Hello, Léo Kouper !
Le grand affichiste Léo Kouper, petit gamin farceur de 94 ans dont le regard pétille d’une malice toute juvénile, a trouvé dans son art le secret d’une éternelle jouvence. Jusqu’à une date très récente, il travaillait encore dans son vaste atelier de Saint-Ouen avec vue sur les Puces, au milieu de l’époustouflant capharnaüm des créations de toute une vie.
Quelle institution aura la chance d’hériter de ce fabuleux patrimoine ?
C’est Hervé Morvan, dont Léo Kouper devint l’assistant, en 1945, à l’âge de 19 ans (il est né à Paris en 1926), qui lui apprit son métier en favorisant son « élan de création ». De lui, Léo Koupferberg, devenu Kouper, apprend que si « l’affiche s’imprime sur du papier, elle doit surtout s’imprimer dans la mémoire ». Les affiches se doivent d’être « évidentielles » : son néologisme est pertinent…
Il réalise, dès 1952, de nombreuses campagnes commerciales (Vitapointe, Petits pois Cassegrain, Eau chaude gaz, Confort électrique…) mais c’est par l’affiche culturelle qu’il accède à la notoriété.
La création, en 1961, pour Les Artistes Associés, de l’affiche du film de Billy Wilder 1, 2, 3 inaugure sa carrière dans le cinéma international.
La pomme verte et fessue d’Emmanuelle, dont l’épluchure indiscrète se déroule lascivement en serpent paradisiaque, lui vaut le Prix spécial de l’affiche au Festival de Cannes de 1974.
Il fit une affiche pour Mon oncle de Jacques Tati, mais elle ne fut jamais diffusée. En revanche, celles qu’il créa pour Jean-Pierre Mocky (Le Miraculé, Une nuit à l’Assemblée nationale, le Mentor, Les Insomniaques…) ou Philippe de Broca (L’Homme de Rio), ont été placardées dans tout l’hexagone.
En 1954, Charlie Chaplin, dont il avait su saisir, en trois traits alertes, la maladresse cocasse, l’avait choisi, à l’issue d’un concours, comme graphiste pour les affiches des versions françaises de ses films et il créera celles du Dictateur, des Temps modernes, du Kid, de La Ruée vers l’or, du Cirque, d’Une vie de chien, de Charlot soldat, de La Comtesse de Hong Kong ou encore de Limelight, avalisées par de cordiaux échanges téléphoniques avec sa femme Ohana, qui parlait français, depuis leur résidence de Vevey. Lors de son unique rencontre avec l’acteur, il fut salué par un
« Hello, Léo! » dont le souvenir l’émeut toujours au bout de plus d’un demi-siècle. En 2014, la Cineteca di Bologna organisa un hommage à Charlie Chaplin, et, en présence de Michael et Victoria, ses enfants, et de Charlie, son petit-fils, présenta une exposition rétrospective des affiches de Léo Kouper. Lui et son épouse furent aussi invités, en 2016, à l’inauguration du Musée Chaplin de Vevey qui a réédité ses affiches. Et trois ses créations furent présentes, cet hiver 2019, à l’exposition Chaplin L’Homme Orchestre de la Phiharmonie de Paris.
Le nom de Léo Kouper est désormais indissociable de celui de son cher Charlot !
Il a honoré les textes de Rostand (Cyrano de Bergerac), Feydeau (Chat en poche, Le Système Ribadier), Labiche (Doit-on le dire?), Vaclav Havel (Largo desolato), Molière (L’Avare, Le Bourgeois gentilhomme), Voltaire (L’Ingénu) ou Sacha Guitry (Le Roman d’un tricheur) en collaborant avec de nombreux théâtres, La Bruyère, La Fontaine, Tristan Bernard, La Mare au Diable, Sylvia Montfort, Montparnasse, Rive Gauche, Théâtre de Lausanne, Théâtre 14, Ranelagh, Mouffetard et L’Espace Pierre Cardin où, à l’occasion de la reprise de Jésus la Caille de Francis Carco dont il dessina l’affiche, une belle rétrospective lui fut consacrée. Pour l’Opéra de Massy, il a peint une étonnante Carmen, merveilleusement espagnole avec son œil sombre figuré par un noir taureau. Au Théâtre La Mare au diable de Palaiseau, Henri Lazarini lui donna entière liberté pour la communication de nombreuses grandes pièces classiques dont L’Arlésienne, dans laquelle jouait sa fille Nathalie Kouper. Il figura ainsi, lyriquement, un visage féminin en forme de mas provençal ombragé de longs cyprès en guise de cils.
