Contes et images de l'Orient
© Zaü, 2001
Extraits du Catalogue
Après Molière, Montesquieu ou Galand, pour Volney, Chateaubriand, Flaubert ou Loti, pour Ingres, Delacroix ou Fromentin et bien d’autres, écrivains, peintres et photographes, l’Orient désignait les contrées situées aux rives méridionales et orientales du bassin méditerranéen. Il englobait le Proche et le Moyen-Orient ainsi que le Maghreb.
C’est à ce Levant romantique qui fut abondamment évoqué par des récits et carnets de voyage et qui inspire encore largement la production éditoriale illustrée contemporaine, qu’est consacrée cette exposition.
Attrait des solitudes immenses du désert, poésie glacée des nuits sahariennes, fascination pour le mystère cérémoniel des écritures, rêveries sulfureuses inspirées par les ombres qui se glissent furtivement derrière les grilles des moucharabiehs ou les rires cristallins qui se mêlent au ruissellement des fontaines dans le secret de jardins irréels, sensualité des parfums et des épices qui hantent les ruelles aveugles des medina aux portes fermées sur des architectures à l’insolente richesse, découverte étonnée d’antiques civilisations longtemps oubliées, mais aussi, dans des albums plus résolument destinés à l’enfance, variations drôlatiques autour d’un bestiaire souvent fantaisiste…Les sources où s’abreuvent nombre de nos livres illustrés jaillissent souvent encore, comme au temps des voyages de Nerval ou de Lamartine, dans les jardins enchanteurs de Schéhérazade.
Monde arabe plus rêvé que vécu? Certes…Vision réductrice aux relents de post-colonialisme? Peut-être… Exotisme de pacotille? Quelquefois…Mais à la séduction si forte qu’elle alimente un imaginaire très vivace et propre à faire naître des livres souvent passionnants.
Les oeuvres exposées sont toutes des originaux: une occasion pour les visiteurs de s’intéresser à des techniques d’illustration variées, très élaborées et souvent d’un extrême raffinement.
L’exposition est divisée en îlots thématiques accueillis par la Bibliothèque départementale de la Somme, les Bibliothèques d’Amiens-Métropole, l’Institut universitaire de formation des maîtres et la Librairie Pages d’Encre. Tous ces lieux amiénois organisent, durant l’exposition, des animations, spectacles (danse, cinéma et théâtre), séances animées par des illustrateurs, conteurs et calligraphes, ateliers divers et rencontres avec des artistes ayant prêté leurs oeuvres…
Ce catalogue présente, outre l’ensemble des oeuvres exposées classées selon les sept lieux d’exposition avec des notices sur chacun des artistes, mais aussi la bibliographie des artistes invités pour des rencontres et signatures.
Œuvres de May Angeli Eric Battut, Pascale Bougeault, Claude Boujon, Jean Claverie, Frédéric Clément, Pierre Cornuel, Michelle Daufresne, Olivier Douzou, Claude K Dubois, Philippe Dumas, Elzbieta, Evelyne Faivre, André François, Alain Gauthier, Joly Guth, Georg Hallensleben, Mette Ivers, Rachid Koraïchi, Georges Lemoine, Catherine Louis, Daniel Maja, Hassan Massoudy, Hélène Muller, Benoit Perroud, Emmanuel Pierre, François Place, Laura Rosano, Tony Ross, Binette Schroeder, Grégoire Solotareff, Ophélie Teixier, Dominique Thibault, Zaü (créateur de l’affiche)
Expositions du 8 janvier au 2 mars 2002 à Amiens
Croisière sur le Nil Bibliothèque départementale de la Somme10, chemin du Thil
Rêves d’Orient
Les Orientales de May Angeli Bibliothèque Louis Aragon 50, rue de la République
Ecritures des sables Bibliothèque Edouard David Place du Pays d’Auge Etouvie
Désert Bibliothèque Hélène Bernheim Le Safran Rue Georges Guynemer
Les Orientales de François Place Librairie Pages d’Encre 1, rue du chapeau de violettes
Les vaisseaux du désert Institut universitaire de formation des maîtres 49 Bd de Chäteaudun
Croisière sur le Nil
L’Egypte ancienne, tout au long de ses deux rives, depuis la Nubie jusqu’à la mer, est un livre de pierre d’un développement de quatorze cents kilomètres, composé de monuments, d’inscriptions sur ces monuments, de statues – grands hiéroglyphes- d’écritures et de textes – petits hiéroglyphes- le tout sculpté, gravé, peint, enluminé sans relâche et sans solution de continuité, durant une période de sept mille ans environ.
