A la fois auteur-illustrateur, illustrateur et peintre, Pierre Cornuel est né en 1952 à Chantenay-Villedieu dans la Sarthe. Diplômé de l’École Supérieure d’Art moderne de Paris, grand amoureux du jazz et de ses improvisations, il a créé quelque cent pochettes de disques et de CD, des affiches, réalisé beaucoup de travaux de presse et de publicité, un film d’animation (Le Père Noël et le magicien ) et plus de 70 albums pour la jeunesse dont certains titres traduits dans de nombreux pays. Il enseigne à l’ESAM design à Paris et plusieurs films rendent justice à son talent.
Carnets
Il est l’un des dix illustrateurs dont Jean Perrot analysa, en l’an 2000, les carnets dans son étude pour le Cercle de la librairie. Il faut dire que ses carnets ne le quittent jamais et il ne manque pas d’y croquer les architectures, les paysages, les atmosphères et les gens qui l’inspirent au cours de ses lointains voyages, dans les Terres des arts italiennes ou grecques, en Polynésie, aux Amériques, en Afrique, en Turquie ou en Extrême Orient, devenu sa destination préférée. Il saisit aussi dans ces carnets, avec brio et générosité, ses amis et commensaux au cours de soirées joyeuses et arrosées, les enfants qu’il rencontre dans les écoles et bibliothèques partout dans le vaste monde, et aussi quelques belles inconnues admirées au hasard de ses haltes et pérégrinations. Il a l’art de saisir l’essence du féminin dans ces portraits griffonnés sur un coin de table, dans l’effervescence bruyante des bistros de Paris et d’ailleurs, enrichis de collages, commentés avec sensibilité et humour, et retravaillés ensuite à l’atelier.
Enfantina
Sociologue à la curiosité toujours en éveil, il s’attaque dans ses livres pour la jeunesse, aux « embrouilles », même graves, mais, par la jubilation évidente de ses dessins et la vivacité fantaisiste de ses croquis d’animaux, « dragounes », rats, moutons, grenouilles, rhinocéros, hérissons ou hippopotames, il évite toute lourdeur didactique. Dans Chacun son look ( 2002), Racket story (2005) et Bistouri Show (2007) publiés chez Grasset, il dédramatise, avec intelligence et humour, des sujets de société qui concernent et perturbent les jeunes adolescents, la dictature des marques vestimentaires ou de l’apparence physique, la violence des quartiers et même le pouvoir mortifère des sectes (Gourou de moutons, 2000). Grâce à Désiré Raton, héros empathique et sympathique, il s’est penché affectueusement, avec l’écrivain Lydia Devos, dans les années octante, sur les soucis des petits, appréhension de l’école ou séparation des parents. Il s’y dévoile comme un gracieux héritier de Beatrix Potter.
Inventif, drôle et d’un dynamisme à toute épreuve, il laisse à ses jeunes lecteurs des écoles collèges et lycées un souvenir inoubliable des animations auxquelles il participe volontiers avec son inépuisable bonne humeur.
Il dispense en outre des cours privés dans son atelier de Saint-Germain-en-Laye.
Pays du Matin calme et du Soleil levant
Plusieurs de ses livres d’enfants sont traduits en coréen, et il a récemment réinterprété, avec des techniques d’illustration traditionnelles, pour un éditeur de Séoul, Les Trois Petits Cochons dans un album accompagné d’un CDRom en chinois et en anglais. Cette collaboration l’a séduit et il a créé des liens de proximité affective avec les habitants de cette lointaine contrée. Insoumis et courageux, les Coréens lui rappellent étrangement tel village gaulois résistant à ses puissants voisins.
Grand connaisseur de la littérature, de la peinture, et plus généralement de la culture chinoises, fasciné par le mystère des écritures, la sensualité des papiers et le raffinement de techniques ancestrales qu’il a assimilées et faites siennes, il a raconté, avec Sohee Kim, l’histoire du peintre Chu Ta chez Grasset en 2010. Chu Ta et Ta’O, le peintre et l’oiseau, bel album atypique, lui a valu la reconnaissance des musées nationaux parisiens. Cette science sinologique l’a naturellement rapproché des excellentes éditions HongFei qui ont publié son superbe leporello sur les outils des peintres orientaux, Éclats de lune (2013), ainsi qu’un conte initiatique, Le Héros (2015). Il s’est rendu plusieurs fois en Chine et y a enseigné à la Nanjing University of Art. Ainsi a-t-il créé, avec les étudiants de Nankin, le magazine Unik et a publié là-bas quelques albums pour la jeunesse.
For adults only
Quand il ne crée pas pour les enfants, Cornuel ferait plutôt dans l’érotisme, d’un pinceau vigoureux gorgé de couleurs chatoyantes, avec de grands formats fort éloignés de ceux de ses illustrations.
On ne sera pas étonné que ce nouveau Loti ait été séduit par les splendeurs de Topkapi et que la lumière qui filtre à travers les moucharabiehs l’ait fait romantiquement fantasmer sur les ravissants oiseaux qui soupirent dans ces cages dorées : le sérail lui a inspiré une série de peintures à la volupté lascive, lyriques et poétiques à souhait.
Avide d’explorer des voies nouvelles, il ne manque pas d’abandonner, parfois, l’art figuratif, comme dans sa passionnante relecture de l’Odyssée où formes et couleurs évoquent, de façon saisissante, les voyages et les amours de son grand frère Ulysse.
Délaissant Homère sans quitter le monde grec, il magnifie les femmes de la mythologie, Sapho, Psyché ou les Trois Grâces, et leurs très littéraires amours, ainsi de Daphnis et Chloé. Pour un triptyque de cette exposition inspirée, Femmes rebelles, la Fédération nationale de la Culture française lui décerne la Toile d’or de l’année 2012.
Les Fleurs noires ( Galerie Art présent), d’une beauté mystérieuse, presque vénéneuse, démontrent son exceptionnelle maîtrise du geste, des techniques et des pinceaux chinois, et sa profonde et sincère appropriation, loin de tout pastiche, d’une esthétique, certes, mais surtout d’une philosophie.
Un artiste paradoxal qui navigue de l’exubérance et de l’excitation au silence, à la méditation et à la rêverie.
par : Exposition - Espace Paul et André Vera - Saint Germain en Laye - Octobre 2018
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