Il ne délaisse pas pour autant la publicité commerciale. Ainsi, comme son cher ami Alain Gauthier qui vient, hélas ! de nous quitter, il prend la suite du grand Cappiello, pour des variations sur la croix rouge du Champagne de Castellane, et celle du grand Savignac pour la comunication de la ville du Havre. Comme Alain Gauthier encore, il crée les visuels du champagne Ayala.
A l’instar d’André François, cet humaniste convaincu appelle « coups de gueule », les « cris silencieux sur un mur » qui dénoncent, et il a vigoureusement stigmatisé l’extrémisme, les désastres écologiques, les magouilles du milieu sportif, les guerres, l’attentat du 11 septembre 2001, le sort des Juifs en URSS ou la peine de mort, dans de frappantes images sans concession. Bouleversé par l’attentat de Charlie Hebdo et par la mort de Wolinski et Cabu avec lesquels il était lié, il dessina un émouvant Je suis Charlie reproduit dans Libération, mais il refusa, par respect et pudeur, de le commercialiser.
Il a réalisé avec Monique, sa femme, dont les talents de cordon bleu ensoleillèrent les déjeuners de leur campagne normande, un savoureux manuel de cuisine qui fleure bon l’Europe de l’Est et où lui-même nous dévoile sa recette de… l’affiche !
Sur le tard, il se lance dans le livre de jeunesse. Grand amoureux des trésors de la langue française, il publie, chez Thomas Jeunesse, un joyeux album illustrant de délectables expressions et locutions, Avoir une faim de loup (2012) qui fut republié, dans un autre format, sous le titre Doux comme un agneau (2016). Le même éditeur a publié, en 2013, un pittoresque manuel de géographie, La France et ses régions. En 2017, pour Archibooks, ce sera Pourquoi les mots ? sur un texte de Marc Delamarre. Chacune des planches de ces albums fonctionne comme une affiche !
En 2011, à l’occasion d’une exposition consacrée à Chaplin à Tremblay-en France, fut édité par l’Académie des Banlieues, Le Kid, une bande dessinée qu’il avait d’ores et déjà publiée dans France-Soir.
Cet esprit, curieux s’il est est, restera à jamais avide de s’essayer dans tous les genres…
De nombreuses expositions lui furent consacrées à Rouen, Caen, Albi au Musée Toulouse-Lautrec, à Toulouse au Centre de l’Affiche, et en Île de France dont une importante rétrospective à l’Espace 1789 de Saint Ouen, à Éragny ou encore, à Paris, à l’Espace Rachi.
Des films lui furent dédiés, dont un court-métrage de Jean-Claude Biern en 2003. Surtout, en 1984, la journaliste Sophie Bontemps et le designer Jean- Michel Fouque se rejoignent pour réaliser un film, Les Lumières de l’affiche, où notre modeste Léo Kouper est encensé par Pierre Tchernia, Henri Lazarini, André Parinaud ou son ami Pierre Etaix.
En 1981, il est couronné du Prix Paul Colin de l’affiche, et en 2002 du Prix de la carte postale.
Des idées efficaces, une immédiateté toujours réussie, une simplicité percutante, une drôlerie parfois un peu leste, un érotisme teinté de malice, du charme, de l’humour, de l’élégance, infiniment de poésie… et malgré sa notoriété et toutes les qualités de son œuvre, une gentillesse et une discrétion à toute épreuve.
Et, en plus, plein de générosité, puisqu’il a longtemps participé à l’œuvre caritative des Tréteaux blancs en faveur des enfants hospitalisés.
En 2010, je l’avais sollicité pour créer l’affiche de mon exposition Pour adultes seulement – Quand les illustrateurs de jeunesse dessinent pour les grands. Son esprit espiègle fut particulièrement titillé par le sujet et il m’envoyait, au fur et à mesure, moultes projets, tous plus malicieux les uns que les autres, retrouvant la verve biblique de l’affiche d’Emmanuelle, pour, finalement, aboutir à l’élégante quintessence de l’acte amoureux chastement symbolisé par ses outils de dessinateur, un vigoureux petit crayon vert attiré par un délicat pinceau rose. Honni soit qui mâle y pense…
L’exposition eut lieu dans les locaux de l’Ordre des avocats d’Amiens, après des tribulations amplement médiatisées car elle fut interdite par la censure d’un hobereau politicard de province. Léo, souvent interviewé, en fut ravi et ses réponses à la presse furent drôles et perspicaces. A la fin de cette épuisante et excitante aventure, il me renvoya son petit crayon vert… tout fourbu.
Quel humour !
Hello and Thank You, Léo !
Janine Kotwica
Juin 2020
par : Mémoire d'images
Revue