L’Ours (bleu) et l’amateur de jardins
Une histoire suisse
En 1970, Etienne Delessert, qui vit à New York, découvre, dans le magazine dominical du New York Times, un long article sur l’épistémologue Jean Piaget. La lecture de ce reportage tombe à pic. En effet, notre « créateur d’images », homme scrupuleux s’il en est, est perplexe. Il avait publié, chez Harlin Quist, trois livres particulièrement novateurs, Sans fin la fête et les Contes N°1 et N°2 d’Eugène Ionesco, qui avaient été, certes, salués par la critique, mais au sujet desquels les prescripteurs, déstabilisés par tant d’audace, se demandaient si ces albums étaient « vraiment » destinés au jeune public. Alors Delessert prend rendez-vous avec son célèbre compatriote et s’envole pour Genève afin de soumettre ses livres au regard avisé d’un spécialiste reconnu de la pensée enfantine. A la grande surprise des proches de Piaget qui a la réputation d’être distant, l’échange, dans un bureau encombré de livres, dure quelques heures et, comme le racontera Etienne Delessert dans ses mémoires (L’Ours bleu, Slatkine, 2015) s’avère « très amical et enjoué ». Le psychologue se montre séduit par ces albums sur lesquels il se penche longuement et reconnaît alors ne s’être jamais interrogé sur la réception, par les enfants, d’images créées par des adultes. Et c’est ainsi que naît le projet qui a abouti, après huit mois d’expérimentation, au présent album : Etienne Delessert inventerait une histoire, proposerait des illustrations ; ces ébauches iconiques et textuelles seraient modifiées et enrichies à Lausanne, dans des classes d’élèves de 5 à 6 ans, par les réflexions et les dessins des enfants. Le livre évoluerait en fonction de leurs gloses et interrogations.
Les enfants se sentent très concernés, révèlent ce qu’ils connaissent des phénomènes de la nature et, en plus, rient beaucoup. Les rencontres entre Piaget, Odile Mosimann, psychologue clinicienne, sa proche collaboratrice et Delessert sont fréquentes et se déroulent sans façon dans le jardin de Carouge auquel Piaget, jardinier expert, accorde grand soin. Le remarquable graphiste américain Herb Lubalin est associé au travail de mise en pages.
Piaget donne son approbation à la maquette qui lui est soumise, avec une restriction déconcertante : sur la double page qui clôt le livre, il apprécie son portrait mais récuse le sens des spires de l’escargot dont il demande l’inversion. Et il justifie cette exigence inattendue en sortant alors de sa bibliothèque sa thèse de doctorat qui portait sur… les escargots!
On aurait pu craindre que cet ouvrage, concocté sous les auspices d’un psychologue et soumis à des expérimentations psycho-pédagogiques, serait un pavé assommant. D’autant plus que Piaget y adjoint une longue préface où il raconte par le menu les étapes de cette entreprise. Mais c’eût été compter sans la finesse et le sens artistique des protagonistes de cette aventure.
Cet enthousiasme augure bien du résultat final. Comment la Souris reçoit une pierre sur la tête et découvre le monde est publié aux États–Unis et en France à L’École des loisirs en 1971. Les premières éditions, imprimées en six langues, rencontrent un grand succès.
La découverte naïvement étonnée de la Souris dont les yeux s’écarquillent sur la vie est d’essence métaphysique. Elle reflète l’amour de la nature de Delessert, son engagement écologique, sa fascination pour les astres du jour et de la nuit, son culte méditatif de l’harmonie cosmique.
Ces efflorescences esthétiques enracinées dans le terreau des mythes ont valeur universelle et on peut saluer MeMo de les offrir, à nouveau, aux jeunes lecteurs d’aujourd’hui.
Janine Kotwica, octobre 2018
Comment la Souris reçoit une pierre sur la tête et découvre le monde (Postface)
Quatrième de couverture
Lorsque, en 1971, deux personnalités suisses, un savant psychologue, Jean Piaget, et un talentueux auteur- illustrateur, Étienne Delessert, demandent modestement l’aide d’un groupe d’enfants pour créer un livre, cela donne, dans l’enthousiasme, un album poétique et joyeux, et… un beau succès de librairie.
La découverte naïvement étonnée d’une souris, dont les yeux s’écarquillent sur la vie, est une aventure écologique mais aussi métaphysique. Elle rejoint, en toute simplicité, les grands mythes de la cosmologie universelle.
Une réédition nécessaire…
par : MeMo
Livre