Il faut deux annuaires, l’un de plus de 500 pages et l’autre de près de 300, pour répertorier les exposants de cette 48ème édition de la Fiera del Libro per Ragazzi. De quoi donner le tournis aux visiteurs, vertige teinté de frustration, car, si attentif et consciencieux que l’on soit, on a forcément raté des stands, des pays, des talents … des livres!
Comme le dit, non sans humour, Grégoire Solotareff, le principal mérite de la manifestation, c’est de démontrer ce que l’on ne doit surtout pas faire! Et il est vrai que l’on voit, un peu partout, des livres gigantesques, aux couleurs criardes, des dessins vulgaires, des publicités tapageuses, un monde mercantile à faire fuir tout esthète quelque peu exigeant. Mais on peut, heureusement, en faire abstraction et faire des découvertes enthousiasmantes, surtout si l’on a la chance d’être guidée, comme je le fus, par Carla Poesio, fée-marraine, élégante, experte et attentive, tutélaire en ces lieux depuis près d’un demi-siècle.
Par Janine Kotwica
Italie, mère des Arts et des Lettres
La renaissance de l’édition péninsulaire se confirme. Orecchio acerbo editore présente une écurie d’élite (Lorenzo Mattotti, Benoit Jacques, Shel Silverstein, Olivier Douzou, Art Spiegelman), où les Italiens côtoient des étrangers de marque, traitant de sujets parfois audacieux, et présentés dans des reliures originales et raffinées .
Des traductions d’albums iconoclastes (E un libro de Lane Smith chez Rizzoli) ou patrimoniaux (La Mitologia de Laura Fischetto et Letizia Galli chez Laps Edizioni), des rééditions de classiques incontournables de l’enfance (Il sentiero secreto de Pinin Carpi chez Il Castoro), mais aussi des initiatives originales comme celle qui unit, à La Biblioteca di Repubblica-L’Espresso, «Grandi scrittori, Piccoli lettori, Storie immortali», avec le concours, pour chaque titre, d’un illustrateur de talent. C’est ainsi que sont racontées aux jeunes lecteurs les grands textes de la littérature mondiale, revisités par quelques phares de l’édition italienne : Le Nez de Gogol revu par Andrea Camilleri et Maja Celija, notre Cyrano relu par Stefano Benni et Miguel Tanco, Manzoni par Umberto Eco et Marco Lorenzetti, et encore Dostoievski, et encore Lorenzo Da Ponte… Beau papier, maquette aérée, de la belle ouvrage, au service d’une transmission culturelle de choix.
Cocorico!
Quand on regarde les distinctions de cette année, dont trois vont à des livres français, on voit bien que ce partage de valeurs communes et le retour aux fondamentaux, C dans l’air! Le Prix Fiction est allé aux antiques Fables d’Esope illustrées par Jean-François Martin (Milan), dont les images, selon le jury, rappellent Félix Valotton. Distinguées, elles aussi, les planches florales, superbes, de Martin Jarrie dans Hyacinthe et Rose (Thierry Magnier), qui renouvellent la tradition des herbiers. Quant à l’étonnant Monsieur Cent têtes, Opera prima de Ghislaine Herbera (MeMo), il s’inscrit dans la mouvance surréaliste par sa référence aux arts premiers et par le clin d’œil à la célébrissime Femme Cent têtes de Max Ernst, où, dixit André Breton, «des yeux d’enfants, grands et étonnés, s’ouvrent comme des ailes de papillon…».
Ce livre avait été d’ores et déjà primé, en 2010, par l’Association des Librairies spécialisées Jeunesse. Et, ces Dames Sorcières, bénéfiques s’il en est, nous les rencontrâmes, Sylvie Neeman et moi, au Palazzo Accursio, dans la jubilatoire exposition Quasi solo Disegni per tutti de Nikolaus Heidelbach. Ce bonheur partagé dans un lieu historique somptueux leur a inspiré un p’tit papier bien sympathique sur leur site de La Courte échelle.
Capitaine Bordure, duc de Lithuanie
C’est le Père Ubu qui aurait été content! Car la Lithuanie, si proche et si lointaine, est l’invitée d’honneur de la Foire. Après la Slovaquie, la Fiera enjambe de nouveau les ruines du Rideau de fer. On demeure étonné de la force graphique, de la créativité et de l’étrangeté de l’ univers d’artistes dont la plupart nous sont inconnus. On ne peut que se rappeler l’immense Ben Shahn, décédé en 1969, émigré aux Etats-Unis où il se lia avec André François, autre géant venu de l’Est..
Bonheur de découvrir, dans les polyptiques immaculés de l’exposition, les Cent têtes si mystérieuses du génial Stasys Eidrigevicius dont Le Garçon aux yeux pleins d’amour attira, sur le stand de Motus, Muriel Tiberghien, Janine Despinette, notre «Dame d’œuvres», et sa complice de toujours, la Fée Poesio. Heureux François David!
par : Parole
Revue