui, après une première parodie, Un cochon chez les loups, où un cochon séduit une « loupiotte » grâce à ses talents pâtissiers, s’essaie à une version féministe, Les trois petites cochonnes. Mitsumasa Anno nous étonne d’un exercice mathématique ardu comme il en a le secret, tandis que Quentin Blake et son compère Roald Dahl brassent les diverses histoires de loups, de fillettes et de cochon pour en donner une mouture hilarante audacieusement anachronique. Rascal et Peter Elliott introduisent de façon jouissive le narrateur dans l’histoire faisant participer le lecteur à l’élaboration du livre. Affaire de complicité encore entre un auteur et un illustrateur, le duo Smith- Scieszka, incriminant le sensationnalisme de la presse à scandale qui aurait faussé la vérité, narre l’histoire du point de vue du loup, lequel donne libre cours à une mauvaise foi que Tex Avery n’eût pas reniée.
L’étonnant album de David Wiesner, héritier de Chris Van Allsburg et auteur-illustrateur du superbe Mardi, joue lui aussi avec aisance des stéréotypes littéraires, des modes de narration écrite et graphique, et rajeunit ce sujet éculé en le balançant dans des univers fantastiques parallèles dont l’atmosphère onirique n’est pas sans parenté avec le monde insolite du Bestiaire de Sowa.
Mais la référence la plus subtile à ce conte est sans conteste Mina, je t’aime qui met en scène les approches amoureuses de trois adolescents dont la puberté est mise en effervescence par la sensualité candidement carnassière d’une fillette à la troublante animalité.
Références iconographiques
Patricia Joiret / Xavier Bruyère Mina, je t’aime Pastel, 1991
Tuyisi Mori / Mitsumasa Anno Le loup, le crapaud et les trois petits cochons
Père Castor – Flammarion, 1985-1991
Rascal & Peter Elliott C’est l’histoire d’un loup et d’un cochon Pastel, 2000
Jon Scieska / Lane Smith La vérité sur l’affaire des trois petits cochons Nathan, 1989
Frédéric Stehr Les trois petites cochonnes Ecole des loisirs, 1997
David Wiesner Les trois cochons Circonflexe, 2001
Alice au pays des merveilles
Dans un chapitre particulièrement farfelu d’Alice, la Duchesse jette le bébé qu’elle berçait dans les bras de la fillette où, très vite, il se transforme en un goret qui s’enfuit en trottinant vers la forêt. « En grandissant, se dit-elle, ce fût devenu un enfant horriblement laid, mais cela fait un fort joli cochon. »
Depuis Tenniel, de très nombreux illustrateurs se sont régalés de cette scène.
Références iconographiques
Anthony Browne / trad. Henri Parisot Kaléidoscope, 1988
Nicole Claveloux / trad. Henri Parisot Grasset, 1974
Alain Gauthier / trad. Jacques Papy Rageot, 1991
Anne Herbauts / trad. Anne & Isabelle Herbauts Casterman, 2002 (Les albums Duculot
Helen Oxenbury Père Castor-Flammarion, 2000
Arthur Rackam Alice’s adventures in Wonderland 1907 Gramercy books- NY, 1995
Ralph Steadman / trad. Henri Parisot / Tout Alice & La chasse au snark Aubier, 1986
John Tenniel / trad. Bernard Noël Alice racontée aux petits Ecole des loisirs, 1978 (Lutin poche)
… et autres métamorphoses
Quelques métamorphoses remarquables émaillent de loin en loin l’histoire de la littérature.
Pour s’être grossièrement empiffrés de nourriture, certains compagnons d’Ulysse furent transformés en pourceaux par la belle magicienne Circé.
A calicochon, un album féministe d’Anthony Browne à ses débuts, raconte comment deux fils et un mari sont punis de leur machisme par leur métamorphose en cochons, simultanée du départ de la mère-épouse qui les abandonne à leur paresse et à leur crasse.
A l’inverse, dans Le Prince-cochon, conte d’Emilie-Romagne imagé par Mette Ivers, ou dans Le cochon enchanté illustré par Tardi, c’est en Prince Charmant que s’opère la métamorphose. « Dans les contes du cycle du fiancé-animal, l’angoisse qu’éprouve l’homme à l’idée que sa grossièreté détourne de lui sa fiancée est mise en parallèle avec l’angoisse de la femme vis-à-vis de la nature bestiale de la sexualité. » écrit Bruno Bettelheim dans sa Psychanalyse des contes de fées .
Bijou d’humour noir, Petit cochon de Akumal Ramachander, magistralement illustré par Stasys Eidrigevicius, raconte la métamorphose en cochon de Marie, l’accorte fermière , prise de remords après avoir livré au boucher un porcelet qu’elle avait tout d’abord dorloté comme un enfant. Coup de théâtre réjouissant : son protégé parvient à s’échapper et c’est elle qui sera menée à l’abattoir !
