Daniel Maja et le Magazine littéraire
Admiratrice du travail de Daniel Maja en tant qu’illustrateur de livres et lectrice intermittente du Magazine littéraire, j’y avais toujours goûté avec une certaine délectation les dessins de cet artiste, mais je n’en avais jamais fait l’inventaire. Alors que je préparais une exposition sur son travail pour la presse, j‘ai découvert que sa contribution à ce périodique était loin d’être occasionnelle mais que, depuis 1983 (N° 200), durant plus de trois décennies, il avait collaboré à quasiment tous les numéros!
Pour certains exemplaires, il n’a fourni qu’un ou deux dessins, accompagnant une critique des
« Livres du mois », des polars en particulier, ou ponctuant une rubrique comme « La vie des mots » de Alain Rey, ou encore rehaussant les savoureuses incitations de « Abonnez-vous! », en blanc et noir pour les numéros les plus anciens, en couleurs pour les plus récents.
Mais, le plus souvent, il a fait, pour « Le dossier » qui a, en grande partie, assuré la notoriété du Magazine, au moins l’entrée (un dessin pleine page ou sur double page), voire l’ensemble des images: un travail considérable et par sa quantité, et, j’en ai pris conscience au fur et à mesure que je dépouillais les anciens numéros, par la constance de sa qualité.
Or, cet ensemble énorme de contributions n’avait pas encore, à ce jour, été répertorié et les archives personnelles de l’artiste, non classées, composées soit d’originaux des dessins, soit d’articles découpés, soit encore de photocopies, ne donnent pas la référence aux magazines, ni même à la date de parution. Ainsi la confusion est-elle souvent possible avec certaines collaborations à Lire, Beaux-arts Magazine, voire au New Yorker.
Car Daniel Maja travaille très largement pour la presse et fournit son tribut, outre aux magazines précités, à Art press, Notre temps, Le Monde, Challenge, Le Figaro Madame, Elle, Votre Beauté, L’expansion, Les échos, Atmosphères…
La collaboration de Maja avec ces journaux est irrégulière, voire espacée ou ponctuelle. Mais sa contribution au Magazine a été toujours régulière, présentant ainsi une très intéressante cohérence dans sa durée et son abondance.
On repère très vite les contributions de Daniel Maja car il est le démiurge d’un univers très personnel.
Ses personnages s’étirent en des silhouettes que son trait griffu déforme à la Greco. Il crée des monstres burlesques et grotesques à la fois dans la tradition d’un Bosch jovialement revisité par Rabelais. Il encadre souvent ses dessins de prédelles et de frises qui pourraient rappeler Alechinski, ce qui donne à sa mise en page une note de raffinement très personnelle, rappelant la maquette de son bel album Le commencement du monde.
Même si sa palette peut être plus étendue, il privilégie les camaïeux de fauve et de brun assaisonnés d’une touche de bleu turquoise.
Il accompagne souvent ses planches de légendes curieuses, déjantées quelquefois, mais toujours écrites dans une langue goûteuse et élégante à la fois.
Et, surtout, il fait toujours preuve d’une étonnante capacité d’adaptation au sujet, quel qu’il soit : qualité indispensable dans un magazine éminemment éclectique qui visite tous les types d’écrit.
Un goinfre de lecture
Mais l’élitisme intellectuel qui préside à ces choix est éloigné de tout pédantisme. Certes, Daniel Maja fait preuve d‘une immense culture. Grand lecteur devant l’Eternel, ce « goinfre de lecture » comme il se définit lui-même, témoigne de goûts littéraires affirmés.
Un entretien avec les bibliothécaires de Saint Herblain, qui lui avaient consacré une exposition au printemps 2001, fait émerger, entre autres, les noms de Alexandre Vialatte, de Nicolas Bouvier, de Jean Grenier, de Jacques Lacarrière, d’Italo Calvino, de Richard Brautigan, d’Inoué, Söseki et Kawabata, de Bruce Chatwin , de Le Clézio, de Bachelard, de Malcom Lowry, de Topor, de Hasek, d’Alphonse Allais, de Rabelais, d’Apulée, de Michaux, Cendrars, Tardieu, Caillois…
La liste est impressionnante, non exhaustive, et d’un éclectisme désordonné et jubilatoire.
