Amoureuse de longue date du continent africain, j’ai eu la chance d’avoir, durant ces douze dernières années, un certain nombre de missions du Ministère des affaires étrangères pour la plupart en milieu scolaire.
Rien de tel que de travailler dans un pays pour en saisir plus profondément la réalité concrète : aucun séjour touristique ne remplacera jamais l’intégration dans le milieu du travail et malgré la fatigue, les conditions climatiques, l’inconfort et les difficultés de toutes sortes, je ne regrette pas ces expériences si riches de densité humaine.
Pour mes deux dernières missions , j’ai œuvré, non plus pour le Ministère des affaires étrangères, et non plus dans le milieu scolaire, mais pour l’Agence intergouvernementale de la Francophonie dans le cadre du fond de soutien à l’édition pour la jeunesse dirigé avec conviction et compétence par Michèle Dupéré : deux expériences particulièrement intéressantes qui m’ont fait mieux connaître les problèmes de ce domaine éditorial.
A Bamako
J’ai ainsi passé une semaine au Mali, à Bamako, au moment du salon des Etonnants Voyageurs, avec un jeune illustrateur d’origine congolaise, Dominique Mwankumi, fondateur d’une association d’illustrateurs africains, Illusafrica.
J’y ai encadré un séminaire d’études théoriques sur la littérature de jeunesse et le fonctionnement de l’album illustré, suivi d’ateliers d’écriture et d’illustration, avec comme perspective d’y revenir pour mettre en pratique les connaissances acquises et réaliser quelques albums avec les auteurs-illustrateurs maliens présents au stage.
Moussa Konaté, directeur local de festival, écrivain et éditeur, était notre interlocuteur privilégié.
Les travaux des stagiaires ont pu être valorisés auprès des participants aux Etonnants Voyageurs dans des expositions au Centre culturel français et au Palais de la Culture.
Hélas ! L’Agence de la Francophonie a pris depuis d’autres orientations et a abandonné (provisoirement, j’espère) le soutien à l’édition pour la jeunesse, choisissant d’aider l’édition scolaire. Je ne peux, bien sûr, que déplorer ce choix : le livre scolaire, moins intéressant sur le plan du développement culturel, brasse énormément d’argent et n’a pas vraiment besoin d’être
« soutenu ». Et je regrette, à titre personnel, que les espoirs que l’on a pu faire naître chez des artistes et des écrivains pour qui il est bien difficile de publier, aient été bafoués.
Quelques albums de qualité ont pu cependant être aidés au Mali, ainsi la collection écrite par Moussa Konaté et illustrée par Aly Zoromé qui comprend, parus aux éditions du Figuier, entre 2001 et 2003, quatre titres consacrés aux métiers traditionnels, La teinturière, Le tisserand, La savonnière et La fileuse reliés, cartonnés, bien mis en page, ils sont , grâce à l’aide de l’agence, vendus à un prix «accessible » au marché africain.
A Cotonou
Ma seconde mission pour l’Agence de la Francophonie a été plus ardue, mais si, comme l’autre, elle a pâti des choix nouveaux de l’Agence, elle a finalement abouti à la publication de quelques albums.
C’est Béatrice Gbado, directrice béninoise des éditions Ruisseaux d’Afrique, qui a eu l’idée du projet. Son intention était de créer une collection de documentaires s’adressant à plusieurs classes d’âge, sur le thème de l’éducation sexuelle.
Quelques semaines avant mon départ pour Cotonou, elle m’a fait parvenir le plan de la collection, encore très flou, et quelques premiers textes : des succédanés de résumés de manuels scolaires rigides et moralisateurs. Effrayée à la lecture de ce corpus, j’ai rencontré deux fois Béatrice Gbado, puis je l’ai reçue chez moi, avec Michelle Dupéré et vous avons passé une grande journée à observer et critiquer le fonctionnement des albums documentaires. L’éditrice a été particulièrement séduite par la démarche de Marcus Osterwalder chez Archimède (L’Ecole des loisirs) dont la vocation est de transmettre des connaissances par le truchement d’un récit.
Et nous avons tenté d’établir une première ébauche de cahier des charges. Les textes que j’avais annotés devaient être retravaillés pour mon arrivée à Cotonou.
Installée au Bénin pour deux semaines (sous la tôle brûlante d’un bungalow, accompagnée par le mugissement de la barre de l’océan, tout proche, qui venait déferler sous les cocotiers), j’ai fait d’abord, pour l’ensemble des stagiaires, auteurs et illustrateurs, un séminaire de formation générale sur les albums de fiction et les documentaires.
