Né André Farkas en 1915, au Banat, dans une province de l’empire austro-hongrois qui deviendra la Roumanie, André François, venu à Paris à l’aube de ses 20 ans, naturalisé français, mondialement connu, fut l’un des grands noms des arts graphiques du XXème siècle. Il nous a quittés le 11 avril 2005.
D’une créativité, d’une inventivité, d’une lucidité et d’une jeunesse impressionnantes, il fut affichiste, dessinateur de presse, auteur-illustrateur et illustrateur de livres pour adultes et pour enfants, peintre, sculpteur et décorateur de théâtre. Virtuose dans toutes les techniques, il excella dans les gravures diverses (lithographie, aquaforte, sérigraphie…), les dessins (encre ou crayon, pastel ou fusain…), la peinture (eau, huile ou acrylique…) ou les collages incongrus de toutes sortes de matériaux (vaisselle cassée, bois flottés ou brûlés, ferraille, plomb fondu…). Il détourne et marie les objets dans des compositions dissonantes ou harmonieuses, avec un humour qui n’exclut ni le sens, ni l’exigence esthétique. Son courage, son talent, son énergie, son intelligence, son imagination, bref sa personnalité hors du commun ont fait de lui la «référence» de la plupart de ses confrères.
Circus
Dès son enfance, André François a été fasciné par le cirque. A Timisoara, sa ville natale, il venait des cirques, écrivait-il, et parfois même des cirques « à trois pistes et grande ménagerie ». Et les cirques qui s’y arrêtaient ravivaient en ce gamin rêveur et facétieux le souvenir de l’oncle Armand, l’un des douze frères de son père.
A l’âge de 14 ans, cet oncle Armand Farkas fugua et suivit un cirque de passage. Dans le célèbre numéro 7 de la Revue Neuf, André raconte avec humour que, au milieu de son innombrable fratrie, on ne s’aperçut pas tout de suite de la disparition de l’adolescent… qui mesurait pourtant deux mètres six. Il devint avaleur de sabres et jongleur avant d’épouser la veuve du Barnum russe Salomonsky et devenir directeur des cirques de Moscou et Riga. La fascination qu’exerça sur lui ce mythe familial scellera son pacte d’amour avec les arts de la piste qui l’ont abondamment inspiré à tous les âges de sa longue vie. Le clown, en particulier, est un personnage récurrent de ses images : mélancolique et goguenard à la fois, il lui ressemble étonnamment, comme une sorte de double fraternel.
Illustration et presse
On connaît André François pour ses Rhumes, ses Larmes de Crocodile, sa Lettre des îles Baladar concoctée avec Prévert, et maints autres albums pour enfants ou pour adultes génialement jubilatoires. Le premier livre d’enfants dont il est auteur-illustrateur, ravissant opus créé en 1943 et publié en 1949, C’est arrivé à Issy-les-Brioches (Les Éditeurs Réunis), raconte l’effervescence que fait naître, dans un petit village au charme désuet, l’arrivée du cirque Krapouchik dont le nom, aux sonorités très russes, est en lui-même un hommage aux amours du très cher Oncle Armand.
André François collabora avec de nombreux journaux européens, Le Matin de Paris, The Observer, Punch, Lilliput, Le Monde, Le Nouvel Observateur ou Télérama. Très vite, les Américains se sont intéressés à ses dessins d’humour et d’humeur, pleins de candeur malicieuse. Plusieurs recueils publiés aux États-Unis, en Grande Bretagne et Australie, en Italie, Allemagne et Suisse, réédités plusieurs fois de 1952 à 1974, ont réuni ces diverses planches où figurent quelques réjouissantes scènes de cirque : The Penguin André François, Double Bedside Book, Mit Gestraûbten Federn, The Tattooed Sailor, The Half Naked Knight, Heikle Themen, François 133 Disegni…
C’est à leur succès qu’André François, qui séjourna à New York pour la première fois en 1958, attribue son intronisation dans le club très envié des créateurs de couvertures du New Yorker, cinquante-neuf publiées pendant près de 30 ans, des années 60 au début des années 90. Trois d’entre elles, très belles, hivernales mais intemporelles comme ne le sont plus les couvertures actuelles désormais collées à l’actualité, évoquent le monde du cirque marié à d’autres récurrences de son univers personnel.