On pourrait aussi, après sa bibliothèque, détailler sa discothèque où Erik Satie cohabite avec Pergolèse, Schubert, Ravel, Debussy, Majid Kiâni et Jerry Roll Morton…
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Ses références artistiques ne sont pas moins passionnantes dans leur disparité, l’amour du trait assurant une fragile unité à une liste qui mêle les époques et les genres.
Tiepolo (Giandomenico, le fils, préféré au père), Dürer, Hokusai, Daumier, Goya, ces maîtres du dessin ancien, voisinent dans son panthéon personnel avec Grosz, Gus Bofa, Pascin, et aussi André François, Sempé, Quentin Blake, Pancho, Ralph Steadman, Tomi Ungerer, Levine ou Sorel.
Un de ses autoportraits n’est pas sans rappeler une caricature de Gustave Doré par André Gill. Dans ce pastiche, il faut évidemment voir plus de dérision que d’auto célébration…
Une ouverture d’esprit digne de l’honnête homme qu’il est sans contestation possible.
« Abonnez-vous ! »
Mais il n’y a jamais étalage de ces références. Elles nourrissent en profondeur son univers verbal et graphique, elles affleurent en de discrets clins d’œil, elles participent de son bonheur à créer dans une lignée, mais sans ostentation, et, le plus souvent, avec une distance humoristique et une familiarité joyeuse qui excluent toute tentation didactique.
L’une des rubriques dans laquelle Daniel Maja peut impunément jouer des références littéraires et les allègrement bousculer, est « Abonnez-vous », où un dessin accompagne quasiment tous les bulletins d’abonnement.
C’est, évidemment, dans le sommaire du magazine, un élément mineur. Mais la fantaisie, la créativité du dessinateur en font une manifestation jouissive qui reflète son amour des Belles lettres, et un rendez-vous que le lecteur ne manquerait pour rien au monde.
Son inspiration puise dans la vie sociale voire dans la vie mondaine, et dans l’Histoire, et dans les événements sportifs à la mode, avec toujours, la distance de l’humour, assaisonné, parfois, de quelques grains de poésie authentique.
Ainsi de ce couple surpris, au clair de lune, dans une pose érotique non équivoque, sur la noble rampe d’un escalier en pierre surplombant la mer. Dans le ciel nocturne brillent des étoiles qui, chacune, portent un nom d’écrivain: Conrad, Perec, Camus, Auster, Sade, Céline, Rilke, Eco, Duras, Pessoa, Cioran, Buzzati, Kant…(N°391- octobre 2000)
Ainsi, au firmament d’un match de foot, les joueurs, « stars » du stade, s’appellent Genet, Ionesco, Boyle, Giono, Jünger…(N° 389- août 2000)
Ainsi de ces caravelles colombiennes qui découvrent des terres nouvelles baptisées Kundera, Borges, Auster, Dante ou Garcia-Marques. (N° 425 – novembre 2003)
Ainsi de ces couples qui contemplent, parfois à la jumelle, dans la sérénité d’un crépuscule exotique, l’envol d’oiseaux blancs nommés Melville, Dante , Cervantès, Faulkner, Le Clézio, Eco…( N° 366- juin 1998)
Ainsi encore de cette table bourgeoise qui brille de tous les feux de son argenterie et où les convives, attendus pour un repas aux chandelles, sont Epicure, Cocteau ou Hesse (N° 426- décembre 2003) ou de ce jardin extraordinaire où fleurissent des plate-bandes de Auster, Borges, Kundera , Dante et Garcia-Marques.(N° 423- septembre 2003)
Dans cet hymne d’amour aux écrivains, où l’humour flirte avec le lyrisme, la récurrence de certains noms est-elle due au hasard, ou dénonce-t-elle des préférences oubliées lors de l’entretien de Saint Herblain ?
