(Bruxelles, 9 septembre 1928 – Bruxelles, 24 septembre 2000)
Auteur-illustratrice belge. Pseudonyme de Monique Martin.
Après des études à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, Monique Martin devient peintre et aquarelliste avant de publier une quarantaine d’albums, six sous son patronyme (MM), et les autres sous son pseudonyme, presque tous sous la houlette de son ami Arnaud de la Croix, d’abord chez Duculot, puis, après le rachat de cet éditeur, chez Casterman.
L’argument de son premier album, Le Petit Ange à Bruxelles (MM, Blanchard, 1970) sera repris par une bande dessinée originale aux cases à peine esquissées, autobiographique, Désordre au paradis (Duculot, 1989 ; rééd. Casterman, 2008), malicieuse histoire séraphique où un angelot craquant de drôlerie, à l’instar de sa créatrice, refuse d’obéir aux conventions et sème une joyeuse pagaille chez les barbons bien-pensants du ciel et de la terre. Après sa rencontre avec Léonard et Michel-Ange, il découvre le bonheur dans la création artistique, puissant contre-pouvoir aux pesanteurs et aux raideurs des habitants du paradis. Un livre iconoclaste où Yaveh lui-même est épinglé par la narratrice.
Les croquis pris durant près de 20 ans dans les salles de l’imposant Palais de justice de Bruxelles ont été réunis dans Au Palais (MM, 1994), où elle donne à voir la souffrance, la honte, le malaise, la fatigue, la tristesse, le désespoir des prévenus, la perplexité, l’arrogance, la concentration, le mépris, la compassion des gens de robe, traquant les expressions des visages, des yeux, des mains. On retrouve cette empathie dans les 24 portraits de Jacques Brel (1989 ; rééd. 2008) et dans les illustrations déchirantes de ses chansons (MM, Moi, je t’offrirai des perles de pluie, 1993).
Un jour, un chien (MM, 1994 ; rééd.1999) aborde un thème qui lui est cher, celui de l’abandon. Violemment rejeté sur une route par ses maîtres, un chien va vivre une errance douloureuse, causant un grave accident, mais sera in fine adopté par un enfant : si l’on excepte L’Œuf, (MM, 1983), énigmatique et désespéré, Gabrielle Vincent conclut la plupart de ses histoires par une fin optimiste. Ainsi en est-il de Le Violoniste (Rue du monde, 2006) où la consolation et la confiance en soi sont apportés par la fraîcheur admirative d’un regard d’enfant, le même regard que celui qui insuffle la vie à La Petite Marionnette (1994). Et toujours l’amitié salvatrice de l’adulte et du petit d’homme, avec la transmission de valeurs essentielles comme le respect de la nature (Papouli et Federico – Le grand arbre, 1994). Elle livre une réflexion douce-amère sur la société, rendant avec nostalgie le climat d’un monde désuet, où les facteurs partagent les émotions de ceux à qui ils délivrent les courriers (J’ai une lettre pour vous, 1995), la poésie des jardins sauvages et des maisons désertées (Mon jardin perdu, 1996), le charme des villages et paysages d’antan où une petite fugueuse cache sa solitude de mal-aimée (Je voudrais qu’on m’écoute, 1995).
L’immensité du désert la fascine (Au désert, MM, 1992 ; La Montgolfière, 1996 ; Nabil, Rue du monde, 2004).
Elle valorise le don dans Au bonheur des ours (1993 et 2007) et Au bonheur des chats, (1995) et surtout dans Ernest & Célestine, célèbre série d’albums chaleureux et généreux publiés entre 1981 et 2008, dont certains à titre posthume, dans des versions cartonnées ou avec des déclinaisons souples (Petits Duculot et Lutin poche à l’École des loisirs). Le couple improbable d’un ours vieillissant et d’une jeune souris ravissante et versatile où l’anthropomorphisme ne fait aucun doute : il s’agit là d’un père adoptif aimant et indulgent et de sa fille délicieusement fantasque, saisis dans les joies et les peines de la vie quotidienne. Autant d’occasions de croquer avec légèreté l’harmonie des bonheurs simples (Au cirque, 1988 ; Chez le photographe, 1982 ; Ernest et Célestine ont perdu Siméon, 1981), de se mettre en retrait du mercantilisme consumériste grâce à la créativité et à l’astuce (Noël chez Ernest et Célestine, 1983), de donner vie à de sympathiques clochards qui trouveront, par l’aide de nos héros, une heureuse intégration sociale (La Cabane, 1999) et d’évoquer les questions philosophiques qui entourent le deuil, la maladie et la mort (Cet été-là, 1994). La Naissance de Célestine (1994) et Les Questions de Célestine (2001), livres bouleversants où l’on apprend comment Ernest a trouvé son enfant chérie dans une poubelle, déversent, à travers les gestes d’amour qui entourent cette adoption si anticonformiste, un superbe message de rédemption et d’espoir. Arnaud de la Croix a souligné la ressemblance de Gabrielle Vincent et de Célestine, «et pas seulement au physique…tour à tour coquette, espiègle, enjôleuse, colérique, exigeante (surtout vis-à-vis d’elle-même), capricieuse, subtile».
Une virtuose du crayon, du fusain et du lavis, avec une palette qui se joue du noir et des bruns, cultivant l’art de la litote, du suggéré et de l’inachevé, dont l’univers affectif et esthétique a séduit le public japonais.
Janine Kotwica
Dictionnaire encyclopédique du Livre de jeunesse
Cercle de la Librairie, 2013
Defourny (Michel), « Au pays des gros ours et des petites souris », Lectures N° 77, Mars-avril 1994.
Martin (Serge), « Gabrielle Vincent ou l’invention de la relation «, Argos, N°38, octobre 2001.
Mathieu (François), « Un jour, Gabrielle Vincent rompit avec le mythe mièvre du nounours et de la souricette, et mit au monde l’ours Ernest et la souris Célestine », L’Humanité, 2 novembre 2000.
Neeman (Sylvie), « Et il y avait une grande place pour toi dans ma vie », Parole N°49, été 2001.
Gabrielle Vincent, conversation avec Arnaud de la Croix, Tandem, 2001.
Gabrielle Vincent, N° spécial Griffon N° 151, avril-mai 1996.
par : Cercle de la Librairie
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