Références iconographiques
Anthony Browne A calicochon Flammarion, 1987
Frédéric Morvan / Mette Ivers Le Prince-cochon in Moitié de garçon et autres contes italiens Ecole des loisirs, 1999 (Neuf)
Akumal Ramachander / Stasys Eidrigevicius Petit cochon Scandéditions-La Farandole, 1993
Jacques Tardi Le cochon enchanté Conte roumain Grasset J, 1984 (Monsieur chat)
Malpropres et malpolis
Les caractéristiques péjoratives souvent attachées à l’animal -grossièreté, saleté, puanteur, concupiscence, impudicité, paresse- se retrouvent aussi dans les albums pour la jeunesse, mais atténuées, et traitées avec la distance de l’humour .
Néanmoins, ces défauts existent et expliquent la solitude de Goliath , l’un des portraits jubilatoires de Grégoire Solotareff dans l’excellent recueil Les garçons et les filles .
Henri Galeron a brossé lui aussi un cochon paresseux de facture exceptionnelle .
Malodorant, toujours Les doigts dans le nez, pétant de façon immonde, Jules parvient à dégoûter le loup hygiéniste qui les tenait prisonniers, lui et sa dulcinée, utilisant astucieusement ses défauts peu ragoûtants à des fins positives. Dans la même veine, Alan Mets se régale de ces incongruités répugnantes dont raffolent les enfants dans un réjouissant Brosse et Savon.
Quelques années avant de publier ses Cochontines qui accumulent avec brio les scènes cocasses , le très regretté Arnold Lobel rencontra la popularité aux Etats-Unis puis en France avec un petit album, Porculus, dont le héros sybarite se délecte de bains de boue particulièrement salissants. La fermière ayant fait un nettoyage agressif de la basse-cour, il fugue, errant de décharge en marécage, et risquant d’être immobilisé dans le béton frais de la grande ville où il se vautre par mégarde . Heureusement, les fermiers –qui jouent un rôle parental- ont compris leur intolérance et lui restituent « la boue si douce » qui fait ses délices.
Références iconographiques
Michelle Daufresne Mais, mais, mais… Hachette J, 1993
Marie-Ange Guillaume / Henri Galeron Le monstre paresseux
in Comment chasser un monstre ? Fastoche ! Seuil-Couratin, 2003
Arnold Lobel Porculus Ecole des loisirs, 1971 (1969)
Alan Mets Les doigts dans le nez Ecole des loisirs, 2000
Grégoire Solotareff Goliath in Les garçons et les filles Ecole des loisirs, 1997
Le petit cochon coquet
Le plus souvent, à l’encontre des stéréotypes, la coquetterie sera l’apanage du cochon, ainsi du célèbre Paddy Pork de John Strickland Goodall, traduit en Cochonnet coquet, qui, nouveau Brummell, promène son élégance un peu ridicule dans les rues de Londres, ou du cochon amoureux de Keiko Kasza qui, soucieux de séduire et peu confiant dans son apparence naturelle, emprunte, pour son pique-nique, des parures aux autres animaux.
Avatar de la célèbre Héloïse de Hilary Knight, Olivia de Ian Falconer est l’héroïne espiègle et délurée d’une série d’albums récents qui remportent d’ores et déjà un grand succès éditorial. Coquette elle aussi, mythomane, cette petite cochonne est féminine en diable, et pleine de charme et de joie de vivre. Un graphisme très enlevé, dans un camaïeu de gris rehaussé d’une touche de rouge ou de rose, contribue à la réussite de cette série promise à un bel avenir.
Michelle Daufresne, avec talent et sensibilité, a croqué des porcelets et des « porcelettes » craquants d’humour. Réincarnation de Proprette et cochonnet immortalisés par André Pécoud, Rose Komifo et le petit Laxo vont s’aimer d’amour tendre, Mais, mais, mais…. au grand dam de leurs familles qui acceptent mal leurs différences de milieu et d’éducation . Quant à Ulysse, pour séduire la ravissante Victoria, il abandonne son cher biberon sur la plage, montrant l’exemple au grand-père fumeur de pipe quelque peu marri.
Pour ce qui est du Docteur Mars, son charme réside dans sa formidable intelligence qui lui permet de construire un vaisseau spatial et ainsi de « draguer » une délicieuse martienne toute verte .
Références iconographiques
Ian Falconer Olivia Seuil J, 2000
John- Strickland Goodall Les mésaventures de Cochonnet Coquet Gallimard J, (1980) 1982
Keiko Kasza Le pique-nique des cochons Kaléidoscope, 1980
Arnold Lobel adapté par Christian Poslaniec Cochontines Ecole des loisirs, 1984 (1983)
Pastiches et mélanges
Les trois petits cochons ne fut pas le seul conte à inspirer les imitateurs plus ou moins iconoclastes.
