(Versailles, 15 novembre 1927) Jacqueline Duhême, dont la mère est libraire, passe sa prime enfance à dessiner au milieu des livres. Au bout de quelques années, après avoir vainement recherché la trace de son père grec, sa mère l’abandonne au Pirée dans un orphelinat où elle reste jusqu’à la déclaration de guerre. Rapatriée avec les religieuses françaises, elle passe une partie de la guerre à garder des vaches à la campagne. Les récits de cette enfance solitaire, elle les a faits, d’une plume délicate, sans pathos ni rancune, et avec tendresse pour ses amies les bêtes qui l’ont consolée, dans Le Noël de Folette (1992) et Louloute (2002 , albums merveilleux de sensibilité et de foi en l’existence.
Elle entre avec dispense, à 13 ans, aux Beaux-Arts de Clermont-Ferrand.
Bonne d’enfants sur la Côte d’azur, elle fait la connaissance de Matisse, pose pour lui et devient, à 20 ans, son assistante d’atelier. C’est comme messagère de Matisse qu’elle rencontre Jacques Prévert à qui elle sera attachée par une grande amitié, et qui l’introduit dans le milieu des lettres et des arts. Il écrit pour elle le célèbre Opéra de la lune qui, ne trouvant pas alors d’éditeur français, est publié, en Suisse, en 1953, à la Guilde du Livre.. Elle fréquente la famille Prévert à Saint Paul de Vence d’abord, puis à Omonville la Petite, dans le Cotentin. C’est dans cette maison normande qu’elle a exposé les originaux de ses illustrations du poète durant l’été 2008. Elle est très fière d’être la seule illustratrice vivante présente dans la prestigieuse collection de la « Pléiade » qui a reproduit la première édition de L’Opéra de la lune.
Grâce à Prévert elle se lie, entre autres, aux Lazareff, Hélène, en particulier, qui dirige le magazine Elle. C’est ainsi qu’elle tente, avec succès, sa chance comme dessinatrice de presse. Grâce à son reportage en images de leur visite à Paris, elle fait la connaissance des Kennedy qui deviendront de chers amis et favoriseront sa carrière américaine, dans l’édition (Zazie dans le métro édité à New York en 1959) et la presse (Vogue, Mac Call, Ladies Own Journal, New York Herald Tribune).. Elle a accompagné de ses aquarelles les voyages à Rome en Inde et au Pakistan de Jackie Kennedy avec qui elle restera liée jusqu’à sa mort. Elle a dessiné aussi les épisodes d’un voyage du général de Gaulle en Amérique du Sud.
Une partie des événements de cette biographie étonnante se retrouve dans Line et les autres, Petite main chez Matisse et dans le savoureux Jacqueline Duhême et Jacqueline Kennedy partent en voyage dont la plupart des originaux se trouvent au Musée Kennedy à Boston.
La suite est faite de rencontres de toutes sortes, et de livres illustrant nombre de grands noms de la littérature du vingtième siècle En effet, grâce à son exceptionnel charisme, cette grande dame de l’illustration française, surnommée « l’imagière des poètes », armée de sa seule petite boîte d’aquarelle qui ne la quitte jamais, a séduit une kyrielle impressionnante d’écrivains et de poètes, André Verdet (La Fête au village,1950), Paul Eluard (Grain d’aile, 1951 et L’Enfant qui ne voulait pas grandir, 1970), Jean d’Ormesson (L’Enfant qui attendait un train, 1979), Gilles Deleuze (L’Oiseau-Philosophie, 1997), Maurice Druon (Tistou les pouces verts, 1957), Elizabeth Badinter (Voyage en Laponie de Monsieur de Maupertuis, 2003 et Les Passions d’Emilie, 2006), Claude Roy (Houpi le kangourou , Delpire,1964 – rééd.Gallimard, 2001), Miguel-Angel Asturias (L’Homme qui avait tout tout tout , 1973 et La Machine à parler, réédité en 1999), Anne Philipe ( Atome, le petit singe de la lune, 1970 ), Joël Sadeler (Les Ménagerimes), Vercors (Camille ou l’enfant double, 1978) qui se sont empressés de lui confier des textes à « imager », ce qu’elle a fait avec une fraîcheur et une naïveté pleines de grâce..
Elle a en outre illustré la série des « Zozo la Tornade » d’Astrid Lindgren, Petits contes nègres pour les enfants des blancs de Blaise Cendrars, Les Fioretti de Saint François, L’enfant de la haute mer de Jules Supervielle, Barnabé qu’on ne croit jamais d’Alain Serres, et Le Livre des droits de l’homme avec une préface de Robert Badinter.
Elle a écrit quelques-uns de ses textes, Irma & Igor sur le France, mis en scène ses souvenirs, et raconté l’histoire du chien Hadji, dont elle a hérité à la mort d’un ami cher .
Les éditions Gallimard ont en outre soustrait de nombreux poèmes des recueils de Jacques Prévert et elle les a illustrés pour des « Folio Benjamin » ou des albums.
Elle s’est essayée au film d’animation et a, parallèlement, créé des cartons de tapisseries qui ont été réalisées par les ateliers d’Aubusson et où l’on retrouve, magnifiés par le format et les matières, l’optimisme et la subtilité des coloris, la fausse maladresse des postures et des perspectives, la candeur des personnages qui font le charme immuable de ses livres.
Elle a reçu, à New York, Bologne et en France, de nombreux prix, dont l’Octogone d’honneur pour l’ensemble de son oeuvre en 1998.
Janine Kotwica
Dictionnaire encyclopédique de littérature de jeunesse
Cercle de le Librairie, 2013
- Dupont-Escarpit (Denise) « Nous avons rencontré Jacqueline Duhême » Nous voulons lire!, 1988.
- Perrot (Jean) « Jacqueline Duhême et les poètes » Argos, revue des BCD et des CDI du CRDP de Créteil, N°7, novembre 1991, pp.25-31.
- Passion couleurs (Entretiens avec Florence Noiville) Gallimard-Seuil, 1998.
- Griffon N°192 & 193 – -Spécial Jacqueline Duhême Août-octobre 2004.
par : Cercle de la Librairie
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