
© Frédéric Clément
Préparer une rétrospective de l’oeuvre de Frédéric Clément est toujours excitant. Son confrère Alain Gauthier dit de lui qu’il est en ébullition permanente et que toujours, les idées se bousculent en lui. Et il est vrai que chaque nouveau livre est vraiment un livre nouveau propre à susciter admiration et étonnement. Non qu’il annule les précédents: on trouve, de livre en livre, des échos qui rassurent quelque peu le lecteur qui reste en pays de connaissance, mais ces échos ne sont jamais des redites. Frédéric Clément ne se répète pas. Constamment, il invente …
Des exemples ?
1986 : Ondine, merveilleux livre des éditions Ipomée où l’illustration du texte de Frédéric de la Motte-Fouqué ruisselle comme une source vive. Aux pages de titre, une femme sur un lit flottant entourée de livres qui voguent sur les eaux.
1988 : Pastel édite un texte très inspiré de Claude Clément où les sortilèges d’une nuit de carnaval se déploient dans une Venise que ni Féllini ni Losey n’eussent reniée. Au hasard des canaux de la sérénissime flottent encore quelques livres.
1994: Frédéric Clément se lance enfin dans l’écriture. Depuis l’Oiseleur de l’Aube (1981), il n’avait pas écrit lui même ses textes. Le livre épuisé sur un album d’un esthétisme très exigeant, illustré à la fois de tableaux à l’acrylique entourés de collages qui sont de véritables palimpsestes, et de photos sépia où brumes et ombres créent un climat nostalgique, renforcé par la subtile poésie de la rédaction. Et là encore, nombre de ces photos représentent – apothéose du thème? – des livres minéralisés qui suivent le cours bucolique d’une rivière ou le fil urbain d’un caniveau.
Un autre exemple ?
1986: A propos de « Soleil ô« , il écrit: c’est une histoire gravée depuis des millénaires sur l’aile d’un papillon … « histoire de haut soleil, histoire de longs sommeils ».
1996: Ces « histoires de longs sommeils » ont cheminé dans l’imagination si fertile de Frédéric Clément. C’est ainsi qu’il a mélancoliquement illustré pour les Contes de Perrault parus chez Albin Michel, une Belle au Bois Dormant, émaillant le texte d’émouvantes vignettes représentant la belle ensommeillée.
Ces tout petits tableaux, très délicats, sont propres à éveiller notre curiosité pour l’édition qui eût dû paraître déjà chez Casterman d’une autre Belle au bois Dormant, où Frédéric Clément aurait imagé, en un livret clos, chastement enchâssé au coeur du texte de Perrault, les cent ans de rêves de la Princesse.
Et ce délire onirique n’est, semble-t-il, qu’une étape dans sa quête imaginaire car s’annonce, pour la fin de 1997, une édition illustrée des Belles endormies de Kawabata: nous l’attendons avec impatience …
Quant à l’aile du papillon évoqué en 1986, elle va elle aussi réapparaître ultérieurement. D’abord dans la très belle carte de voeux réalisée cet hiver pour l’Art à la Page – Un livre ancien – Un missel? – enrubanné, mis en scène, sur lequel, raffinement suprême, quintessence de la légèreté, est collé un papillon évanescent, qui préfigure un « livre des âmes » qui a séduit Nicole Maymat et que pourrait donc éditer Ipomée. Etonnante, cette carte de voeux, dont l’original est dans l’exposition. Des vignettes peintes sur la reliure figurent des scènes de cirque mais – sacrilège délibéré ? _ chacune a une connotation spiritualiste, voire religieuse. Ainsi la silhouette du cheval de l’écuyère n’est pas sans nous rappeler celle des montures des Saint Georges de Carpaccio, le chapiteau du cirque lumière dans la nuit, a des allures de crèche de Noël et le lion qui saute dans un anneau semble traverser une pieuse auréole.
Et, bien sûr, on retrouve de façon quasi obsessionnelle, de livre en livre, les thèmes baroquisants de la métamorphose, de l’envol, des anges, de l’errance, des morts transfigurés, noyés dans des paysages aux brumes fantomatiques. Tous ces livres mériteraient d’être cités, que ce soit les contes de Madame d’Aulnoy, l’Enfant qui dessinait des chats ou le Prince de l’hiver, ou encore la Funambule et l’oiseau de pierre. Et parfois claquent, au milieu de ces demi-teintes, des albums éclatants de couleur. Ainsi le Collier sur un texte de Christine Baroche, étale les fastes azurés et dorés d’un orient légendaire et le Chant d’amour et mort de Rilke s’habille somptueusement du rouge ardent du sang et de la passion. Quant au Magasin zinzin, qui est sûrement son chef d’oeuvre, il s’illustre des lueurs joyeuses d’un jaune solaire. C’est sans conteste parce qu’il est dédié à Alys, sa fille chérie, que ce bric-à-brac onirique déborde à ce point de tendresse et de fantaisie. Le jury de Bologne ne s’y est pas trompé, qui lui a décerné son grand prix. Rarement une telle distinction n’a été aussi méritée car tout est créatif dans cette géniale brocante, la mise en page, la typographie, les techniques, les images et, évidemment, le texte salué – une fois n’est pas coutume dans l’édition pour la jeunesse – par une presse enthousiaste.
La plus belle réussite de l’année 1995.
Que les visiteurs de cette exposition se régalent des originaux de tous ces livres : en autodidacte curieux et avide d’expérimentation, notre artiste explore les techniques les plus diverses. Et que, surtout, le public ne s’inquiète pas pour l’avenir: Frédéric Clément n’a pas fini de nous émerveiller.
Une exposition qui a eu lieu à Médiathèque Départementale, Lazare Carnot, La Ferté-Alais
du 18/02/1997 au 01/03/1997