Avec l’insolence qui le caractérise, Vincent Mallone, réécrit Blanche-Neige en un original Cochon-Neige : « Le petit Cochon-Neige , dit le miroir à la méchante reine, dans sa ferme est bien plus joli que vous. » Ce récit pétillant qui flirte avec le texte des frères Grimm tout en le biaisant constamment nous mène à un épilogue inattendu : « Quant à Cochon-Neige, las de toutes ces aventures, il profita de la confusion générale pour s’éclipser et retourner à la ferme . Il y vécut longtemps, heureux et eut beaucoup d’enfants . »
Impertinent lui aussi, Merlin nous concocte un syncrétisme parodique de divers contes traditionnels, affublant les deux jeunes héros des défauts habituellement attribués aux cochons, la goinfrerie et la saleté. L’originalité du graphisme et de la démarche narrative contribuent à la réussite de cet album drôle et anticonformiste.
Un texte posthume de James Marshall, brillamment illustré par l’immense Maurice Sendak raconte l’intrusion d’un loup au Barshoi Ballet où l’on donne Swine Lake. Ce titre était aussi celui de l ‘édition originale américaine, rendant ainsi transparente la référence à Tchaïkowski que le trivial titre français, Pieds de cochon, efface totalement. Un pot pourri singulièrement réussi de souvenirs littéraires, musicaux et chorégraphiques .
Promis au saloir, le porc de Marcel Aymé, avec l’aide d’un bœuf savant et de Delphine et Marinette, s’affuble des ailes de la buse et échappe ainsi au couteau du fermier. Cette grotesque parodie de Pégase a joyeusement inspiré, en 1943, pour la NRF, le pinceau de la russe Nathalie Parain.
Allusion humoristique au Cheval de Troie, la « porca troiana », étymologie du mot truie
(farcie de petits !), est-elle à l’origine de la tire-lire ? Le cochon – tire-lire de David McKee joue un vilain tour à Charlotte en s’envolant dès qu’il est plein.
Autre objet, le cochon grognon d’un élégant Manège, jaloux qu’il est des amours du forain avec Zoïa, la marchande de bonbons fugue. L’aventure, due au crayon optimiste de May Angeli aura, bien sûr, une fin heureuse.
Références iconographiques
May Angeli Manège Sorbier, 2000
Alex Cousseau & Philippe-Henri Turin Les trois loups Ecole des loisirs, 2002 (Matou)
David McKee La tire-lire de Charlotte Kaléidoscope, 1996
Vincent Malone / Jean-Louis Cornalba & Chloé Sadoun Cochon-neige Seuil J, 2004
James Marshall / Maurice Sendak Pieds de cochon Ecole des loisirs, 2001
Michael Sowa Bestiaire Seuil, 1999
David Wiesner Mardi Père Castor- Flammarion 1992
Arts et artistes
Solange, petite cochonne solitaire et mélancolique se prend d’affection pour l’angelot qui sourit dans un tableau du musée. Thierry Magnier, qui n’était pas encore éditeur, a conjugué son talent d’écriture avec celui de Georg Hallensleben pour nous offrir les poétiques aventures de cette « gorette » qui deviendra gardienne de musée par amour.
C’est dans une époustouflante galerie d’art que nous entraîne L’exposition des trois amis de Helme Heine. Une poule, une souris et un porc visitent une exposition en la commentant d’un discours impertinent et drolatique: bonheur de l’identification, réflexion sur le statut de l’œuvre d’art, perplexité devant certaines créations, interrogation sur les techniques, tout y passe, avec la distance de l’humour et la créativité de la mise en page , et quelques savoureux portraits de cochons .
Meuhtisse et Picochon de Nina Laden raconte la rivalité entre Matisse le bovin et Picasso le porcin . Un pastiche qui désacralise allègrement deux gloires incontestées de la peinture du siècle dernier : « Tu peins comme un cochon » dit Meuhtisse, et Picochon de rétorquer : »Tu peins comme un enfant de deux ans. » Air connu !
Dans un récit alerte de Jean-Luc Fromental illustré par Miles Hyman, un cochon dont l’oreille est accidentellement coupée, développe un exceptionnel talent de peintre. Allusion évidente à Van Gogh, cette histoire incongrue est aussi une intelligente réflexion sur le double et les problèmes de gémellité .
Références iconographiques
Jean-Luc Fromental / Miles Hyman Le cochon à l’oreille coupée Seuil J, 1994
Helme Heine L’exposition des trois amis Gallimard, 1991
Nina Laden Meuhtisse et Picochon Circonflexe, 1999
Thierry Magnier / Georg Hallensleben Solange et l’ange Gallimard J, 1997
Une exposition qui a eu lieu à Bibliothèque départementale de la Somme, Amiens
du 30/04/2005 au 28/08/2005