Malika Doray au paradis des lapins
Un cursus universitaire éclectique
Créer des livres d’enfants ne fut pas la vocation première de Malika Doray. Elle a d’abord fait des études d’ethnologie, puis un BTS d’architecture d’intérieur, puis une maîtrise d’histoire contemporaine, mais pas de formation artistique. Comme elle le raconte, pour la regrettée revue suisse Parole, dans un entretien avec l’écrivain camerounais Alain Serge Dzotap, « le lien avec mes études n’est pas direct, mais j’ai quand même le sentiment que mon travail est très nourri par elles : quand on fait de la recherche en histoire ou en ethnologie, on glane, on synthétise, on rédige, et on simplifie au maximum… Par ailleurs, mon mémoire de maîtrise portait sur le ton adopté par les pédiatres à l’égard des enfants et des mères au XIXe siècle ».
Cette réflexion de haut niveau sur l’univers d’enfance explique sans doute le ton juste qu’elle trouvera, d’emblée, pour s’adresser aux petits avec tact et intelligence, évoquant pour eux, en toute pudeur, avec légèreté, les sujets les plus graves ou les plus intimes, ancrés dans leur affectivité profonde.
Des débuts prometteurs
C’est pour une petite fille anglaise en deuil de sa grand-mère qu’elle écrivit le texte de Et après dont elle fit plus tard un très bel album illustré, sensible et inspiré (Didier Jeunesse, 2002). Et c’est par ce livre aux icones minimalistes qu’elle fut remarquée, d’abord aux Etats-Unis, puis en France, et que son petit lapin stylisé, avec sa bouche en forme de croix, s’installe durablement dans le monde des livres. Un hommage inconscient à Dick Bruna, récemment disparu, dont elle découvrit l’oeuvre et fit la connaisance beaucoup plus tard à Amsterdam, et à qui elle voua désormais admiration et amitié.
Elle transforme cet essai prometteur dès l’année suivante par un livre audacieux qui soulève des vagues de polémique dans le frileux Landernau de certains prescripteurs de livres pour l’enfance. Imaginez qu’elle ose évoquer, pour les tout-petits, que la sexualité ne se confond pas avec la procréation !
Dans le ventre des dames…des fois il y a un bébé, des fois il n’y a pas de bébé (Didier Jeunesse, 2003) confirme l’émergence d’un talent prometteur et sans concession.
Amour et fantaisie
De nombreux albums suivront, ventilés chez divers éditeurs, dont MeMo, où elle profite du raffinement et du soin portés aux papiers et à l’impression pour se laisser aller à des œuvres poétiques et délicieusement mélancoliques (Le petit homme et la mer, 2005). Son art de la litote rend discret l’épanchement des sentiments, l’amour maternel (Lapin mon lapin, 2006) ou la générosité (Dans les bois du grand cerf , 2007)
En 2006, pour Didier Jeunesse, elle dédramatise affectueusement les affres de d’attente (Je t’aime tous les jours) et concurrence allègrement Gilles Bachelet dans une ode à son tubercule préféré (Gare aux lapins !) .
A l’École des loisirs, toujours dans la collection Loulou & Cie, elle délivre avec humour des messages éducatifs ( Si je te tape, et Il faut savoir dire non, 2006) , vante une gastronomie improbable (Nous, ce qu’on préfère, 2012), prône l’accueil contre l’exclusion (Y’ a plus de place ! 2014), se moque gentiment des rituels du coucher (Une nuit chez les pirates, 2015), initie ses lecteurs à la météo (Génial il pleut ! 2014) ou exalte les liens familiaux (Elle et Lui, 2015).
Une créativité joyeuse
Beaucoup d’invention dans la création de livres où le lyrisme des mots et des formes s’allie à la fantaisie de maquettes inattendues : puzzle (Le livre-puzzle de la poule et du renard , Albin Michel, 2016), pages ajourées (Bateaux sur l’eau, École des loisirs, 2016), leporello rigide ( Dans le ventre du poisson, Autrement, 2007), ribambelles aux silhouettes détourées (Coucou chat, Mon petit rat, Sous un pyjama, École des loisirs, 2005), marabouts (Chez les Ours, École des loisirs, 2011). Elle affectionne les pliages de toutes sortes et s’y adonne dans un minuscule supplément de Popi, Trois mini-livres pour se dire je t’aime (Bayard presse, 2004). Ce livre-là ( MeMo, 2007) est un joyeux pop-up aux couleurs appuyées qui vante les joies bibliophiliques avec conviction, évoquant au passage, par un crocodile en larmes, son amour pour André François. Ses Quatre petits livres de saisons (École des loisirs, 2013) délivrent, dans un délicieux tout petit coffret carré, un message écologique plein de poésie.
Une œuvre optimiste et généreuse qui chante les moments tendres et heureux d’un univers d’enfance épanoui.
Janine Kotwica
par : Biennale des illustrateurs de Moulins
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