Kamilla Koffler dite Ylla (1911-1955) fut une pionnière de la photographie animalière. Après avoir pratiqué le portrait d’animaux domestiques en studio, elle photographie les bêtes sauvages des zoos et des cirques pour, finalement, les saisir dans leur environnement naturel. Cela lui coûtera la vie.
Née à Vienne, fille d’un Hongrois et d’une Yougoslave, elle est placée à 8 ans dans un pensionnat allemand de Budapest. A 14 ans, elle étudie la sculpture à Belgrade puis, en 1930, à Paris. Sa vocation de photographe naît auprès de sa compatriote Ergy Landau pour qui elle travaille quelque temps comme retoucheuse. Elle photographie le chien de Georges Braque, sollicite les clients des sociétés félines et canines parisiennes et fait ses prises de vues dans son appartement. Raymond Grosset, qui refondera l’agence Rapho à Paris en 1946, raconte comment il captait l’attention des toutous avec une souris en caoutchouc et… effaçait leur émotion avec une serpillière ! Elle expose à la Galerie de la Pléiade (1932) et publie 85 Chats (1937), Chiens (1938) et Petits et grands(1938), son premier album pour enfants. Elle travaille à l’agence Rapho fondée en 1933 par Charles Rado, son agent et futur exécuteur testamentaire, et le suit aux USA en 1940 avec Ergy Landau, Brassaï et Emile Savitry. Elle participe à des magazines (New York Herald Tribune, Vogue, Paris Match, Sinra, Point de vue, Liliput, Daily News…) et réalise de nombreuses expositions.
Gens de plume… et bêtes à poils !
Elle emprunte deux lionceaux à un cirque de New York et Jacques Prévert invente une histoire sur leurs photos. Le Petit lion (1947, Arts et Métiers graphiques), fable anthropomorphique, décrit avec tendresse l’appel et les écueils de la liberté, avec une belle conclusion : «Les petits lions font comme les hommes, ils mélangent le vin des rêves avec l’eau amère de la réalité.» L’éditeur pratique treize amputations sur l‘état initial du projet et Prévert lui adresse une lettre de vive protestation. La comparaison avec l’humain, favorable à l’animal, a sans doute dérangé l’éditeur mais, même édulcoré, le texte reste subversif. Les mêmes photos ont inspiré un texte très simple, The Sleepy Little Lion, à Margaret Wise Brown devenu, aux USA, un classique de la toute petite enfance.
Pour Des Bêtes (NRF, 1950), Prévert fait appel à son ami René Bertelé. Ce poème anaphorique se propose de décrire «simplement la déchirante beauté de la vie», refusant toute connotation symbolique ou idéologique. Les animaux, saisis dans la nature, vivent intensément, «avec un cœur comme le vôtre et le mien», les émotions humaines. On retrouve, dans la maquette de Pierre Faucheux, l’humour provocateur et antireligieux de Prévert. Ainsi, de l’alpha à l’oméga, le plat du livre s’orne d’une nativité simiesque iconoclaste et la quatrième de couverture est… une croupe de zèbre. Ce livre écologique engagé se clôt par un superbe message d’espoir, à l’unisson des images inspirées de Ylla : «Même quand c’est horrible et soi-disant absurde et comme vous dites invivable inquiétant, ce n’est jamais aussi horrible invivable inquiétant que c’est beau quand c’est beau.»
Ylla illustre, pour Georges Ribemont-Dessaignes, la facétieuse randonnée d’un écureuil ami d’un chat, Tico Tico, seul texte pour enfants de cet homme de lettres proche de Dada (1952). Les mêmes photos avaient accompagné, en 1950, un texte de Niccolo Tucci pour Harper & Row. D’autres seront adjointes à une histoire charmante de François Cali (Le Canard blanc, Arthaud).
Terres lointaines
Robert Delpire fut ami de cette « belle personne pleine d’énergie », marraine de sa fille Cécile, et Ylla vantait «l’esprit graphique» de l’éditeur. La collection Neuf présenta, en 1953, Animaux d’Afrique, fruit d’un récent voyage au Kenya. «Je ne suis pas allée en Afrique à la recherche de sensations et de dangers, mais simplement pour y photographier les animaux dans leurs paysages naturels», dit-elle à Michel Ragon au cours d’un entretien, plein de modestie et d’humour, repris dans le livre. Le texte est de Lewis SB Leakey, anthropologue, fils d’un missionnaire en pays kikuyu.
Sur le conseil de Jean Renoir, elle envoie un exemplaire d’Animaux d’Afrique au Maharadjah de Mysore qui l’invite en 1954. Elle passe sept mois de rêve dans ces Indes fabuleuses, dans la pompe et le luxe, dînant avec Conan Doyle et chassant le tigre et la panthère à dos d’éléphant avec John Huston. C’est au cours d’une course de bœufs attelés à Bharatpur le 30 mars 1955 qu’elle est mortellement blessée. Le Petit éléphant (Paulette Falconnet, 1955) et Animaux des Indes (1958), accompagné d’émouvants extraits de ses carnets, paraissent à Lausanne à titre posthume.
par : Parole
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