Merveilleux David Merveille !
Pour évoquer David Merveille, ce sympathique illustrateur né en 1968 à Bruxelles où il vit toujours, on peut d’abord surfer avec envie sur les connotation mirifiques de son patronyme et évoquer sa bouille ronde aux yeux rieurs que ne vient polluer aucune pilosité. On peut rappeler aussi qu’il têta, comme il s’en vante, Tintin et sa ligne claire dans son biberon, et que, après ses humanités artistiques à Sainte Marie, il est entré, en 1988, à l’atelier de communication graphique de l’École Nationale Supérieure des Arts visuels de La Cambre qui forma aussi, excusez du peu, Pierre Alechinsky. Une formation graphique solide qui lui a donné, entre autres, un usage expert de l’ordinateur et lui a permis de réaliser de nombreuses campagnes publicitaires commerciales (Butagaz, BNP, Electrolux, Danone, Mitsubishi…) et quelques affiches culturelles pour des salons, des foires du livre ou pour la promotion de bibliothèques, avec des images fortement structurées et vivement colorées.
Il a conçu des jeux pour Nathan et Ravensburger, créé des couvertures pour les éditions Racine, collaboré avec divers organes de presse (La Libre Belgique, Télé moustique, Le Soir). Cinéphile convaincu, il a représenté un Batman impressionnant et croqué, pour l’exposition Screen of paper au casino de Deauville (1996), les savoureux portraits de Bernard Blier, Tom Cruise, Jack Nicholson ou Gérard Depardieu. De plus, il enseigne à l’École Saint Luc de Bruxelles et, surtout, illustre des livres d’enfants pour une dizaine d’éditeurs.
Ainsi a-t-il collaboré avec François David, gourmand des mots s’il en est, pour un livre jubilatoire sur les onomatopées (Flic Flac Scratch Um… & autres bruits de mots, Milan, 2004) et Marie Versé qui l’a entraîné dans d’autres joutes verbales en jouant, cette fois, des homophonies (Le lapin l’a peint, Mijade, 2004). Avec Jo Hoestland, il a fait dans la tendresse, mais sans mièvrerie (Ma petite amoureuse, Milan, 2004) et, avec Jean Van Hamme qui délaisse provisoirement XIII et Largo Winch, il a adressé aux tout petits un livre généreux, Un si petit hippopotame que Mijade édita en 1998. Il a fait un petit détour dans l’univers poétique d’Isabelle Maquoy ( La promesse de Marcelin, Mijade, 2002). Sapristi! , fable politico-sociale (Mijade, 2003), fut à la fois un cri de révolte contre l’injustice et un beau message de fraternité. Le texte en était de Zidrou comme Le nid (Rouergue, 2007) et Pompier, tu dors (Actes sud Junior, 2006). En 2007, il a publié, au Rouergue, Juke Box, sorte de randonnée d’une belle énergie graphique, qui fait défiler tous les genres musicaux, de l’opéra au disco, avec, au passage, la rencontre provocatrice de Jacques Brel qui, à jamais, pisse comme il pleure dans le port d’Amsterdam. Père de famille conscient des ses limites éducatives, il s’amuse des exigences parentales paradoxales dans un petit album animé gentiment subversif, Fais c’que je dis, pas c’que je fais!, dont il a aussi écrit le texte (Seuil Jeunesse, 2013). Il a revisité les Histoires pressées de Bernard Friot dans un grand format qui en démultiplie la douceur absurde (C’est toujours pareil, Milan Jeunesse, 2010). En 2015, il évoque avec malice, sur un texte de Ludovic Flamant, les premiers émois du cœur (Quand tu es amoureux, éd. Marmaille et Cie). Délire de l’imagination, folie douce et quête d’amour font du Chapeau de Philibert (Agnès de Lestrade pour les éditions du Rouergue en 2011) un petit joyau de poésie déjantée.
Alors, à la lecture de cet album lunaire et décalé, on comprend la dévotion de David Merveille pour Pierre Etaix, récemment disparu, et surtout pour Jacques Tati dont il ne cesse de célèbrer l’univers farfelu, joyeux et nostalgique. Il lui rend hommage sur hommage, exposition à l’UGC de Brouckère à Bruxelles (1996) et exposition de ses dessins, traditionnels, d’où Photoshop est exclu, au Centre d’Art de Rouge Cloître à Bruxelles (juin 2012) et dans la galerie parisienne des Petits papiers (septembre 2012), avec un catalogue coédité par Racine et le Rouergue. En 2010, il a coordonné les contributions d’une centaine d’artistes pour une exposition, Tati & Friends, à la Maison de l’Image chez Seed Factory avec, de nouveau, un catalogue édité aux éditions du Rouergue. Le burlesque des films de Tati lui a inspiré aussi trois albums très réussis, Le Jaquot de Monsieur Hulot, Hello monsieur Hulot et Monsieur Hulot à la plage (Rouergue, 2005, 2010 et 2015). On trouvait déjà, en 2004, à l’aube de sa fructueuse collaboration avec le Rouergue, son héros fantasque sur son inénarrable vélosolex au hasard des rues de Fait pour ça! . Sa verve tonique s’y est mise au service d’une idée ambitieuse de Régis Lejonc pour créer, à quatre mains, une fable presque violente sur le déracinement et la quête de soi.
Son admiration et sa dette envers les aînés qui l’ont inspiré, il ne les mégote pas.Ainsi ai-je partagé avec lui des instants de grande émotion lorsque je lui ai montré des dessins d’André François, rescapés de l’incendie de son atelier, auréolés d’une tragique bordure en dentelle de papier calciné.
David Merveille qualifie lui-même, avec justesse et lucidité, son style de « simple sans être simpliste », et s’il a illustré des livres dont les sujets sont loin d’être anodins, il le fait toujours sans prétention et avec une fantaisie joyeuse.
Sa jubilation ludique se retrouve dans les fantasmes érotiques teintés d’humour de ses Bêtes de sexe, réunies en un élégant port-folio édité par Aplanos en 2003 où un bestiaire multiple et éclectique se love sensuellement dans les rondeurs accueillantes de corps féminins dénudés.
Merveilleux David Merveille !
JK – Février 2017
par : Libbylit
Revue