Dans le N°49 de nos chers « Papiers nickelés », j’avais évoqué la mirifique trouvaille du chanceux Michel Lagarde qui avait acquis, dans une vente, trente-neuf dessins d’André François a priori inconnus. J’avais identifié tout de suite des scènes et des personnages de Jacques le fataliste et subodoré, à tort, qu’il pouvait s’agir d’un projet avorté. Or mon article m’a valu quelques courriers… et quelques remords. En effet, l’un de mes correspondants, Daniel Grojnowski, a évoqué le souvenir d’un livre édité par la Bibliothèque française en 1947. Un autre, Nicolas Brynaert, a trouvé la mention de ce titre au début de la bibliographie publiée dans The biting eye of André François, une monographie publiée par Perpetua Books en 1960 et préfacée par Ronald Searle. Et c’est là que je suis impardonnable : ce livre est le premier cadeau que me fit André François au début de notre amitié. Mea culpa, mea maxima culpa !
Je me suis replongée alors de plus près dans mes archives et j’ai trouvé une brève allusion à cette publication dans l’autobiographie publiée dans le célèbre André François édité par Herscher en 1986 et repris, la même année, à New York, par Harry N. Abrams. Ce texte sera recopié dans le catalogue de l’exposition André François – Affiches et graphisme de la Bibliothèque Forney en 2003. André François y écrit : « Lorsque j’ai illustré, en 1946, Jacques le fataliste de Denis Diderot pour Aragon, c’était dans un style plutôt baroque et compliqué, tout à fait à l’opposé de ce qui se faisait à l’époque. »
Depuis, la fortune m’a souri et j’ai déniché ce livre, via internet, chez un libraire allemand.
C’est un format 14/19, broché, avec une couverture mauve désuète à souhait, sur un médiocre papier. Il y est signalé un tirage de tête de quarante exemplaires numérotés sur pur fil. Il est illustré de quarante dessins, seize en pleine page et vingt-quatre insérés dans le corpus du texte.
Lucien Scheler l’a préfacé, en se focalisant sur l’œuvre de Diderot, sans citer André François cependant nommé sur la couverture : l’absence d’intérêt pour les illustrateurs était une posture fréquente à l’époque. Pourtant, la « santé » et la « bouffonnerie » de Jacques, auxquelles il fut sensible dans le texte, sont bien présentes dans les images…
« La Bibliothèque française », sise 33 rue Saint André des Arts, est, avec « France d’abord » et « Hier et aujourd’hui », l’une des trois maisons, fondées par la résistance dans l’orbite communiste, qui seront regroupées en 1949 pour devenir « Les Éditeurs français réunis » sous la direction de Louis Aragon.
Grand merci aux lecteurs de « Papiers nickelés » pour leur intelligente attention et tous mes vœux à Michel Lagarde pour son aguichant projet d’édition…
Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, j’ai retrouvé, en chinant sur la toile, Beau masque de Roger Vailland édité par Gallimard en 1954 avec une reliure demi-basane fauve et des pages de garde dessinées. Les huit illustrations en pleine page, hors-texte, griffées d’une plume acérée, sont signées des initiales AF mais André François n’en est pas crédité, ce qui confirme encore la prééminence du texte sur les images dans la mentalité éditoriale de l’époque. Claude Roy qui, dans sa chronique littéraire de Libération, se montre très enthousiaste pour ce roman engagé, ne fait d’ailleurs aucune allusion aux images d’André François. Les initiales de la signature sont désormais celles qu’il utilisera toute sa vie et le style graphique a bigrement évolué depuis le Diderot de 1947. Sobre, presque géométrique, il présente une vague parenté avec certains dessins de son compatriote Saul Steinberg. Une élégante froideur loin de la cocasserie jubilatoire de la Lettre des îles Baladar concoctée, à la NRF, avec l’ami Prévert et René Bertelé deux ans auparavant, ou de l’humour décalé des Larmes de crocodile, chef d’œuvre publié par le complice Delpire deux ans plus tard. Loin aussi de son audacieuse lecture des Contes drolatiques de Balzac chez Diogenes Verlag en 1957 ou de la truculence inoubliable de Ubu roi d’Alfred Jarry qui paraîtra la même année au Club du Meilleur livre, avec la célèbre maquette de Massin et son texte sur papier boucherie. Mais c’est une étape très intéressante, et méconnue, de son travail d’illustrateur pour adultes. Il ne reviendra vers les images inspirées par des textes littéraires que plus de deux décennies plus tard, avec les planches en couleur, sublimes et dérangeantes, de Si tu t‘imagines de Raymond Queneau (Rombaldi, 1979) et de L’Arrache-cœur de Boris Vian (Éditions André Sauret, 1981).
Resteraient à redécouvrir les originaux de ce Beau masque oublié, s’ils n’ont pas été brûlés dans l’incendie de l’atelier !
par : Papiers nickelés N° 50
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