Un talent bien singulier que celui de la jeune et ravissante illustratrice Marion Fayolle. L’univers sensible et déjanté de cette nouvelle venue dans l’édition a semé stupeur et étonnement dans le microcosme du graphisme.
Son curriculim vitae est d’ores et déjà bien garni. Née le 4 mai 1988, diplômée des Arts décoratifs de Strasbourg en 2011, elle avait fondé, dès 2009, durant sa scolarité, avec deux comparses, Matthias Malingrey et Simon Roussin, la revue Nyctalope, laboratoire insolite d’expérimentations graphiques, dont le N°8 est paru en janvier 2015. Elle publie des dessins dans la Revue XXI, le New York Times, Psychologies magazine, Muze, Paris mômes, Fooding … et a participé au recueil The Parisianer. Elle a créé des motifs pour la marque de prêt-à-porter Cotélac.
Lauréate, à Angoulème, du Concours Jeunes Talents en 2008, 2010 et 2011, elle y est invitée d’honneur en 2014 avec une exposition qui lui est consacrée.
En dehors de deux titres* qu’elle a discrètement illustrés, elle a conçu elle-même cinq albums.
C’est Michel Lagarde devenu, depuis, son agent, qui a publié, en 2011, son premier opus personnel, L’Homme en pièces, préfacé par Didier Semin, professeur à l’École des Beaux Arts de Paris. Sorte de bande dessinée dont chaque planche est « réalisée à la main selon un procédé de tampon proche de l’estampe ou de la sérigraphie », ce recueil d’histoires muettes se joue, avec une drôlerie non exempte de cruauté naïve, des rapports amoureux et des drames humains. « Mes personnages évoluent dans un univers à la fois surréaliste et absurde. Ils sont comme des pantins, des mimes… Les parents arrosent leur enfant pour le faire grandir plus vite, les hommes se font allumer comme des bougies et fondent comme de la cire, les femmes s’effacent en faisant leur toilette… Une jeune femme plante un arbre, l’arrose, l’aide à grandir pour pouvoir ensuite s’y pendre… Les personnages se répètent comme des motifs. Les corps sont sans cesse décalqués. Seules les coiffures et les vêtements permettent d’identifier et de différencier les acteurs. »**
Un livre étonnant réédité par Nobrow en 2013 sous le titre In pieces qui souligne la dérangeante propension de l’artiste à couper ses personnages en morceaux.
On retrouve cette inclination à l’absurde dans l’anticonformisme de La Tendresse des pierres, fruit de deux longues années de travail, paru aux jeunes éditions Magnani en 2013. Elle appelle « spectacle littéraire » ce récit en images, « succession d’allégories » intime, tendre et pudique, sur la maladie et la mort de son père. Elle y analyse subtilement son quotidien, les douloureuses transformations de sa personnalité, et les perturbations que sa dépendance et sa progressive déchéance entraînent pour son entourage. Malgré la gravité du sujet, l’artiste fait preuve d’humour et met à distance le tragique des situations en mettant en scène des métaphores surréalistes intelligemment décalées. Les images sont accompagnées d’un journal manuscrit qui commente, avec un détachement poignant de sincérité et d’émotion contenue, cette surprenante chronique d’une mort annoncée.
« Le père n’est pas malade mais subit des transformations. On ne parle pas de trachéotomie ou de respirateur artificiel mais d’un nez porté comme une parure et d’un poumon à roulettes qu’il doit tirer derrière lui comme une valise… Est-ce un enfant fragile ou un homme aussi râpeux qu’un rocher ? Est- ce une personne faible qui attend la mort ou un roi tyrannique, incapable d’éprouver un peu de reconnaissance ? »***
Belle méditation philosophique, douce-amère, lucide et bienveillante…
Avec Les Coquins (Magnani, 2014), elle renouvelle le genre érotique avec des métaphores de l’attraction amoureuse d’une drôlerie irrésistible. Les sexes des personnages sont : escargot attiré par une salade, tête taurine se précipitant vers une capote brodée d’un pubis, crayon s’introduisant dans un taille-crayon, cierge devant lequel une dévote s’agenouille, train s’engouffrant dans un tunnel, fusée décollant vers la lune…
Leurs jeux sont joyeusement créatifs, d’une contagieuse jubilation.
Elle a aussi publié deux livres d’enfants où l’on retrouve l’univers surréaliste de ses livres pour adultes.
Le Tableau (Magnani, 2012), qui peut rappeler La Rose pourpre du Caire de Woody Allen, nous raconte les tribulations d’une femme quittant un tableau pour rejoindre l’homme amoureux qui se pâmait devant cette peinture. L’interpénétration du monde réel et de celui de l’art y est évoquée avec une adresse narrative débordante d’imagination.
On retrouve cette virtuosité dans Nappe comme neige (Notari, 2012), sorte de marabout-bout de ficelle graphique, qui bouscule le genre de l’imagier par des associations d’idées farfelues.
Une artiste qui surprend par la richesse, la variété, l’originalité, la profondeur et la précoce maturité de ses inspirations.
Janine Kotwica
Festival des illustrateurs, Moulins 2015
*A la recherche de son âme (Guillaume le Blanc) Gallimard Jeunesse, 2011 (Giboulées – Chouette penser!) Ligne 12 (Emmanuelle Pagano) Le Square, 2015 ** Entretien avec Michel Lagarde. ***marionfayolle.canalblog.com – 23 août 2014
par : Festival des illustrateurs
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