Un livre d’une immense richesse philosophique, lisible à des niveaux très divers, dans lequel l’adulte trouve autant d’intérêt que l’enfant.
Un soir d’orage, une petite fille inquiète, obsédée par les grandes questions de la philosophie et de la métaphysique, n’arrive pas à trouver le sommeil et s’interroge, non sans humour, sur le sens de l’existence.
L’auteur-illustrateur : Peintre et illustratrice, Michèle Lemieux a publié une quinzaine de livres illustrés, dans quinze pays, dont très peu sont parus en France. Pour l’étonnant Nuit d’orage, elle a obtenu et bien mérité, à Bologne en 1997, le prestigieux « Bologna Ragazzi Award » dans la catégorie « Fiction pour jeunes adultes ».
1 – ANALYSER LA MISE EN PAGE
L’album à l’italienne de petit format ne comporte pas moins de 240 pages. Il n’est, hélas, pas paginé, ce qui complique un peu sa fréquentation collective mais aucunement sa dégustation solitaire.
• Le livre s’ouvre par un avant-propos sans texte: deux paysages annonçant la nuit d’orage, et deux images montrant le brossage de dents de l’enfant dans la salle de bains, avec son chien qui se toilette, lui aussi, puis son baiser aux parents qui lisent, tendrement serrés sur un canapé et observés par le chien. Pour la fillette, en revanche, ce sera la solitude de la chambre. Elle se met sagement au lit, avec son chien couché à ses pieds.
• Chaque séquence s’ouvre par un dessin sur la page de droite, représentant la fillette dans son lit. les élèves pourront répertorier et comparer ces quelque vingt petites scènes, toutes différentes, en analysant comment les postures de l’enfant expriment ses sentiments. Ainsi, quand elle s’interroge sur la sexualité, elle met son oreiller sous sa chemise de nuit pour arrondir son ventre et, lorsqu’elle a très peur, elle prend le chien auprès d’elle et se cache sous les couvertures.
• L’illustration, comme la vignette de couverture, est en noir et blanc, avec le plus souvent de petits croquis minima listes à la plume. Quelques rares doubles pages présentent des scènes au graphisme plus présent, presque violent, et toujours en noir et blanc. Comme les scènes d’orage du début, elles expriment le climat psychologique, les moments de très forte inquiétude, voire de panique et d’angoisse. Cette adéquation graphique entre la nature et les sentiments est à analyser avec les lecteurs.
• Pour le reste, le livre est divisé en sortes de chapitres thématiques, de longueur inégale, avec dessin à droite et texte à gauche. Il est important de souligner auprès des jeunes lecteurs la remarquable pertinence de cette maquette.
• Mise en relation graphique : on peut trouver quelques parentés graphiques avec les bandes dessinées de Delphine Perret (Oncle Hector, Thierry Magnier) ou avec Va faire un tour de Kitty Crowther (Pastel), album discrètement coloré cependant.
2 – MISE EN MOTS ET EN IMAGES POUR UNE IDENTIFICATiON DÉLICATE
• Il y a une question, et ses développements et corollaires, par « chapitre ». Sans doute est-il difficile pour des enfants de théoriser sur des problèmes dont beaucoup sont métaphysiques
et demeurent sans réponse même pour un adulte. Mais une discussion devrait permettre de déterminer quel est le sujet de chacune des séquences sans pour cela user de la terminologie savante.
• Il importe d’y mettre beaucoup de tact. les enfants s’identifieront sûrement à la jeune héroïne car ils se sont sans doute heurtés aux mêmes interrogations. Certaines ont dû les angoisser. Ils ont tous des vécus différents et ont rencontré la mort, par exemple, de façon diverse. On ne peut leur faire dire ce qu’ils veulent taire.
• On peut analyser les doutes et les peurs de l’héroïne dans le contexte du livre, et l’humour très réjouissant des dessins devrait éviter une dramatisation excessive : certaines pages sont très drôles. La mise en mots et en images de toutes ces interrogations et de toutes ces peurs peut jouer un rôle cathartique.
3 – DES QUESTIONS PHILOSOPHIQUES
On peut tenter d’énumérer ensemble les « milliers de questions» qui « tournent dans la tête» de l’enfant.
• Cela commence très fort, à la manière du Petit Prince de Saint-Exupéry ou de Thomas et l’inFIni de Michel Déon: qu’est-ce que l’infini? C’est par cette même question qu’elle terminera son périple métaphysique.
Puis la fillette s’interroge sur la vie sur les autres planètes, l’origine de l’homme, sa création.
Ce sera ensuite la sexualité, la procréation, l’identité, l’apparence, l’estime de soi, le sentiment du ridicule, le désir d’être autre et l’intelligence animale.
• Un labyrinthe symbolise la détresse intérieure, une parodie d’une maternité de Picasso le besoin de tendresse qui voisine avec le désir d’indépendance. la joie illumine, la colère explose. On passe du chagrin au besoin de reconnaissance, celui de la fratrie en particulier.
Un inventaire psychologique d’une rare richesse.
• D’insolubles questions, éternellement posées par les philosophes de tout temps et aussi par les théologiens, taraudent la petite insomniaque : l’éthique, le destin, le hasard, la chance, le libre arbitre, la prédestination, la liberté morale, la nature de la pensée, la foi en une protection immanente (Dieu ?).
• Elle s’inquiète aussi du vide intellectuel, du rôle de la contrainte dans la création, de l’introspection, de la fuite dans l’imaginaire, du goût de l’invention, du talent, des limites du rêve et de la réalité.
• Ses peurs sont fortes : solitude nocturne, crainte de l’abandon, de la séparation, de l’isolement. Terreur devant la guerre, la violence, la perspective eschatologique. Inquiétude devant la méchanceté, la perversité, la délinquance. Peur de l’avenir et de ses incertitudes, de la douleur et de la mort…
• L’idée de la mort l’entraîne vers la question de l’âme, immortelle ou non, de la réincarnation, du repos éternel, de l’existence du paradis et de l’enfer, du néant, des croyances en la confusion entre le monde des morts et celui d’avant la naissance.
Et ces dernières réactions nous ramènent astucieusement au point de départ: l’infini.
• Après cet inventaire, qui pourrait être commenté par des étudiants en philosophie, une rupture pleine d’humour : « J’ai faim! » l’expédition très prosaïque au réfrigérateur ramène l’héroïne sur terre. l’orage est passé. l’optimisme remplace les inquiétudes, et l’ enfant s’endort.
• On peut imaginer un atelier d’écriture où chaque enfant évoquerait une peur sur un petit papier plié. On les recueille et on en fait le livre, illustré, des peurs de la classe. l’anonymat de la démarche devrait faciliter la sincérité des confidences.
4 – MISE EN RÉSEAU
• Il est intéressant, pour un pédagogue, de comparer l’immédiateté sensible de ce livre exceptionnel avec d’autres ouvrages de philosophie à destination du jeune public.
– L’oiseau-philosophie (Seuil Jeunesse), où, malgré les illustrations délicieuses de Jacqueline Duhême, la pensée de Gilles Deleuze maintient son lectorat à distance.
– Le recueil des Philo-fables pour vivre ensemble de Michel Piquemal et Philippe Lagautrière (Albin Michel), qui éclaire chaque notion par un petit récit souvent de sagesse populaire.
par : Seuil Jeunesse
Fiche Pédagogique