Quatre talents bien singuliers
Jacqueline Duhême, Mette Ivers, Colette Portal, Agnès Rosenstiehl : quel ravissement de se replonger dans leurs univers, de goûter à la fraîcheur naïve de Jacqueline, de partager la méditation rêveuse de Mette, d’accompagner les déambulations mélancoliques de Colette, de sourire de l’audace joyeuse d’Agnès…
Jacqueline Duhême est, en ce moment, fort présente dans l’actualité parisienne, avec une rétrospective à la Bibliothèque Forney doublée d’une exposition à la médiathèque Françoise Sagan. Une consécration méritée pour une œuvre qui a commencé au mitan du siècle dernier et qui ne semble pas devoir s’achever bientôt tant l’artiste a conservées intactes la verdeur et l’énergie de sa juvénile inspiration. Ces expositions, comme ses autobiographies illustrées et le générique prestigieux des auteurs qui éclairent son abondante bibliographie, évoquent à l’envi la richesse des relations littéraires, artistiques, politiques que Jacqueline, par son charisme et la séduction de ses petites aquarelles, a cultivées de part et d’autre de l’Atlantique.
La bibliographie de Mette Ivers, toute aussi abondante, comporte aussi des noms d’écrivains prestigieux car elle a illustré, avec une rare subtilité, Tchekhov, Stendhal, Andersen, son compatriote à qui elle est liée par des affinités électives, ou Collodi dont elle a su rendre palpable un mélange d’émotion, de compassion et de cruauté. Peintre, elle expose, en particulier dans la galerie de Martine Gossieaux, des portraits à l’intense vie intérieure et des scènes intimistes quelque peu énigmatiques proches du très nordique Hammerschoi. Et elle est fort discrète sur sa sphère privée, elle qui fut mariée à Sempé et qui a si longtemps caché qu’elle fut le dernier amour d’Albert Camus…
On aurait pu craindre Colette Portal glissée vers l’oubli, quand, en 2016, deux expositions accompagnées de publications, à la Fondation Folon et à la Piscine de Roubaix, ont enfin remis en lumière une artiste talentueuse, illustratrice, peintre, vidéaste et photographe, qui initia son mari Jean-Michel Folon à l’aquarelle. Dans sa passionnante et si sensible biographie, lisible sur son site, se côtoient amicalement tous les grands noms des arts graphiques du monde. Cette poétesse du vivant a créé une œuvre dont la symbolique et la réflexion émue sur le sens de l’existence s’adressent à tous les publics.
Les jeunes éditions La Ville brûle ont eu l’excellente idée de rééditer trois incontournables des années septante qui avaient fait d’Agnès Rosenstiehl une des têtes de proue de l’édition jeunesse alors en pleine mutation. On y découvrait sa manière dépouillée, quintessence de la ligne claire, qui siera à merveille aux malicieuses aventures de sa célèbre Mimi Cracra. Elle a aussi illustré Rimbaud ou Jules Renard et mis sa grande culture et son amour des mots au service de livres qui flirtent avec le documentaire, dictionnaires ou recueils de mythologie d’une originalité pleine d’humour. Prolifique, elle aussi, elle a publié une belle centaine de livres.
Quatre imagières exceptionnelles qui illuminent, dans des styles esthétiques singuliers, plus d’un demi-siècle d’édition française.
par : Mémoire d'images
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