Nonobstant, les dessins de cette rubrique ne procèdent pas tous par inventaire de grands noms de la littérature.
Que dire, en effet, de ce restaurant du temps des vaches folles où le maître d’hôtel conseille « à la place du bœuf, une tranche de Shakespeare à la sauce Hugo » ? (N°394 – janvier 2001)
Ailleurs, sous ce même formulaire d’abonnement décidément très réjouissant, on assiste à une glorification du Magazine lui-même, et de la passion qu’il suscite chez son lecteur.
Ainsi, cette soirée dansante où les invités, malgré l’étirement sensuel du bandonéon, continuent à lire leur magazine préféré en glissant étroitement enlacés sur la piste (N° 414- novembre 2002), ou ce théâtre où l’on ne prête aucune attention à la pièce, captivé que l’on est dans la lecture de son mensuel révéré (N° 374- mars 1999), ou encore ce buffet copieusement garni où la littérature et les articles du Magazine restent au centre de très mondaines conversations (N° 418- mars 2003)…
Et, bien sûr, sous la neige, à une belle impatiente qui attend, insensible au froid, devant sa datcha, le Magazine est distribué en traîneau ! (N° 339- janvier 1996)
Autant de situations délectables qui valorisent une publication présentée comme apte à susciter un intérêt exclusif , avec des scènes qui sont souvent saisonnières car la rédaction du Magazine aurait prévu de réaliser, un jour, peut-être, un calendrier illustré.
« Les livres du mois »
A côté de cette rubrique quasi publicitaire, l’actualité littéraire est analysée par des notes de lecture d’écrivains et illustrée par divers dessinateurs dont Natali Fortier, Honoré ou Daniel Maja. Comme il n’est pas question pour eux, faute de temps, de lire tous les ouvrages présentés, les dessinateurs travaillent sur les notes de lecture que leur a faxées l’auteur de l’article.
A partir de là, tout est affaire de culture et d’intuition pour sentir, et faire ressentir au lecteur, l’atmosphère d’un roman…que l’on n’a pas lu !
Daniel Maja excelle dans le rendu des œuvres de science-fiction, et plus encore des polars et romans noirs.
Le climat angoissant de certains univers urbains, le pathétique de situations interlopes, l’incongru de scènes mystérieuses ou horrifiques, trouvent un écho graphique dans les mondes créés non sans désinvolture par un Maja qui se moque de la vraisemblance tout en restant scrupuleusement fidèle à l’esprit du texte.
Ainsi a-t-il ponctué plusieurs recensions de Simenon, des Maigret en particulier, d’inquiétantes scènes nocturnes.
Aussi est-il à l’aise dans les romans d’aventures, avec ports sombres, marins esseulés et bateaux en partance vers des ailleurs gris ou noirs. (N°312- janvier 1993)
Sa réussite est dans tous les genres.
Il peut célébrer non sans lyrisme, la naissance du mythe alpestre (N° 414- novembre 2002), et aussi la forêt des Romantiques (N° 422- juillet-août 2003) ou le charme populaire des jardins ouvriers … (N° 413- octobre 2002)
Parfois s’opèrent des rencontres avec des textes de livres qu’il a illustrés. Ainsi, en 1993, a-t-il imagé une version fantaisiste de la vie de Léonard de Vinci, Le cheval de Léonard. Et voilà qu’il illustre une critique d’un polar de Paco Ignacio Taibo, La bicyclette de Léonard, où il peut s’amuser à représenter de nouveau une machine volante particulièrement drolatique
(N° 339- janvier 1996), qui n’est pas sans rappeler le futurisme pittoresque de Albert Robida qu’il admire sincèrement.
« La vie des mots »
Son goût pour les subtilités de la langue fait que la rencontre avec Alain Rey ne pouvait qu’être heureuse et fertile. Et là aussi, il ose.