Ce livre indestructible semble, à première vue, le langage de quelque Génie baillonné qui, par gestes désespérés et magnifiques, cherche à se faire comprendre du passant, mais sans jamais y parvenir.
Il en est de même de ces beaux exemples sur papyrus, illustrés de vignettes en caractères hiéroglyphiques,tantôt en caractères hiératiques, incantations puissantes enfermées dans le sarcophage, avec la Momie.
……
O Egypte! -s’écriait le Trismégiste, à une date ultra-millénaire- il ne restera, un jour, de ta pensée et de tes grands mystères, pour les générations futures, que des signes taillés dans la pierre et devenus indéchiffrables pour le commun des hommes. Mais ils suffiront pour t’immortaliser dans les siècles des siècles.
Dr Joseph-Charles Mardrus Le Livre de la Vérité de Parole La Place royale, 1986
Rêves d’Orient
Nous nous en allons par les rues étroites, sinistres malgré le soleil, entre de vieux murs sans fenêtres, faits de débris de toutes les époques de l’histoire, et où, çà et là, s’encastrent une pierre hébraïque, un marbre romain. A mesure que nous avançons, tout devient plus en ruines, plus vide et plus mort, – jusqu’à ce saint quartier, d’une désolation infinie, qui renferme la mosquée et dont toutes les issues sont gardées par des sentinelles turques interdisant le passage aux chrétiens.
Grâce au janissaire, nous franchissons cette fanatique ceinture, et alors, par une série de petites portes délabrées, nous débouchons sur une esplanade gigantesque, une sorte de mélancolique désert, où l’herbe pousse entre les dalles…..
Au milieu, et très loin de nous, …se dresse solitaire un surprenant édifice tout bleu, d’un bleu exquis et rare, qui semble quelque vieux palais enchanté revêtu de turquoises; c’est cela, la mosquée d’Omar, la merveille de l’Islam.
Quelle solitude, grandiose et farouche, les Arabes ont su maintenir autour de leur mosquée bleue!
A mesure qu’on s’avance dans cette solitude, dallée de grandes pierres blanches et quand même envahie par les herbes comme un cimetière, le revêtement de la mosquée bleue se précise: on dirait sur les murs, une joaillerie nuancée, ajourée, mi-partie de turquoise pâle et de lapis violent, avec un peu de jaune, un peu de blanc, un peu de vert, un peu de noir, sobrement employées en très fines arabesques…
Tout cela, si déjeté par les siècles, si mélancolique, avec un tel air d’abandon, sur cette place immense où le printemps a mis entre toutes les dalles, des guirlandes de marguerites, de boutons d’or et d’avoines folles!…
Pierre Loti Jérusalem (1895)
Les Orientales de May Angeli
La lune se levait au ras des flots, et, sur la ville encore couverte de ténèbres, des points lumineux, des blancheurs brillaient: le timon d’un char dans une cour, quelque haillon de toile suspendu, l’angle d’un mur, un collier d’or à la poitrine d’un dieu. Les boules de verre, sur le toît des temples rayonnaient, çà et là, comme de gros diamants.
Mais de vagues ruines, des tas de terre noire, des jardins faisaient des masses plus sombres dans l’obscurité, et, au bas de Malqua,des filets de pêcheurs s’étendaient d’une maison à l’autre, comme de gigantesques chauves-souris déployant leurs ailes. .. Au milieu des terrasses les chameaux reposaient tranquillement, couchés sur le ventre, à la manière des autruches….Au loin quelquefois la fumée d’un sacrifice brûlant encore s’échappait par les tuiles de bronze, et la brise lourde apportait avec des parfums d’aromates les senteurs de la marine et l’exhalaison des murailles chauffées par le soleil.
