Incontri
Mazette ! Quelle photo ! C’était à Bologne : on reconnaît les piliers des arcades à gauche. Et, comme me l’écrit Binette Schroeder, « on ne peut imaginer un autre endroit où trouver en même temps tant d’illustrateurs de tant de pays ». En quelle année ? Dusan Kallay, allongé près de Binette accroupie, tient à la main le dépliant de l’exposition de Stasys à Tokyo. Alors, 2002 ?
Debout, de gauche à droite : Klaus Ensikat, Max Velthuijs, décédé en 2005, Kveta Pacovska, rayonnante, Michael Foreman, Jörg Müller, Stasys Eidrigevicius, tout chevelu encore, et Roberto Innocenti, barbu déjà… Incroyable! Un panthéon européen de choc et de charme, tonique et bigrement souriant : les deux Allemagnes, la Suisse, la Grande-Bretagne, la Pologne et la Lituanie, les Pays-Bas, la Tchécoslovaquie, doublement représentée, et la bella Italia.
Merci, cher Stasys, de m’avoir envoyé cette magnifique archive d’un photographe inconnu !
C’est cela, Bologne. La Fiera de toutes les rencontres, de tous les bonheurs.
Comme j’eusse rêvé de réunir, en un seul clic, tous les illustrateurs présents en cette année 2014, rencontrés ou entraperçus au hasard des allées ou des pérégrinations citadines ! En vrac, Joëlle Jolivet, cachée au fond d’un stand, Géraldine Alibeu flanquée de son charter de jeunes illustrateurs, Binette Schroeder, toujours aussi pétillante, Carme Sole Vendrell, toujours aussi attentive, Roberto Innocenti et Letizia Galli, toujours aussi florentins, Gilles Bachelet et Clothilde Delacroix, toujours aussi amoureux, Jean-François Martin, toujours aussi barbu, Etienne Delessert, toujours aussi affairé… C’eût été, en effet, une belle photo.
On eût pu aussi tenter un cliché de groupe des autres acteurs du livre. En vrac encore, Chun-Liang Yeh et Loïc Jacob (HongFeï Culture), Emmanuelle Martinat-Dupré (Musée de l’illustration jeunesse), Colombine Depaire (Bureau du livre à New York), Marcus Osterwalder (Archimède), Gregory Picco et Isabella Bonvicini (Bologna Fiere), Yara Nascimento (Memo), Francine Bouchet (La Joie de lire), Michèle Moreau (Didier), Valeria Vanguelov (Grasset), Ruta Nanartaviciuté (Ministère de la culture de Lituanie), Cécile Desbois-Müller et Claude-Anne Choffat (Revue Parole), Carla Poesio (Centro Didattico Nazionale de Florence), Christian Demilly (Revue Pulp), Evelyne Guyot (Albin Michel), Cécile Bergame (A corps Bouillon Compagnie)… Mais j’ai dû me contenter de quelques portraits individuels, volés au cours de fructueux échanges.
Tendenze
Bologne, c’est aussi de grandes expositions.
Celle du pays invité d’honneur d’abord. En 2014, c’est le Brésil. On s’y précipite pour découvrir, avec curiosité, l’inventivité de la scénographie : on se souvient des mallettes de peintre portugaises, des polyptiques de la Lituanie, des grands livres ouverts de la Suède. Ici, dans les tons de layette branchée de l’affiche, rose fuchsia et bleu azur, de grandes tables en bois peint accueillent les dessins posés à plat, simplement protégés par une feuille de plexiglas. Ceux qui attendaient, dans les œuvres, un exotisme fulgurant de couleurs tropicales et les somptueuses influences ethnologiques qui ensoleillent l’art populaire brésilien en ont été pour leurs frais. La mondialisation est là, et bien là. A quelques rares exceptions, les Marcelo Pimentel, Maurizio Negro, Nelson Cruz…
Cette mondialisation, doublée de l’usage intensif de l’ordinateur qui éloigne la main du cœur, uniformise aussi l’Illustrators Annual d’où l’on ne sort guère ému. On ne trouve quasiment plus la sensualité des matières, sauf parfois chez quelques italiens – Marco Somà, Cristina Pieropan, Oscar Sabini – ou chez la canadienne Manon Gauthier.
