J’étais une petite grande fille lorsque j’ai lu Marlaguette à ma ribambelle de frères, sœur, cousins et cousines plus jeunes que moi. Ma mère, d’origine tchèque, était une fan des Albums du Père Castor et moi, j’étais fascinée par cette fillette courageuse et anticonformiste qui s’amourache du grand méchant loup. Quinze ans après, j’ai retrouvé la petite Marie Olga dans les livres que mes filles empruntaient à l’école maternelle : leur institutrice adorait cette histoire. Et j’ai alors découvert la profondeur et la maturité de son amour : accepter l’être élu dans sa spécificité, sans tenter de le transformer. Ce n’est que lorsque j’ai commencé à m’intéresser professionnellement à l’album illustré que j’ai admiré la qualité des images de ce livre, la poésie de ses sous-bois, la grâce des fougères et des herbes folles, la vivacité des attitudes de l’héroïne et des mouvements de l’animal, la pertinence de la mise en page. Et la deuxième édition, en 1996, n’a pas détruit le charme de celle de 1952, même si elle a modernisé la vêture de l’enfant et actualisé la maquette. Comme tous les livres qui ont fait date dans l’histoire de la littérature enfantine, Marlaguette supporte et mérite plusieurs étages de lecture.
Lorsque je l’ai enfin rencontrée, notre Gerda Muller, j’étais, bien évidemment ravie de mettre un visage sur mes souvenirs de lectrice. Et je n’ai pas été déçue de la rencontre ! J’ai pris une volée de bois vert que je ne suis pas près d’oublier : l’illustratrice n’avait alors pour moi qu’un prénom, et je le prononçais à la teutonne, avec le /g/ de Gaston . « Comment ! Avec ce que mon pays a souffert des Allemands ! Je suis hollandaise ! » Pas de doute, notre Gerda, avec le /j/ de Josette, ne manque pas de tempérament, et j’ai eu, à diverses occasions, le loisir de le vérifier, et ses éditeurs aussi !
Tempérament, certes, et énergie, vigueur dans la défense active de ses convictions. Essayez donc de la brancher sur les livres de certains confrères qui imposent au lectorat enfantin leurs préoccupations d’adultes, ou de ceux qui usent d’un graphisme agressif, ou qui se moquent de la lisibilité et piétinent les préceptes pédagogiques : rétive aux courants faciles de la mode, elle leur taille, avec beaucoup de mordant, un costume trois pièces qui n’a pas fini de leur gratter la réputation…
Car chez elle, la vocation pédagogique va de soi, rigoureuse, mais sans lourdeur. D’où le dynamisme et la fraîcheur de ses rencontres avec le jeune public,. D’où, aussi, après les annéesPère Castor, chez Paul puis François Faucher et ses contributions à Ravensburger, l’évidence de sa présence dans le catalogue d’Archimède dont le mentor, Marcus Osterwalder, s’est dit très honoré de sa collaboration. Ses dossiers documentaires sont très fouillés et elle pratique de nombreux croquis d’après nature. D’où la vie qui anime ses portraits animaliers et ses herbiers. Ours, marmottes, loups, lapins, chèvres et biquets, cochons, poulets, singes, hirondelles et autres oiseaux, koalas, poneys, chats, ânes, canards, loutres, chamois, hérissons, cobayes, toutes les espèces animales, elle les a croquées d’un crayon ou d’un pinceau alerte et attentif . Je viens d’exposer, à l’abbaye de Saint Riquier, quelques-uns de ses porcelets, ils sont plus vrais que nature !
Elle a à cœur, aussi, de transmettre un patrimoine, et ses illustrations des contes traditionnels sont un régal dont je ne me lasse pas. Sa sensibilité nordique convient, bien sûr, particulièrement à Grimm et à Andersen. Sa connaissance et son amour de la musique éclairent d’une note sensible la belle histoire de Florica, la fragile réfugiée que consolent les accords de son violon .
Une véritable révélation fut le moment où elle me permit de fouiller dans ses cartons, et, partant, la découverte de ses esquisses. Depuis, en attendant qu’elle en fasse, un jour, un livre entier, elle en garnit quelques pages de garde et on peut désormais y apprécier la liberté et l’aisance de son trait.
Que de chemin parcouru depuis que la jeune et fougueuse artiste amoureuse des albums de Rojankowski, à peine sortie des Arts Déco d’Amsterdam, ne craignant, comme sa petite sœur Marlaguette, rien ni personne, a enfourché, sa bicyclette noire pour quitter sa Hollande natale et affronter l’Ecole Estienne et les grands méchants loups de l’édition parisienne ! Environ cent livres plus tard, saluons cette grande dame qui a si généreusement donné de soi au livre
par : Griffon
Revue