Le lundi 8 février dernier, Léo Kouper, gamin farceur de 94 ans, travaillait à une pochette de disques du compositeur Vladimir Cosma lorsqu’il s’est endormi, le crayon à la main, pour ne jamais plus se réveiller. Il rejoignait Monique, son épouse, décédée trois mois plus tôt. Une mort paisible à l’image de cet artiste prolifique, malicieux et débonnaire qui a illuminé les murs de nos villes d’affiches inoubliables, durant près de soixante-quinze ans.
Lors de ses obsèques, un pâle soleil faisait luire les pavés du Père-Lachaise. En cet après-midi de mardi-gras, ironie de ces temps covidiens, l’assistance était… masquée. Le cercueil était tout petit, et, en guise de fleurs, une pluie de crayons a été jetée dans la fosse : une subtile idée de ses deux filles, Corinne et Nathalie. Car c’est un grand dessinateur, un merveilleux affichiste, un homme généreux, dont on prenait congé ce jour-là, accompagné par la musique de Mozart.
Par Janine Kotwica
Né à Paris, le 20 août 1926, Léo Koupferberg a vu ses études secondaires au lycée Chaptal interrompues par la guerre. Admirateur des peintres et affichistes Paul Colin et Cassandre, il prend des cours de dessin par correspondance à l’École ABC. Mais c’est l’illustrateur et affichiste Hervé Morvan, dont il devient l’assistant, en 1945, à 19 ans, qui lui enseigne son métier en favorisant son « élan de création ». De lui, il apprend que si « L’affiche s’imprime sur du papier, elle doit surtout s’imprimer dans la mémoire. Concise, lisible, surprenante, agressive, l’affiche va à l’essentiel ». Il invente pour la définir, avec la pertinence et la justesse d’esprit qui le caractériseront toujours, le néologisme « évidentielle ».
Son style fera mouche, avec ses idées efficaces, son immédiateté toujours réussie, sa percutante simplicité, une drôlerie parfois un peu leste, un érotisme teinté de malice, du charme, de l’humour, de l’élégance et infiniment de poésie. « Je déteste les affiches bavardes, disait-il. Je voudrais être le mime Marceau de l’affiche. »
Au commencement était la pub…
Devenu Léo Kouper, il réalise personnellement, dès 1952, de nombreuses campagnes commerciales (Vitapointe, Petits pois Cassegrain, Eau chaude gaz, Confort électrique, Bière de Lutèce…) et ne délaissera jamais la pub. Ainsi, comme son ami Alain Gauthier, décédé en 2020, il prend la suite du célèbre Cappiello, pour des variations sur la croix rouge du Champagne de Castellane, et celle de Raymond Savignac pour la communication de la ville du Havre. Comme Alain Gauthier encore, il crée les visuels pétillants du champagne Ayala. « L’affiche, c’est l’emballage-cadeau du produit à vendre. Il vaut mieux qu’elle soit bien ficelée ! »
Affichiste de cinéma
Mais c’est par l’affiche culturelle que Léo Kouper accède à la notoriété. Il commence à créer pour le cinéma, Le Plus joli péché du monde (Gilles Grangier, 1951) et Mon mari est merveilleux (André Hunebelle, 1953). En 1961, pour la société de distribution Les Artistes Associés, il dessine l’affiche du film de Billy Wilder 1, 2, 3… et inaugure ainsi sa carrière dans le cinéma international. Il jubile en inventant la pomme verte et fessue d’Emmanuelle, dont l’épluchure indiscrète se déroule lascivement en serpent paradisiaque : un poster mémorable, exemplaire, qui lui vaut le Prix spécial de l’affiche au Festival de Cannes de 1974. Il fit aussi une affiche pour Mon oncle de Jacques Tati, mais elle ne fut jamais diffusée. En revanche, celles qu’il créa pour Jean-Pierre Mocky (Le Miraculé, Une nuit à l’Assemblée nationale, le Mentor, Les Insomniaques…) ou Philippe de Broca (L’Homme de Rio, 1964), ont été placardées dans tout l’Hexagone.
L’affichiste théorise ainsi sa méthode, concise et efficiente : « Le réalisateur a vingt-quatre images par seconde durant une heure et demie. L’affichiste, lui, n’a qu’une image pour raconter la même histoire. Cela exige un certain sens du raccourci ».
Très cher Charlot !
En 1954, Charlie Chaplin – dont le dessinateur avait su saisir, en trois traits alertes, la maladresse cocasse – avait choisi Léo Kouper, à l’issue d’un concours, comme graphiste pour les affiches des versions françaises de ses films. Il créera donc celles du Dictateur, des Temps modernes, du Kid, de La Ruée vers l’or, du Cirque, d’Une vie de chien, de Charlot soldat, de La Comtesse de Hong Kong ou encore de Limelight… Des créations avalisées par de cordiaux échanges téléphoniques avec le réalisateur, traduits par sa femme Oona, qui parlait français, depuis leur résidence suisse de Vevey. Lors de son unique rencontre avec l’acteur, il fut salué par un « Hello, Léo! » dont le souvenir l’a ému jusqu’à son dernier souffle. Il confiait : « Charlot ne m’a pas attendu. Il n’avait nul besoin de mes affiches pour conquérir le monde entier. Ce n’est pas de la modestie de ma part de le constater ni de l’orgueil, mais plutôt de la lucidité. Les dessins et les affiches que j’ai créés pour tous ses grands films ne sont que des hommages que j’ai voulu lui consacrer. Merci, Charlot ! »
En 2014, la Cineteca di Bologna organisa un hommage à Charlie Chaplin. Et, en présence de Michael et Victoria, ses enfants, et de Charlie, son petit-fils, elle présenta une exposition rétrospective des affiches de Léo Kouper. Lui et son épouse furent aussi invités, en 2016, à l’inauguration du musée Chaplin de Vevey qui a réédité ses affiches pour l’occasion. Et trois de ses créations furent présentes, à l’exposition Chaplin, l’homme orchestre de la Philharmonie de Paris, en 2019.