Il ose un cadavre nu, tragique et presque obscène pour appuyer le Fumer tue du N° 428 (février 2004).
Il ose jouer des polysémies et des expressions et locutions qui font l’incomparable richesse de notre langue : métaphore du temps qui passe, un marchand de sable arpente une plage, le dos lourdement chargé d’un sablier qui s’égrène…(N° 441- mai 2004 )
Il ose (N° 400- juillet-août 2001) pour un Habillé pour l’été un homme sans tête assis sur un tronc d’arbre auprès d’un épouvantail très élégant dont les « bras » germent de frais rameaux : une image surréaliste qui insinue le doute sur la rigueur de l’analyse du lexicologue distingué !
Il ose – N° 412- septembre 2002- un chevalier « zoo-andro-morphe », très audacieux compromis du bouc et de Jeanne d’Arc, pour illustrer la saveur d’un mot perdu (bouter), « relégué au magasin des accessoires du passé », sorti sans crier gare de ce que Rey appelle malicieusement le « PLF » (Paysage langagier français).
Il ose, pour Transitions en péril (N° 433- juillet-août 2004) représenter un nounours, objet transitionnel de la prime enfance cher à Winnicott, qu’un bourgeois vieillissant donne à un « transi » – au sens médiéval du terme-, personnage à tête de mort élégamment vêtu, détournant l’objet et les personnages de leurs habituels contextes sociaux ou historiques.
Il s’est établi, au fil des années, une vraie connivence entre les deux compères : ainsi de ce Du sec à la sécheresse (N° 423- septembre 2003) , dont le sous-titre « Ah ! si la sécheresse était pluie de champagne sec et même brut, que la vie serait jolie… » trouve un écho décalé dans le dessin d’un vautour mortifère juché sur une élégante flûte vide incongrûment abandonnée dans une nature aride.
Et on pourrait multiplier les exemples du bonheur de ce compagnonnage intellectuel de haute volée.
Les dossiers thématiques
Si l’illustrateur du dossier n’a en charge que son ouverture, il dispose, pour sa réflexion, d’un texte de présentation par le responsable du dossier, ainsi qu’un ou deux textes révélateurs communiqués par fax.
Si c’est l’ensemble du dossier qui lui est confié, il reçoit, souvent par coursier, tous les textes des articles, avec parfois un écrit ou un coup de fil explicatif. Et, comme pour tout dessin de presse, il ne dispose que de peu de temps pour « rendre sa copie », il doit, avant toute chose, faire preuve de vivacité d’esprit et de rapidité de trait, qualités que possède sans conteste Daniel Maja.
Lorsqu’on établit la liste des dossiers qu’il a illustrés (Les Epicuriens, les Sceptiques, La tentation du bonheur, Descartes, Darwin, Nietzsche, Montaigne, La Psychanalyse, la Phénoménologie… ), on est frappé par la prééminence des philosophes et des sujets philosophiques sur les thèmes historiques, sociaux ou littéraires qui composent la vitrine du Magazine depuis ses débuts en 1966.
Et ce n’est certes pas un hasard: le sujet philosophique résiste à l’illustration redondante ou narrative et présente un défi que l’esprit jouteur de Daniel Maja ne pouvait que relever avec panache et malice, sans être écrasé ni par le sérieux du sujet ni par la notoriété des auteurs des articles.
Pervers ? Tordu ? Maître du décalé, en tous cas, adepte du déjanté, surréaliste du troisième millénaire, s’amusant de l’incongru, irrespectueux des gloires reconnues qu’il bouscule avec jubilation, c’est dans les dossiers que Daniel Maja peut donner toute la mesure d’une réjouissante audace iconoclaste dans le traitement des sujets les plus austères.