L’Italie est à l’honneur dans une exposition d’un nouveau genre ici, The lost treasure, consacrée à un grand illustrateur patrimonial, Ugo Fontana (1921-1985) dont toute la carrière fut dédiée au livre d’enfance. Dans ses riches images, où les sujets historiques sont nombreux, se côtoient les références picturales les plus éclectiques, italiennes surtout, Fra Angelico, Andrea Mantegna, Paolo Uccello, Pisanello, mais aussi flamandes ou germaniques, Caspar David Friedrich ou Jan Van Eyck. Le catalogue, fort intéressant, est coréalisé par l’universitaire Georgia Grilli et l’illustrateur Fabian Negrin.
Non ditelo a grandi
On se souvient que la Fiera avait fêté ses cinquante ans en 2013. Allait-elle se reposer sur ses lauriers ? Ronronner sur ses acquis ? Se contenter de ses 1200 exposants venus de 74 pays ? Que nenni ! Pour cette 51e édition, elle a innové et investi le Hall 33 avec une manifestation dont le titre parodie un ouvrage célèbre d’Alison Lurie, Ne le dites pas aux grands (Don’t tell the grown-ups).
Jusque là, la foire n’était ouverte qu’aux professionnels. Désormais est offert au grand public, dans ce hall 33, une gigantesque librairie qui propose, outre des livres du monde entier, des ateliers animés par les auteurs et illustrateurs, des séances de signatures et de fort intéressantes expositions d’originaux d’illustrations. Certaines sont thématiques, ainsi l’hommage à Claudio Abbado, bolognais et tout récemment décédé, où l’on pouvait reconnaître l’émouvant Mozart de Georges Lemoine, et Danza – avec des originaux très drôles – de Vladimir Radunsky (Because) ou de Anna et Elena Balbusso (Isadora Duncan). D’autres accrochages nous font découvrir des œuvres très intéressantes, comme les graphismes et calligraphies de Federico Maggioni ou les collages poétiques et raffinés de Clementina Mingozzi.
Un espace plein de promesses.
Eventi in città
Déception en ville ! Pas le temps d’aller jusqu’au Musée archéologique qui exposait des images du sport, et pas d’exposition, cette année, au Palazzo Accursio. Dommage : il y eut un temps où, dans ses nobles murs, l’on admirait Dusan Kallay ou Nikolaus Heidelbach. Il faut dire que la Piazza Maggiore a triste mine, car non seulement il tombe une pluie glacée, mais il y a des travaux partout. Les échafaudages et les filets de protection en plastique jaune enlaidissent le décor. Alors, le prosecco et l’orange pressée, ce sera à l’abri des arcades, et dans le froid et le bruit infernal des marteaux piqueurs.
La Libreria Giannino Stoppani, habituellement grouillante de lecteurs avides, est désertée au profit du Hall 33 de la Fiera. La halte y sera brève, juste pour se réchauffer un peu.
On peut aller se réfugier, pour se consoler, sous les verrières de la Sala Borsa où La camera dei bambini nous dévoile une joyeuse collection privée de jouets et de meubles d’enfants. Peu de lecture dans ces chambres aux pimpantes couleurs, sauf des exemplaires de journaux abandonnés sur un coffre à joujoux, Il Balilla et le Corriere dei Piccoli. L’américanisation y est discrète, avec quelques personnages de Disney, inévitables Mickey et Donald, mais la vedette incontestée de cet univers désuet et charmant reste Pinocchio, peint sur les têtes et pieds de lits, et décliné sous tous les genres imaginables de marionnettes.
Alors, à défaut d’une grande mostra d’illustrateurs pour la jeunesse, on s’engouffre, palpitant de joie anticipée, dans le Palazzo Fava tout proche où sont offerts, à la vénération des foules, les trésors du Mauritshuis lui aussi en travaux. Dans la muette contemplation de La ragazza con l’orecchino di perla, on oublie l’effervescence de la Fiera et les bruits de la ville. Miracle de la beauté.
C’était à Bologne en 2014….
publié le :02/04/2014
par : Ricochet
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