
Caractéristique des images de Martine Delerm, la transparence aquatique des teintes, la subtilité de camaïeux diaphanes, l’irisation délicate de l’arc-en-ciel ou des bulles de savon. «Son monde est une immense aquarelle» Elle ne peut utiliser les couleurs vives, le noir pur, «noir d’ivoire, noir de fumée, noir de velours» car «que faire de tout ce noir quand on est un peintre de lumière?»
Mais ce monde n’est ni pâle, ni inconsistant, ni, surtout, incolore.
Nulle mièvrerie dans ses livres, jamais… Ses héroïnes vivent la solitude, la révolte, sont confrontées à la mort, à la guerre, l’enfermement psychologique, mais leur douleur est effleurée sans les excès du pathos, toujours avec une élégante retenue. Dans une production éditoriale où l’on fabrique toujours plus grand, toujours plus criard, sa discrétion est un havre de goût. Martine peignant son univers intérieur a l’art de «dessiner ses blessures à l’envers des nuages» et de «se fabriquer des ailes avec des mots». De calque en calque, elle épure, épure, épure encore, évitant de coller au texte, avec l’obsession de «ne pas s’éloigner de soi».
«Fragile, l’équilibre, dit-elle, les chagrins pèsent plus lourd que les joies»
La fantaisie est présente aussi, et ses architectures semblent dessinées par un disciple de Numérobis. Elle sait manier le paradoxe : «Tu es libre, les murs sont à toi». Son ironie rejette l’omniprésence médiatique. «On en blogua sur les écrans», «on émissionna, on télévisa, on tourista». On «s’use les yeux sur un écran».Absurde, non? Il y a tant de beauté à regarder avec ces yeux-là, ces objets et paysages qu’elle photographie en connivence avec son écrivain de mari au fil des chemins qui les inventent.
«Et des regards d’enfants voyaient ce qui ne se voit pas»
Elle donne une présence poétique à ses outils : papier, toiles, pinceaux, cartons à dessin, bouteilles d’encre, tubes, pot à crayon ancien. ..
Son écriture, grave, intimiste, mélancolique, révoltée, fantaisiste, joyeuse, légère et douce, est un bonheur de chaque seconde… Elle nous fait sentir «la chute lente d’un silence comme une absence au crépuscule» Elle écrit «sa vie sur des morceaux de ciel, des lambeaux de nuages, sur ce qui se défait, ce qui fond ou s’envole».
Mais pas seulement, heureusement! Car dans ses images, comme dans sa vie, l’écriture, avec ses supports bien matériels, est omniprésente: livres, journaux (Libésoir), cahier d’écolière qui devient bateau, feuilles volantes ou tombantes, punaisées sur les murs, vierges ou couvertes de messages, lettres et enveloppes timbrées, si précieux Papiers de soi, (Seuil, 2002), origami messagers de paix, rassurantes ribambelles ..
Il y a des gens qui lisent partout et les personnages de ses lectures, Alice, Antigone, Narcisse, Pinocchio, Polichinelle… vivent entre ses pages.
Janine Kotwica
in Secrets d’albums (Martine et Philippe Delerm) Seuil, 2016
par : Seuil
Livre