A la fin de sa vie, il collabora au journal de santé mentale VST dont son ami Vincent Pachès était directeur artistique. Ensemble, ils ont fondé, en toute connivence, les Éditions Savon rouge, et y ont publié en 1997, dans l’esprit des contributions à la revue, un petit chef-d’œuvre, Reste(s), série d’auto-portraits d’André François en clown, comiques, narquois, grinçants et désespérés à la fois, en contrepoint de textes de Vincent Pachès. Un flirt appuyé avec Thanatos.
La bonne humeur tonique des commencements n’a pas survécu aux blessures de la vie.
Clowns de pub
Si le jeune André Farkas avait quitté son pays natal pour venir à Paris, c’était pour étudier chez l’affichiste Cassandre. C’est donc tout naturellement que ses premiers travaux furent publicitaires. Plus tard, son grand ami Robert Delpire lui confia, au sein de son incontournable agence, de superbes campagnes qui ont fait date dans l’histoire du graphisme.
Et dans la pub aussi, les artistes de la piste sont bien présents, et, surtout, son frère le clown.
Clown à qui un éléphant prête sa trompe en guise de hamac pour une carte de vœux de Reader Digest, clown crânement juché sur un lion à l’opulente crinière pour Dop, clown heureux de porter un ange en équilibre sur sa main pour Neimann Marcus, clown squelette pour la British Diabetic Association, clowns musiciens pour Sandoz, clown archer de Sédagrip, clown-centaure pour Habitat, quatuor de clowns héroïquement vainqueurs de la douleur pour Optalidon, clowns poètes des Imprimeurs Artra, dompteurs, clown, acrobates et bêtes de cirque pour Taylors Walker’s, singe mono-cycliste sur un buvard de Baignol et Farjon, fakir pour les chaussettes Stemm …
Affiches & estampes
C’est en grande partie parce qu’il fut un exceptionnel créateur d’affiches qu’André François acquit sa notoriété. Il suffit de feuilleter le catalogue Affiches et graphisme de l’exposition de la Bibliothèque Forney (2003) pour prendre conscience de l’importance qualitative et quantitative de son travail d’affichiste. Dans les domaines les plus divers, commerce ou culture, les arts de la piste sont, là encore, bien présents.
Nombre de ses offset sont doublés (par Graficaza en particulier) de tirés à part sur beau papier, en lithographies ou sérigraphies, techniques qu’il a largement utilisées en dehors des campagnes d’affichage.
Et il s’adonna aussi au bonheur de l’estampe sur cuivre, gravant lui-même ses plaques. En 1969, Maurice Felt et sa femme Jacqueline éditèrent sa célèbre série des sept gravures sur cuivre sur le thème du cirque.
Ami de Pierre Etaix, grand clown devant l’Éternel et cofondateur, avec son épouse Annie Fratellini, de l’École Nationale du Cirque, André François créa les affiches de ses longs métrages, en particulier celle du merveilleux YoYo (1964), hommage tendre et lyrique au métier de clown.
Le Musée Whitney de New York présente, en ce printemps 2013, une passionnante exposition consacrée aux American legends du XXème siècle. Une salle y est naturellement consacrée à Alexandre Calder qui mourut d’une crise cardiaque dans ce temple de l’art contemporain en 1976. Ses stabiles et mobiles en fil de fer sur le thème du cirque y occupent une place de choix. Ces aériennes figurines ne sont pas sans rappeler les joyeux trapézistes de l’affiche d’André François intitulée Le Grand Cirque de New York, où il n’est pas absurde de voir un clin d’œil à l’artiste américain. En effet, ces deux grands amoureux des arts de la piste, tous deux bricoleurs de génie, se sont connus à New York, et André, avec Marguerite, sa femme, sont allés rendre visite à Calder en son atelier tourangeau de Saché.
L’épreuve du feu
Un drame épouvantable a endeuillé la fin de vie de cet immense artiste. Son atelier et toutes les archives et œuvres qu’il contenait ont été détruits dans un incendie en décembre 2002. Dans les décombres, aidé de sa femme et de ses enfants, il a courageusement récupéré les matériaux qui lui ont permis de créer les œuvres bouleversantes montrées par Delpire, sur la mezzanine de Beaubourg, dans l’exposition L’Épreuve du feu. Ont été retrouvés aussi des dessins, estampes et affiches abîmés par le feu, mais encore lisibles.
Ces rescapés de la tragédie ont fait l’objet d’une étonnante exposition au Centre André François en 2012, André François le Phœnix.
Quelques-unes de ces œuvres que leur auréole de dentelle noire calcinée rend particulièrement émouvantes ont notre Cirque pour thème et sont ainsi présentes dans cette exposition.
par : Association Les malcoiffés
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