Le vendredi 15 avril 2005, dans un petit cimetière ensoleillé du Vexin, une pluie de fleurs de cerisier recouvrait le cercueil d’André François, décédé un 11 avril, comme son ami Jacques Prévert.
Né André Farkas, en 1915, au Banat, dans une province de l’empire austro-hongrois qui deviendra la Roumanie, cet artiste naturalisé français, mondialement connu, fut l’un des grands noms des arts graphiques du XXème siècle.
Illustrateur de livres pour enfants parus surtout aux Etats-Unis et en France, il a créé, il y a près d’un demi-siècle, quelques titres inoubliables, dont Little Boy Brown, puis Les Larmes de croc
odile, On vous l’a dit et Tom et Tabby édités par son complice Robert Delpire et, en collaboration avec Jacques Prévert, à la NRF, Lettre des îles Baladar, balayant d’un coup de crayon et de plume malicieux, audacieux et libérateur les mièvreries, les conventions ou les contraintes pédagogiques alors souvent attachées à ce genre. De nombreux titres parus aux USA (Mr Noselighter, The Magic Current Bun, Travelers Three, The Story George Told Me, Grodge-cat and the Window Cleaner) ne sont toujours pas traduits à ce jour.
Parallèlement, dès le début des années 50, il dessine, pour la presse adulte américaine, des croquis farfelus, d’un humour tendre, candide et joyeux, qui seront réunis en de savoureux recueils dont l’irrésistible drôlerie n’a pas pris une ride, ainsi Double Bedside Book,The Tattooed Sailor ou The Half Naked Knight.
La célébrité, il l’acquiert avec ses affiches, publicitaires (Citroën, Kodak, Gillette, Dop…) ou cinématographiques (Le soupirant, YoYo, films de son ami Pierre Etaix) et par ses nombreuses couvertures de magazines (Graphis, Punch, Lilliput, Vogue et pas moins de 55 pour The New Yorker …) dont certaines ont fait date dans l’histoire du graphisme. Sa renommée s’est étendue jusqu’au Japon où il fut exposé en 1995. Il collabora avec de nombreux journaux, L’écran français, Look, Holiday, Fortune, Le Matin de Paris, The Observer, Le Monde (Animots), Le Nouvel Observateur (Les moutons et escargots à lunettes) ou Télérama : « Ne ciné-ronflez plus, lisez Télérama…»
La grande rétrospective de 2003 à la Bibliothèque Forney a permis de prendre la mesure de l’importance considérable de son œuvre sur papier et son œuvre est présente dans de nombreux musées du monde.
Même s’il n’a jamais recherché les honneurs, il reçut à Paris le Grand Prix national d’Arts graphiques et le Prix Honoré, à New York la Médaille d’or de l’Ars Directors Club, il fut membre honoraire du Royal Designers of Industry, et, depuis 1977, Doctor Honoris Causa du Royal Collège of Art de Londres.
Son trait garde au fil des années son aisance souveraine, mais un arrière-plan philosophique se précise, les sources d’inspiration évoluent, s’approfondissent, s’érotisent, s’assombrissent, démultiplient leurs significations, et il crée désormais des personnages monstrueux, des sirènes voluptueuses, des clowns mélancoliques, et des situations vigoureuses et grinçantes, presque violentes, qui cousinent souvent avec un surréalisme très personnel. Sa connivence avec l’écrivain-éditeur François David et surtout avec Vincent Pachès, qui l’a introduit à la revue de santé mentale VST dont il est le directeur artistique, est à l’origine de livres forts et parfois dérangeants.
D’une créativité, d’une inventivité, d’une lucidité et d’une jeunesse impressionnantes, il fut également peintre, sculpteur et décorateur de théâtre et d’opéra, en particulier pour les ballets de Roland Petit ou de Gene Kelly. Il fut virtuose dans toutes les techniques : gravures diverses (lithographie, aquaforte, sérigraphie…), dessins à l’encre ou au crayon, au pastel ou au fusain, peintures à l’eau, à l’huile ou acrylique, collages incongrus de toutes sortes de matériaux, vaisselle cassée, bois flottés ou brûlés, ferraille, plomb fondu, objets détournés et mariés, dans des compositions dissonantes ou harmonieuses, avec un humour qui n’exclut ni le sens, ni l’exigence esthétique.
Son atelier et toutes les archives et œuvres qu’il contenait ont été détruits dans un incendie en décembre 2002. Épaulé par sa femme, Marguerite, et ses enfants, Pierre et Catherine, après quelques mois d’état de choc, il surmonte cette tragédie et crée de nouveau, à 87 ans, avec une fébrilité juvénile retrouvée, en une forme d’oblation conjuratoire, des œuvres où il a intégré les débris calcinés ou fondus ramassés dans les décombres. Ces chefs d’œuvre crépusculaires et particulièrement chargés d’émotion ont été montrés à Beaubourg, au printemps 2004, dans une exposition rédemptrice, L’épreuve du feu, où fut projeté le très beau film qu’il inspira à Sarah Moon.
Un courage, un talent, une énergie, une intelligence, une imagination, bref une personnalité hors du commun qui ont fait de lui la « référence » aimée et admirée de la plupart de ses confrères.
Janine Kotwica
par : Les Maîtres de l'imaginaire