Gilles Bachelet
Le Chevalier de Ventre-à-terre
Seuil Jeunesse, 2014
Pimentées par les polémiques autour du mariage pour tous, débutèrent un jour, sur le mur de Gilles Bachelet, spécimen rarissime de facebookus addictus, les tribulations d’un couple inénarrable de deux escargots, Kevin et Humphrey, dont les amours, nourries de références culturelles désopilantes, furent couronnées d’un mariage élégant et, hermaphodisme oblige, de deux grossesses simultanées.
Sur la page hyperfréquentée de notre indéfectible et prolifique humoriste, les thématiques se suivent ou se télescopent. C’est ainsi qu’apparurent aussi, baignées d’une culpabilité latente, les dévotions quotidiennes à Saint Procrastin, patron de ceux qui, comme Gilles Bachelet, remettent inéxorablement au lendemain ce qui devrait être fait le jour même.
Parmi les tâches constamment différées, il y avait « le prochain album », mille fois promis, et impatiemment attendu depuis Madame le lapin blanc publié en 2012. Enfin, le 6 novembre 2014, paraît la geste médiévale fantaisiste du Chevalier de Ventre-à-terre, le plus autobiographique de tous ses livres, tous pourtant amplement nourris d’allusions à sa vie privée et de clins d’œil malicieux à ses proches.
Ce nouvel opus conjugue à un généreux, affectueux et drôlissime message pacifiste, les thématiques de la procrastination et de la famille d’escargots, mais adaptées, pudiquement, à un jeune public : les gastéropodes sont asexués et ne peuvent s’émerveiller de métamorphoses anatomiques gommées par une sévère Anastasie ; leur intimité familiale, même dans la chambre et le lit, est bienséante et le sentiment de culpabilité est passé aux oubliettes.
La version médiévale d’une page facebook à manivelle et rouleau y est un chef d’œuvre d’autodérision.
Sur la même image, un tableau, qui représente le couple avec une mouette, imite une photo de Gilles Bachelet et Clothilde Delacroix prise lors d’un salon à Mers les Bains.
En résidence à Margny-les-Compiègne où Jeanne d’Arc fut capturée par les Anglais, Gilles Bachelet l’y a maintes fois représentée avec son armure. Voir ici l’armure de la Pucelle accoutrer des colimaçons s’avère particulièrement cocasse. Les pages de garde avec leur inventaire de heaumes pourvus d’orifices pour cornes sont des merveilles d’invention graphique.
On retrouve, mêlés aux aventures de ce sympathique et vaillant chevalier, hédoniste et sybarite, les thèmes et motifs obsessionnels de Bachelet. Les parodies jouissives des pompeuses scènes de bataille de la peinture d’histoire rappellent Champignon Bonaparte. Morilles, cèpes, chanterelles, girolles et coprins chevelus sont épars dans les décors, les paysages et les menus où ils voisinent avec les fraises, si prisées que la défense d’un carré de fraisiers est cause de conflit armé. Le décor fait la part belle aux escargots, dans les détails du mobilier, ou même les lettrines da la maquette.
Tout le bestiaire domestique (coq, chats, chiens) est « colimaçonné », de même que les références aux mythes, contes et albums, Don Quichotte, dragon, licorne, crapaud, Elmer, Jumbo et Les trois brigands. Seul le papillon, qui veille sur la trêve ensommeillée, échappe à cette hybridation fabuleuse.
Bachelet pratique avec délectation le mélange des genres. Ainsi, parmi les exploits héroïques du chevalier, il a introduit… l’achat d’une baguette de pain, confortant l’image de bon père de famille du héros.
Le temps, implacable, taraude, par le chant du coq, par ses instruments de mesure (montre, réveil, sablier) ou ses injonctions répétées (Pas une minute à perdre !). Dérisoires sont les tentatives pour le neutraliser : gravure du nom de l’aimée sur un périssable sporophore ou lutte contre la camarde dans un symbolique jeu d’échecs.
Si la hâte à combattre est contrariée, c’est que la guerre importe moins que la bravoure, l’entraide, la tendresse baveuse… et l’humour !
Janine Kotwica
La version abrégée (ci-dessous) de ce papier est parue dans Parole 1, 2015.
Gilles Bachelet
Le Chevalier de Ventre-à-terre
Seuil Jeunesse, 2014
Pimenté par l’actualité du mariage pour tous, débuta un jour, sur le mur facebook de Gilles Bachelet, le récit désopilant des amours de deux escargots.Y apparurent aussi, baignées d’une culpabilité latente, les dévotions à Saint Procrastin, patron de ceux qui remettent inexorablement au lendemain ce qui devrait être fait le jour même. Parmi les tâches constamment différées, il y eut, durant deux ans, impatiemment attendue, notre Chevalier de Ventre-à-terre, geste médiévale fantaisiste amplement autobiographique.
Ce nouvel opus reprend, dans un généreux, affectueux et drôlissime message pacifiste, les thématiques précitées, mais adaptées à un jeune public : les gastéropodes sont asexués, leur intimité conjugale est bienséante et la procrastination déculpabiblisée.
La page facebook à manivelle y est un chef d’œuvre d’autodérision.
Que des colimaçons soient accoutrés d’armures s’avère délicieusement cocasse. Les pages de garde avec leur inventaire de heaumes pourvus d’orifices pour cornes sont des merveilles d’invention graphique.
On retrouve, mêlés aux aventures de ce sympathique et vaillant chevalier, hédoniste et sybarite, les thèmes et motifs obsessionnels de Bachelet : batailles parodiques de la peinture d’histoire ; morilles, cèpes, chanterelles, girolles et coprins chevelus épars dans les paysages et les menus ; fraises, si prisées que la défense d’un carré de fraisiers cause un conflit armé.
Le décor, comme le bestiaire domestique (coq, chats, chiens) ou les références littéraires et iconiques (Don Quichotte, dragon, licorne, crapaud, Elmer, Jumbo, Les trois brigands…) sont « colimaçonnés ».
Seul le papillon qui plane sur la trêve ensommeillée échappe à cette hybridation fabuleuse.
Bachelet pratique avec délectation le mélange des genres. Ainsi, parmi les exploits héroïques du chevalier, il a introduit… l’achat d’une baguette de pain.
Le temps obsède par le chant du coq, ses instruments de mesure (montre, réveil, sablier) ou ses injonctions répétées. Et dérisoires sont les échappatoires, gravure du nom de l’aimée sur un périssable sporophore ou lutte contre la camarde dans un symbolique jeu d’échecs.
Mais la hâte est contrariée car la guerre ne vaut rien face à l’entraide, la tendresse baveuse… et l’humour !
par : Parole
Revue