Autour de Carthage, les ondes immobiles resplendissaient, car la lune étalait sa lueur à la fois sur le golfe environné de montagnes et sur le lac de Tunis, où des phénicoptères parmi les bancs de sable formaient de longues lignes roses, tandis qu’au delà, sous les catacombes, la grande lagune salée miroitait comme un morceau d’argent. La voûte du ciel bleu s’enfonçait à l’horizon, d’un côté dans le poudroiement des plaines, de l’autre dans les brumes de la mer, et sur le sommet de l’Acropole les cyprès pyramidaux bordant le temple d’Eschmoûn se balançaient, et faisaient un murmure, comme les flots réguliers qui battaient lentement le long du môle, au bas des remparts.
Gustave Flaubert Salammbô (1862)
Écritures des sables
Cette œuvre que l’on voit si peu sur les cimaises des galeries, qui s’expose loin des avenues de la mondanité, …cette œuvre est à sa place dans l’espace du livre: lieu d’accueil idéal pour un art qui en appelle aux valeurs de recueillement, de la rêverie intime, bref à cet « écart absolu » célébré naguère par André Breton et que revendiquent silencieusement les esprits en authentique rupture de ban.
Et, tandis que la voix de l’artiste- grave, assourdie, mais chaudement relevée d’épices étrangères- raconte le chemin depuis les commencements, la main accoutumée à l’art du calame saisit le roseau fraîchement taillé, déploie le rectangle de papier immaculé – et trace le premier trait.
Trois doigts tiennent la tige lustrée au bec refendu taillé en biseau. L’avant-bras haut tenu ne repose pas sur la table. Le buste reste distant, penché sur la phrase, mais jamais courbé. La main gauche, pouce écarté, maintient le papier en place et le fait avancer à mesure que les traits succèdent aux traits. Tous ces gestes, on le perçoit d’emblée, sont gouvernés par une discipline rigoureuse, hiératique presque, qui vise paradoxalement à libérer la main droite, à lui permettre de conserver d’un bout à l’autre de l’exécution cette souplesse dansante hors laquelle il n’est pas d’art calligraphique.
Le visiteur, même habitué des lieux, a toujours l’impression d’assister à une sorte de cérémonial…
Jean Pierre Sicre Hassan Massoudy Le chemin d’un calligraphe Phoebus, 1991
Désert
Ils sont apparus, comme dans un rêve, au sommet de la dune, à demi-cachés par la brume de sable que leurs pieds soulevaient. Lentement ils sont descendus dans la vallée, en suivant la piste presque invisible. En tête de la caravane, il y avait les hommes, enveloppés dans leurs manteaux de laine, leur visage masqué par le voile bleu. Avec eux marchaient deux ou trois dromadaires, puis les chèvres et les moutons harcelés par les jeunes garçons. Les femmes fermaient la marche. C’étaient des silhouettes alourdies, encombrées par les lourds manteaux, et la peau de leurs bras et de leurs fronts semblait encore plus sombre que les voiles d’indigo.
Ils marchaient sans bruit dans le sable, lentement, sans regarder où ils allaient. Le vent soufflait continûment, le vent du désert, chaud le jour, froid la nuit. Le sable fuyait autour d’eux, entre les pattes des chameaux, fouettait le visage des femmes qui rabattaient la toile bleue sur leurs yeux. Les jeunes enfants couraient, les bébés pleuraient, enroulés dans la toile bleue sur le dos de leur mère. Les chameaux grommelaient, éternuaient. Personne ne savait où on allait.
Le soleil était encore haut dans le ciel nu, le vent emportait les bruits et les odeurs…Les tatouages bleus sur le front des femmes brillaient comme des scarabées. Les yeux noirs, pareils à des gouttes de métal, regardaient à peine l’étendue de sable, cherchaient la trace de la piste entres les vagues de dunes.