Son aisance désinvolte dans le maniement des concepts les plus ardus lui permet de prendre la distance nécessaire pour illustrer des textes a priori « inillustrables » . Comme pour les critiques des livres du mois, il fait preuve d’une capacité étonnante d’adaptation au sujet, et pratique, avec une subtilité accrue, l’anachronisme, le décalage, voire la dérision, par rapport au sérieux des sujets traités avec l’objectif – atteint !- de rendre fluide l’indigeste de certaines notions philosophiques, soit qu’il en clarifie l’opacité, soit qu’il en démultiplie les significations : l’image, la plupart du temps plus polysémique que le texte, se prête plus facilement à des connotations plus étendues.
Quelques exemples de cette insolence joyeuse et blasphématoire qui désacralise les gloires reconnues et leurs thuriféraires, et joue des variations, justes et dysharmoniques à la fois, sur la grandeur de la pensée et des sentiments.
Sur un petit dessin d’un dossier partagé avec Benoît Jacques, La tentation du bonheur, dont la très belle ouverture oscille entre humour, poésie et tendresse, Schopenhauer, minuscule, juché sur un tabouret, bouche ses oreilles, Nietzsche, debout et martial, cache ses yeux, Kant, dignement assis, dissimule sa bouche et Freud (appelé irrévérencieusement… Sigmund), allongé sur son propre divan, protège frileusement son sexe des deux mains! Comprenne qui pourra…
« L’image se mérite » a coutume de dire Daniel Maja ! (N° 389- juillet-août 2000)
Dans le N° 391 d’octobre 2000 consacré à Diderot, c’est de l’esprit du XVIIIème siècle et de ses stéréotypes que Maja s’amuse. Ainsi de derrière un paravent propice à toutes les polissonneries, émergent des jambes féminines érotiquement chaussées mais dénudées. Un mouton nous rappelle fort à propos de célèbres bergeries tandis que dans le groupe des voyeurs qui s’allongent le cou pour lorgner derrière le paravent, deux Polichinelle semblent droit sortis des carnets de Giandomenico Tiepolo.
Descartes (N° 342- avril 1996) est particulièrement réussi. Une frise à la Alechinski développe la bande dessinée de la biographie du philosophe avec une irrévérence alerte, de la jeunesse du petit René à ses amours juvéniles, avec les détails inattendus de ses duels, ses voyages à travers l’Europe, de la Suède ou des Pays Bas à l’Italie, les disputes philosophiques, avec Pascal en particulier, sa fascination pour les machines et engins qui le rapprochent de Léonard de Vinci, jusqu’à la saignée fatale. Avec, toujours, malgré la fantaisie, un ancrage solide dans l’œuvre et l’Histoire.
La Faute (N° 367- juillet-août 1998) donne du sentiment de culpabilité lié au sexe une image éclairante : sur le bouclier d’un guerrier acéphale, armé d’un glaive qui menace des couples nus enlacés, est gravé l’œil -très hugolien- de la conscience.
Le Retour aux Latins (N° 285- février 1991) est lui aussi un grand crû, avec l’usage surprenant des formules et maximes éculées des pages roses du Larousse (Cave canem- Omnia vincit amor- Memento mori- Homo homini lupus- Sic transit gloria mundi- Qui bene amat bene castigat etc…) renouvelées dans l’évasion farfelue d’un graphisme où le burlesque le dispute à l’absurde.
Plus le dossier est complexe, plus il semble impossible de donner un écho graphique à la pensée évoquée, plus Daniel Maja est à l’aise, d’où l’exceptionnelle réussite du numéro consacré à Darwin (N° 374- mars 1999) . Dans cet important dossier avec des vignettes particulièrement savoureuses et plusieurs grands dessins, Daniel Maja interprète magistralement à la fois les rapports de Darwin avec la morale, le sexe, la politique ou la religion mais aussi son influence sur la psychologie évolutionniste et la sociobiologie contemporaine.
Le surréalisme trouve naturellement sa place dans le dossier sur La psychanalyse (N° 339- janvier 1996) :on y goûte un mélange des genres très drôle, ainsi de ce Sphinx tenu en laisse sur un pont d’autoroute.
