On n’ose le redire tellement c’est un lieu commun : Henri Galeron est un artiste discret. Très discret. Trop discret ? Mais ô diabolique surprise : sous son allure si sage et si distinguée couvent une fantaisie jubilatoire, un anticonformisme grave et joyeux à la fois, une vigueur graphique qui peut frôler la brutalité, une appropriation culturelle très personnelle de références artistiques étendues et inattendues, un panthéon littéraire fantasmagorique et souvent déjanté. Une apparence de monsieur bon chic bon genre et l’œuvre d’un chenapan surdoué, plein d’audace et étonnamment irrévérencieux.
Cet anticonformisme trouve-t-il sa source dans son enfance provençale, à Saint Etienne de Grès où il naquit en 1939 et où il passa plus de temps en école buissonnière que sur les bancs de la communale ? Murphy, Molly, Max and Me (1976), si critique sur les rigidités scolaires a dû jouer un rôle cathartique, comme les portraits libératoires des « institosaures » et autres « orthograves » de L’île du droit à la caresse (1998).
Par ses brillantes et très classiques études aux Beaux-Arts de Marseille, il conforta et affina sa maîtrise technique mais ses références artistiques, il les découvrit tout seul, comme le grand qu’il est très vite devenu. Sur son Parnasse se croisent, dans un heureux éclectisme, quelques peintres rupestres, des sculpteurs romans, des artistes du Quattrocento, des graveurs anonymes diffusés par colportage, et Grandville, et Doré, et Magritte, et Goya, et Bosch, et les Brueghel, et Alain Le Foll, et André François, et Winsor McCay, et Robert Crump, et Seymour Chwast…
Sa virtuosité, il s’en méfie, et, pour ne pas se figer, il varie les techniques, gouache, encres et écoline, aquarelle, acrylique, crayon de couleur, benday, mine de plomb…
Son parcours éditorial est jalonné de rencontres, Harlin Quist et François Ruy-Vidal, Pierre Marchand, Massin, Patrick Couratin, François David… Il a publié chez Nathan, Grasset, Harlin Quist, Gallimard, Motus, Bayard, Actes sud, Panama, Les Grandes personnes…
Illustrateur, il donne sa lumière à des textes d’une grande variété. Il a mis en images quelques grands conteurs du patrimoine, les frères Grimm (Le Loup et les sept cabris et Les Musiciens de la ville de Brême, 2009) et Andersen (Le vilain petit canard, 2006, Poucette, 2008). Souvenir de ses années Nathan où il illustrait des jeux éducatifs ? Il n’a jamais cessé de faire des documentaires, avec une précision extraordinaire, mais aussi une rare qualité esthétique. Son bestiaire (Le Canard, La Girafe, le Chat, Le Cheval, Le Perroquet….) a une présence impressionnante que l’on retrouve aussi dans ses albums de fiction : Monsieur, le matou évoqué par Marie-Ange Guillaume (2008), est une exceptionnelle réussite et ses Histoires naturelles témoignent de la connivence posthume qui l’a uni à Jules Renard (1979).
Ce titre l’intronise dans la regrettée collection Enfantimages où il a pu faire montre de son intelligence des textes, de sa capacité à les éclairer sans redondance aucune et même à en accroître la polysémie. Il flirte avec le surréalisme, d’où sa lecture onirique de Jacques Prévert (La pêche à la baleine, 1979) où il retrouve l’esprit des collages du poète, ses affinités électives avec le monde absurde de Kafka (Le pont, 1981) et sa jubilation à entrer dans les délires carrolliens (Lettre d’anniversaire, 1982). Son Voyage au pays des arbres(Le Clézio, 1984) est une enchanteresse balade en Poésie.
Sa pertinence de la mise en page, il l’a maîtrisée dès ses premiers titres (1973) où il exalte la fantaisie quelque peu mélancolique du monde du cirque (La Dompteuse et le musicien, Moa, Toa, Loa et leur cousin Tagada). Les situations abracadabrantes (Le Kidnapping de la cafetière, 1974) l’enchantent et il ne rate aucune occasion de célébrer les mondes inversés, de Quand (1977) et Le doigt magique (Roald Dahl, 1979) à Chacun son tour (2010). Il exalte la laideur (Comment chasser un monstre ? Fastoche ! ) et refonde toute une mythologie de créatures hybrides (L’oubli de Noé, 1978). Il se reconnaît dans la sage idiotie de Nasr Eddin Hodja (1996) et dans les divagations de Michel Besnier (Mes poules parlent, 2004) ou d’Edward Lear (Poèmes sans queue ni tête, 2004 et L’homme qui voulait apprendre à marcher aux poissons, 2008).
Cette propension ludique et son humour subversif ne l’empêchent pas d’épouser le combat généreux de François David contre le racisme (Les enfants de la lune et du soleil,2001) et la barbarie nazie (Une petite flamme dans la nuit, 1996). Et tenant la main de sa fille Zoé, il marche sur les traces romantiques de Chamisso (Tom et son ombre,2006).
Il lit toujours avec soin les romans, nombreux pourtant, dont il crée les couvertures, traquant l’idée qui en donnera la substantifique moelle. Ce sens de la synthèse et cette aptitude à représenter les concepts en fait aussi un remarquable affichiste et un inventeur inspiré de timbres-poste et de pochettes de disques.
Terminons par un autre lieu commun : Henri Galeron est un artiste modeste. Pascalien, son moi lui est à jamais haïssable. Et il a, pour son travail, un tel niveau d’exigence qu’il en est toujours insatisfait.
Pourtant, il aurait lieu d’en être bigrement fier !
par : Festival des Illustrateurs - Moulins
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