Né à Saint Quentin en 1952, Gilles Bachelet passe son enfance dans les Pyrénées, près de Oloron Sainte-Marie. Arrivé à Paris, il boude les cours du Lycée Henri IV, manifestant un penchant incoercible pour l’école buissonnière. On l’envoie alors durant sept ans en pension au collège diocésain de Saint Lô dirigé par des Oratoriens. Après son bac, il retourne à Paris, suit des cours d’Arts plastiques à l’université puis entre à l’ENSAD. Avant même la fin de ses études, il publie sa première couverture à L’Expansion..
Depuis, il travaille en indépendant pour la presse, l’édition et la publicité.
Pour l’édition jeunesse, il commence par illustrer des albums chez Hachette, avec des dessins alertes à la plume ou des pages aquarellées où, déjà, transparaît son humour dévastateur. Ses premiers albums d’auteur-illustrateur, Ice Dream, et la galéjade érotique Hôtel des Voyageurs, paraissent sans texte chez Crapule! sous la houlette de Patrick Couratin en 1984 et 1986 et seront réédités, par Harlin Quist en 1998 pour le premier, et par le Seuil en 2005 pour le second. C’est cependant en 2002, avec Le Singe à Buffon, fantaisie historico-naturaliste déjantée, parue au Seuil et couronnée par le Grand Prix Jeunesse de la Société des Gens de Lettres, qu’il connaît une notoriété fulgurante. Son aventure éditoriale se poursuit, au Seuil, toujours avec Couratin (qui restera son directeur artistique jusqu’à sa mort en 2011), par la parution, en 2004, de Mon chat le plus bête du monde qui récolte, à Montreuil, le Prix Baobab, à Saint Etienne et à Cherbourg-Octeville, les Prix de leurs Salons Jeunesse ainsi que le Prix littéraire du Mouvement pour les Villages d’Enfants. Cette inénarrable saga du chat pachydermique continuera avec Quand mon chat était petit (2006) et Des nouvelles de mon chat (2009).
Historien joyeusement impertinent, il a écrit et dessiné la biographie complètement loufoque de Champignon Bonaparte (2005), remplaçant tous les protagonistes de l’histoire par des champignons : on reconnaît sans peine morilles et girolles, cèpes et coprins chevelus, amanites tue-mouche et laccaires améthyste. L’album a séduit les savants conservateurs de la Bibliothèque Paul Marmottan de Boulogne-Billancourt, éminents spécialistes de l’épopée napoléonienne, qui ont souhaité accrocher les originaux de ce livre aux cimaises de leur noble maison.
Avec Il n’y a pas d’autruches dans les contes de fées (2008), ce virtuose de la sustitution se lance avec bonheur dans le conte défait, détournant, par une caricature sacrilège d’une drôlerie irrésistible, les grands contes du patrimoine européen dont il remplace tous les personnages par des autruches, disgracieuses à souhait.
Madame le lapin blanc (Seuil 2012) témoigne de sa connaissance avisée de l’œuvre de Lewis Carroll et de son militantisme féministe. Nous voici donc en présence d’un récit embrassant avec sensibilité les émois, les soucis, les déceptions d’une mère de famille débordée par son envahissante progéniture et délaissée par un mari égoïste et fêtard. Cette bluette pleine d’humour lui a valu, pour la seconde fois, les honneurs suprêmes au Salon de Montreuil.
On retrouve cette tendresse souriante dans Une histoire qui (Seuil 2016) qui s’adresse aux tout petits.
C’est en 2012 que nait son addiction à Facebook. Pimentées par les polémiques autour du mariage pour tous, y débutèrent alors les amours désopilantes d’un couple improbable de deux escargots. Or, Facebook deviendra pour Gilles Bachelet, un laboratoire où mûrissent avant d’éclore les idées de ses albums à venir. C’est ainsi que paraît, au Seuil Jeunesse, la geste médiévale farfelue du Chevalier de Ventre-à-terre, le plus autobiographique de tous ses livres, tous pourtant amplement nourris d’allusions à sa vie privée et de clins d’œil à ses proches. Ce nouvel opus conjugue à un généreux, affectueux et drôlissime message pacifiste, les thématiques de la procrastination et de la famille hermaphrodite, mais adaptées, pudiquement, à un jeune public (Premio Andersen, 2014).
Sur la page hyperfréquentée de notre indéfectible et prolifique humoriste, les thématiques se suivent ou se télescopent. La pauvre Hello Kitty, avec son inséparable petit nœud rose, est poursuivie d’une vindicte inépuisable, croisant le dodo de Lewis Carroll, la Vache qui rit du cher Benjamin Rabier, les animaux de ses propres albums, et bien d’autres célébrités de la littérature de jeunesse. Ces derniers sont une féconde source d’inspiration, particulièrement iconoclaste : Bécassine fait cuire le petit poisson Arc en ciel, l’écrivain Jojo Lapin est grugé par Trois Brigands éditeurs, les Pingouins de Joëlle Jolivet sont couchés dans une boîte à sardines, et tous les éléphants du livre d’enfance comparent leurs queues à l’exception de Babar dont on ignore, pantalon oblige, s’il porte à gauche ou à droite ! Une impertinence infatigable qui n’épargne personne, pas même la Petite sirène dont la queue de poisson est transformée en rectangle pané. On les retrouvera tous avec bonheur dans l’album qui les réunira (Les Coulisses du Livre Jeunesse L’Atelier du Poisson soluble 2015).
Nous avons ensuite découvert, sur facebook, son intérêt, inattendu, porté… aux gants Mappa. Anthropomorphes, ils incarneront un éloge de la vie conjugale dans un tendre album qui relate les travaux et les jours d’un couple, du coup de foudre initial à la vieillesse… jusqu’à ce que la mort les sépare (Une histoire d’amour, Seuil 2017)
C’est encore sur le mur si fécond de ce réseau social qu’apparaissent un jour les indescriptibles glimouilles. Ces végétaux bizarroïdes joueront un rôle de premier plan dans XOX et OXO (Seuil 2018). L’aventure extraterrestre de deux Bouvard et Pécuchet interstellaires, bourrée de références culturelles ô combien éclectiques, s’avère une méditation savante sur les joies et les affres de la création artistique et sur les dérives de l’art contemporain.
On l’aura compris, notre Gilles Bachelet est un artiste sensible d’une exceptionnelle culture, qu’il nous vaporise malicieusement comme un gaz hilarant.
Gaudeamus, exultemus et ei demus gloriam !
Janine Kotwica
Biennale des illustrateurs de Moulins 2019
par : Biennale des illustrateurs - Moulins
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