Mon objectif (ambitieux) était de les rendre capables de connaître voire de maîtriser toutes les étapes de la création d’un album.
Nous avons donc procédé à l’étude du fonctionnement, de l’aspect, des contenus et de la richesse esthétique et littéraire de quelques albums illustrés que j’avais apportés dans mes bagages, et que, grâce à la générosité des éditeurs français que j’avais sollicités, j’ai pu laisser là-bas après mon départ. Nous avons travaillé sur leurs techniques de narration et d’illustration et amorcé une réflexion sur les rapports du texte et de l’image, mais aussi observé leur maquette, leur mise en page, les pages de garde et de titre, la première et la quatrième de couverture…
Cette fréquentation des livres fut indispensable car grande était, chez mes stagiaires, la méconnaissance générale du fonctionnement, et de l’édition, et de l’album, et aussi des très grands noms de la littérature de jeunesse. Cette absence de culture du livre et ce déficit de références de qualité, bien compréhensibles si l’on observe l’état de l’édition et de la librairie africaines et l’indigence du réseau des bibliothèques, je l’avais déjà rencontré à Bamako, mais aussi à Dakar ou Abidjan lors de missions antérieures.
Elle explique bon nombre des difficultés d’écriture et de compréhension des textes rencontrées ensuite au cours des ateliers et les problèmes de maquette, de choix des caractères et de couverture ultérieurs.
Mais le public, très intéressé, a profité avec enthousiasme de ces apports divers, et a eu un plaisir immense à manipuler toute cette manne illustrée littéralement tombée du ciel : la rencontre avec certains livres a suscité de grands moments d’admiration et d’émotion.
L’étape suivante a été une approche thématique: l’éducation sexuelle dans l’édition européenne. Là aussi, j’ai bénéficié de la générosité des éditeurs français et pu ainsi montrer des livres très différents dans le ton, la reliure, la mise en page, le mode de fonctionnement, le niveau de lecture, la classe d’âge visée.
J’ai insisté sur la solidité des nécessaires cautions scientifiques, l’absence de lourdeur didactique, l’émotion et l’humour de certains albums pourtant très sérieusement documentés, la liberté et l’aisance de l’écriture et de ses équivalents graphiques et plastiques, et l’absolue nécessité de ne pas laisser dans l’ombre certains sujets délicats, particulièrement sensibles en Afrique, comme l’excision ou le SIDA.
Les débats ont été animés!
Les livres étudiés sont quasiment tous restés aux éditions Ruisseaux d’Afrique afin d’y constituer un fond de documentation pour la future collection.
Du 19 au 28 février 2003, le groupe s’est scindé en deux: un atelier d’illustration sous l’égide de Dominique Mwankumi qui avait rapporté de Paris tout le matériel technique offert par l’Agence, et un atelier d’écriture dont j’ai pris la direction. Les auteurs étaient tous, peu ou prou, de la famille de l’éditrice: favoriser son clan est coutumier en Afrique noire.
Nos séances, qui s’éternisaient dans la soirée tant était forte la motivation et le désir de bien faire, ont été, je crois, efficaces: il n’est que de confronter l’état premier des textes collectés à mon arrivée à Cotonou (et qui étaient déjà des réécritures des textes que j’avais corrigés en France) avec ceux que nous avons proposés aux illustrateurs. Dix titres sont ainsi quasiment réécrits et leur illustration est en bonne voie. D’autres titres sont dans un état d’avancement très inégal, en particulier ceux qui s’adressent à des adolescents dont les thèmes prêtent davantage à polémique: il est plus facile d’évoquer la sexualité des escargots ou des tortues que de parler de virginité ou de fidélité!
L’atmosphère était particulièrement studieuse et, malgré des remises en cause parfois difficiles, les travaux se sont effectués dans la bonne humeur.
Et pourtant, les discussions ont parfois été vives, lorsque nous avons abordé certains sujets comme la contraception, le SIDA ou l’excision. Certains étaient catholiques convaincus, et les propos du pape sur les préservatifs obnubilaient leur réflexion.
Les musulmans ne remettaient guère en cause l’excision et une certaine gêne se faisait sentir dès que l’on abordait ce sujet ou lorsqu’il était question de polygamie ou de sexualité féminine. La contraception était loin de faire l’unanimité, et les coutumes magiques, même contraires à la plus élémentaire hygiène, font recette dans ce pays où le vaudou est bien vivant.
