Ancien élève de Paul Colin, Alain Gauthier, artiste né en 1931, est beaucoup plus célèbre (et célébré) comme affichiste que comme illustrateur alors qu’on lui doit les images de quelques albums exceptionnels qui ont fait date dans l’histoire littéraire de ces dernières années.
C’est François Ruy-Vidal qui l’entraîne dans le milieu éditorial pour la jeunesse et son premier livre, Zizou, artichaut, coquelicot, oiseau, publié chez Grasset en 1974 sur un texte de Jean Chalon, révèle d’emblée un réel talent d’illustrateur. Il lui confie des textes de Jean Joubert et de Maurice Denuzière, puis le recueil de comptines des Papillons de Pimpanicaille qui démontre un délicieux humour. En 1991, il lui donne à illustrer une version très personnelle d’Alice au Pays des merveilles qui préfigure les variations autour des thèmes carrolliens (Alice ou les chemins de la mémoire) dont Alain Gauthier écrira le texte et dont L’Art à la page fera un beau livre d’artiste. Michel Tournier a été touché et admiratif de l’interprétation qu’il fit de plusieurs de ses textes dont La fugue du Petit Poucet, illustré deux fois, Amandine et les deux jardins et Le miroir à deux faces.
Son exceptionnelle interprétation de La Belle et la Bête, qui conjugue avec élégance Cocteau et Madame Leprince de Beaumont (1988), inaugure sa fructueuse collaboration avec Nicole Maymat et les éditions Ipomée.
Il a revisité magistralement, pour les éditions du Seuil, les contes de notre patrimoine dans des versions déconcertantes et ambiguës. Ma Peau d’âne et Mon Chaperon rouge s’adressent plus à l’adulte qu’à la prime enfance.
L’association avec François David pour Est-elle Estelle? , belle réussite éditoriale, lui valut une plaque d’or à Bratislava.
Son dernier livre, Nous, les loups, édité chez Bilboquet en 2007 sur un texte de la jeune Edith de Cornulier-Lucinière, reprend superbement, avec une rare subtilité, quelques-unes de ses intimes obsessions.
Virtuose de l’affiche commerciale ou culturelle et dessinateur de presse magazines, il a obtenu de très nombreuses distinctions internationales en France – les campagnes publicitaires, entre autres, de Bally ou du Champagne de Castellane ont été brillamment primées – mais aussi à Londres, Essen, Tokyo, New York…
Alain Gauthier est aussi peintre et l’univers, très musical, de ses tableaux reflète la même atmosphère sensuelle et mystérieuse que ses oeuvres sur papier. Il conjugue là aussi l’audace anachronique à une touche de surréalisme et à un onirisme profondément intériorisé. Avec, toujours, un sens subtil des demi-teintes, un talent particulier de la mise en page et une harmonieuse structuration de l’espace
Des silhouettes élégantes de femmes dont les poses au hiératisme très étudié diffusent un érotisme contenu, troublants portraits de fillettes rêveuses et mélancoliques, faussement chastes, comme absentes, à la séduction distante, petits garçons rêveurs, mystère de vies intérieures à peine devinées, le monde créé par Alain Gauthier, où l’humour et l’insolence trouvent aussi parfois leur place, est fascinant.
Un univers si personnel qu’il peut sembler déplacé de céder à la tentation d’évoquer des rencontres avec quelques prestigieux aînés: avec un Hammershoï et le grisé de ses camaïeux intimistes, avec un Balthus et ses très jeunes femmes à la sensualité ambiguë ou encore un Delvaux qui, modestement, ne se prendrait guère au sérieux.
par : Les Maîtres de l'imaginaire