L’esthétique (N° 414- novembre 2002) montre des variations humoristiques sur les différentes définitions du Beau : pour un artiste, un sujet en or qui rappelle les contributions de Daniel Maja à des périodiques comme Art press ou Beaux Arts Magazine .
Dans Nietzsche (N° 298- avril 1992), très intéressante est la représentation de l’Übermensch en un mythique combat avec l’Ange, audacieuse par son point de vue et son cadrage. Daniel Maja s’y révèle plus inspiré par le désordre dionysiaque que par la sérénité apollinienne !
Dans Leibniz (N° 416- janvier 2003), Daniel Maja relève le défi de nous amuser avec une représentation ovine de la complexe théorie de l’agrégat des âmes et de la méditation sur l’infini.
Le panache des costumes, l’amour de Maja pour le Siècle des Lumières naissant conjugué avec l’inspiration ésotérique contribuent à la réussite de ce numéro.
Moins intellectuel mais plus sensible, le dossier très récent intitulé Eloge de la paresse (N° 433-juillet-août 2004). La page d’ouverture nous donne à contempler une plage déserte où un pépère bedonnant est perdu dans l’observation rêveuse d’un escargot qui grimpe le long de son bras tendu.
Le temps s’arrête pour qui pratique l’art difficile de ne rien faire !
Tarda fluit hora pigris velox operantibus…
On pourrait citer aussi Levi-Strauss (N° 311- juin 1993) ou les Epicuriens (N° 425- novembre 2003), Machiavel (N° 397- avril 2001), Kant et la modernité (N° 309-avril 1993) , ou encore Le retour des Sceptiques (N° 394- janvier 2001), autant de plaisirs délicats pour des esprits aiguisés.
De natura rerum
Une lettre du Courrier des lecteurs donne la mesure du succès de ces dessins auprès d’un public averti. En décembre 2003, le numéro 426 publiait la lettre d’une fidèle lectrice parisienne, Geneviève Bô :
« Abonnée de très longue date, j’arrive au bout de la route…Je ne voudrais pas disparaître sans savoir qui est l’illustrateur Maja dont j’apprécie tant les moindres frémissements de son graphisme, le dépouillement, l’exubérance, le tragique, la tendresse, la violence, l’humour-… ce talent qu’il possède aussi fortement qu’un beau texte… Merci à vous d’assouvir ma curiosité, de combler mon désir.
Transmettez ma sympathique admiration à ce grand artiste. »
Un compliment juste et émouvant. Daniel Maja, touché, dédia un autoportrait à cette admiratrice à qui il rendit une visite appréciée.
Les critiques du Magazine rendent aussi hommage à la « perspective rêveuse », l’« allocation
d’âme », au « vertige exotique » de ses dessins. (Thierry Bayle, à propos de la parution de L’Abécédaire de l’ange- N°339 – janvier 1993).
Le papier de Anne-Marie Koenig sur L’Abécédaire porcinophile (N° 428- février 2004) n’est pas moins élogieux. « Morceaux de roi, écrit-elle, les illustrations de Daniel Maja entrelardent ces réjouissances de dessins si drôles et légers qu’ils affublent le rondouillard d’une grâce de danseur, d’une subtilité de poète.
Le porc en lettres et en palette n’est plus seulement matière à farce. Il vole, virevolte, allume sa lanterne, s’habille de soie, mange des perles et glande, hilare, de laie en légende. »
Toujours inspirée, mais par Bonheurs cette fois, Anne-Marie Koenig écrit encore (N° 402- octobre 2001):
« Les brimborions du quotidien partent en pas de danse et glissent, aériens, dans l’incongru. » Joliment dit, et si juste…
Le Magazine littéraire a, depuis, changé de formule et d’esprit. Fasse le ciel (Utinam ! diraient les Latins du N° 285…) qu’un jour la presse magazine redécouvre la force et le charme du dessin et lui redonne sa place d’antan…
Janine Kotwica
par : Mémoire d'images
Revue