Les concepts de laïcité et d’interculturalité ont été maintes fois évoqués, liés à la recherche d’une objectivité bien difficile à atteindre …
D’autre part, le modèle prégnant est le manuel scolaire, et souvent de date assez ancienne. D’où la difficulté de sortir d’un ton sentencieux, d’une raideur didactique ennuyeuse, et un refus de l’humour ressenti comme peu compatible à l’acquisition des connaissances, alors qu’il est pratiqué de façon si naturelle et si drôle par les Béninois dans la vie quotidienne !
Nous avons lu et relu les différentes versions des textes, vérifié systématiquement, dans les documents fournis par le Centre culturel français, les données scientifiques car les premiers textes étaient souvent lourdement erronés, réécrit individuellement et/ou collectivement les moutures successives, souvent en refondant complètement la structure initiale, et en corrigeant à la fois les nombreux problèmes de langue et de style: le français est en nette régression en Afrique et, de toute façon, même si son usage scolaire se perpétue, il n’est pas la première langue des populations locales.
Je remportais le soir à l’hôtel, pour d’ultimes vérifications, les productions du jour qui étaient ensuite confiées au « graphiste »* de Ruisseaux d’Afrique qui les retapait… non sans (nouvelles!) erreurs…
Enfin, nous avons régulièrement confronté nos textes avec les images produites dans l’atelier d’illustration voisin et avons participé, le dernier jeudi du séminaire, à une séance commune de relecture des textes, de discussion sur les images et sur la place respective du texte et des illustrations dans la géographie de la page.
Des personnalités très intéressantes et pleines de promesses qui ne demandent qu’à s’épanouir étaient présentes à cet atelier d’illustration. Certains, comme Joseph Akligo dit Jo Palmer , Hervé Alladaye dit Hodall Beo ou Hector Sonon avaient déjà publié des dessins de presse ou des bandes dessinées, et ont d’ores et déjà acquis une certaine notoriété au moins dans l’édition locale. D’autres, comme Ponce E. K. Zannou ou Hervé Gigot sont connus comme peintres et développent un vrai talent artistique.
La situation de commande, et, qui plus est, de commande documentaire, n’est pas des plus favorables à la liberté indispensable à la création. Le dernier jour de l’atelier, les artistes se sont libérés, créant des dessins et des peintures personnelles qui ont révélé des potentialités que la contrainte avait quelque peu bridées.
Mon cadeau de fin de stage ne manquait pas d’humour: les stagiaires m’ont offert un superbe pénis en ébène, le même que celui qui , sous le nom de « Koffi », sert aux démonstrations télévisées de pose de préservatifs dans le cadre de la campagne de lutte contre le SIDA!
Le travail s’est poursuivi après mon retour en France et je viens de relire ( et de faire vérifier par un professeur de sciences) quatre titres qui sont à deux doigts d’être édités avec les derniers deniers versés par l’Agence de la Francophonie. D’autres suivront, et cela malgré la défection prochaine de ce parrainage: les éditions Ruisseaux d’Afrique cherchent des partenaires pour d’éventuelles coéditions et comptent continuer la collection. Certes, elles ont dû renoncer à une couverture rigide, trop onéreuse, et réduire un peu le format, mais la présentation reste honorable.
Le fond de soutien à l’édition pour la jeunesse a eu une courte vie : sept appels semestriels seulement, mais l’œuvre est importante : 200 titres, un million d’ouvrages auprès de 50 éditeurs et coéditeurs dans 22 pays, quelques stages de formation…
Espérons qu’il connaît juste une éclipse et que ce phénix renaîtra de ses cendres encore chaudes: je suis prête pour d’autres collaborations !
*En fait, ce métier, comme la plupart de ceux de l’impression et de l’édition, est ignoré en Afrique subsaharienne.
Editions Ruisseaux d’Afrique Collection A la découverte de la vie Parution en 2004
Béatrice Lalinon-Gbado / Hervé Alladaye dit Hodall Beo
Le jardin de Tanko et Jomo Qu’est-ce qu’un être vivant? Isidore Lokonon / Hervé Gigot
Sissi et Toundé adoptent une chevrette La reproduction chez les mammifères
Béatrice Lalinon-Gbado / Claude Adjaka Je voudrais redevenir bébé L’anxiété des aînés
Béatrice Lalinon-Gbado / Ponce E. K. Zannou Le bain de bébé Les soins au nouveau-né
par : Aujourd’hui l’Afrique
Revue