Il n’y avait rien d’autre sur la terre, rien, ni personne. Ils étaient nés du désert, aucun autre chemin ne pouvait les conduire…
Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit. Ils étaient apparus comme dans un rêve, en haut d’une dune, comme s’ils étaient nés du ciel sans nuages, et qu’ils avaient dans leurs membres la dureté de l’espace.
Jean-Marie-Gustave Le Clézio Désert (1980)
Les Orientales de François Place
O nature! beauté! grâce ineffable des cités d’Orient bâties au bord des mers, tableaux chatoyants de la vie, spectacles des plus belles races humaines, des costumes, des barques, des vaisseaux se croisant sur les flots d’azur, comment peindre l’impression que vous causez à tout rêveur, et qui n’est pourtant que la réalité d’un sentiment prévu? On a déjà lu cela dans les livres. On l’a admiré dans les tableaux, surtout dans ces vieilles peintures italiennes qui se rapportent à l’époque de la puissance maritime des Vénitiens et des Gênois; mais ce qui surprend aujourd’hui, c’est de le trouver si pareil à l’idée qu’on s’en est formée. On coudoie avec surprise cette foule bigarrée, qui semble dater de deux siècles, comme si l’esprit remontait les âges, comme si le passé splendide des temps écoulés s’était reformé pour un instant.
Suis-je bien le fils d’un pays grave, d’un siècle en habits noirs et qui semble porter le deuil de ceux qui l’ont précédé? Me voilà transformé moi-même, observant et posant à la fois, figure découpée d’une marine de Joseph Vernet….
Cette mer encaissée dans les hauts promontoires, ces grandes lignes de paysages qui se développent sur les divers plans des montagnes, ces tours à créneaux, ces constructions ogivales, portent l’esprit à la méditation, à la rêverie.
Gérard de Nerval Voyage en Orient (1851)
Les vaisseaux du désert
« …dans la monotonie de l’allure lente et toujours balancée de la grande bête infatigable qui s’en va, s’en va sur ses pattes longues. » Pierre Loti Le désert (1885)
Le désert deviendrait inhabitable, et il faudrait le quitter, si la nature n’y eût attaché un animal d’un tempérament aussi dur et aussi frugal que le sol est ingrat et stérile, si elle n’y eût placé le chameau. Aucun animal ne présente une analogie si marquée et si exclusive à son climat. On dirait qu’une intention préméditée s’est plu à régler les qualités de l’un sur celles de l’autre. Voulant que le chameau habitât un pays où il ne trouvait que peu de nourriture, la nature a économisé la matière dans toute sa construction. Elle ne lui a donné la plénitude des formes ni du boeuf, ni du cheval, ni de l’éléphant, mais le bornant au plus étroit nécessaire, elle lui a placé une petite tête sans oreilles, au bout d’un long cou sans chair. Elle a ôté à ses jambes et à ses cuisses tout muscle inutile à les mouvoir: enfin elle n’a accordé à son corps desséché que les vaisseaux et les tendons nécessaires pour en lier la charpente. Elle l’a muni d’une forte mâchoire pour broyer les plus durs aliments; mais de peur qu’il n’en consommât trop, elle a rétréci son estomac, et l’a obligé à ruminer.Ella a garni son pied d’une masse de chair… qui ne lui rend praticable qu’un sol sec, uni et sablonneux comme celui de l’Arabie; enfin elle l’a destiné visiblement à l’esclavage, en lui refusant toute défense contre ses ennemis. ..
Passé à l’état domestique, il est devenu le moyen d’habitation de la terre la plus ingrate. Lui seul subvient à tous les besoins de ses maîtres. Son lait nourrit la famille arabe, sous les diverses formes de caillé, de fromage et de beurre; souvent même on mange sa chair. On fait des chaussures et des harnais de sa peau, des vêtements et des tentes de son poil. On transporte par son moyen de lourds fardeaux, … sans qu’il en coûte pour tant d’avantages, autre chose que quelques tiges de ronces ou d’absinthes, et des noyaux de dattes pilés.
Constantin François Chassebeuf dit Volney Voyage en Syrie (1787)
Une exposition qui a eu lieu à Bibliothèque départementale de la Somme, Amiens
du 06/10/2001 au 31/03/2002