En 2011, pour une exposition consacrée à Chaplin à Tremblay-en France, en Seine-Saint-Denis, Le Kid, une bande dessinée, qu’il avait publiée dans France Soir, fut éditée par l’Académie des Banlieues.
En 2015, bouleversé par l’attentat de Charlie Hebdo et par la mort de ses amis Wolinski et Cabu, il dessina un émouvant Je suis Charlie reproduit dans Libération. Mais il refusa, par respect et pudeur, de le commercialiser.
Le nom de Léo Kouper est désormais indissociable de celui de son cher Charlot !
Affiches de théâtre
« Évidentiel… Dans ce mot, il y a la vie, le vide, la danse, le ciel. Tout un programme qui convient magnifiquement à l’affiche de spectacle. » Et le spectacle, dans la carrière de Léo Kouper, ce n’est pas seulement le 7e art : c’est aussi le théâtre et l’opéra.
Ainsi, après le déclin progressif de l’affiche cinématographique, a-t-il honoré les textes de Rostand (Cyrano de Bergerac), Feydeau (Chat en poche, Le Système Ribadier), Labiche (Doit-on le dire?), Vaclav Havel (Largo desolato), Molière (L’Avare, Le Bourgeois gentilhomme), Racine (Athalie), Voltaire (L’Ingénu), Paul Guth (Le Naïf et les femmes) ou Sacha Guitry (Le Roman d’un tricheur)… Il a collaboré avec de nombreux théâtres, surtout parisiens : La Bruyère, La Fontaine, Tristan Bernard, La Mare au Diable, Sylvia Montfort, Montparnasse, Rive Gauche, Théâtre de Lausanne, Théâtre 14, Ranelagh, Mouffetard et L’Espace Pierre Cardin où, à l’occasion de la reprise de Jésus la Caille de Francis Carco dont il dessina l’affiche, une belle rétrospective lui fut consacrée.
Dans l’Essonne, pour l’Opéra de Massy, il peint une étonnante Carmen, merveilleusement espagnole avec son œil sombre figuré par un noir taureau. Au Théâtre La Mare au diable de Palaiseau, le metteur-en-scène Henri Lazarini lui donna entière liberté pour la communication de nombreuses grandes pièces classiques dont L’Arlésienne, dans laquelle jouait sa fille Nathalie. Il figura ainsi, lyriquement, un visage féminin en forme de mas provençal ombragé de longs cyprès en guise de cils.
Un esprit alerte et curieux
À l’instar du dessinateur André François, cet humaniste convaincu appelle « coups de gueule », les « cris silencieux sur un mur » qui dénoncent : « Plus l’affiche est simple, mieux on entend ces cris », estime-t-il. De fait, Léo Kouper a vigoureusement proféré contre l’extrémisme, les désastres écologiques, les magouilles du milieu sportif, les guerres, le sort des Juifs en URSS, la peine de mort ou l’attentat du 11 septembre 2001, à travers de frappantes images sans concession. L’humour est aussi une arme : le port de la bourqa lui inspire un dessin et un jeu de mots en verlan (bourqa/Cabourg) particulièrement hilarants.
Il s’est essayé avec succès à la gravure et a réalisé, pour une exposition au Musée de la Poste, un élégant port-folio de portraits, très classiques, des présidents de la République française de 1968 à 1998, inspirés des portraits officiels exposés dans nos mairies : une expérience surprenante pour un trublion de son espèce !
Il créera également de nombreux visuels pour des Salons du Livre, de la Carte postale, des événements culturels et sportifs… Une infatigable créativité.
Des livres, aussi…
Hommage à leurs racines familiales, Léo Kouper a réalisé avec Monique, sa femme, dont les talents de cordon bleu ensoleillèrent les déjeuners de leur datcha normande, un savoureux manuel de cuisine qui fleure bon l’Europe de l’Est et où, lui-même, nous dévoile sa recette de… l’affiche !
Sur le tard, il se lance dans le livre de jeunesse. Grand amoureux des trésors de la langue française, il publie, chez Thomas Jeunesse, un joyeux album illustrant de délectables expressions et locutions, Avoir une faim de loup (2012) republié, dans un autre format, sous le titre Doux comme un agneau (2016). Le même éditeur a publié, en 2013, un pittoresque manuel de géographie, La France et ses régions. En 2017, pour Archibooks, ce sera Pourquoi les mots ? sur un texte de Marc Delamarre. Chacune des planches de ces albums fonctionne comme une affiche !
Un séduisant projet sur les marionnettes est, hélas !, resté inachevé… Et, son atelier de Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, qui surplombe le marché aux puces Biron, est envahi par des décennies de création.
Esprit curieux s’il en est, il resta à jamais avide de s’essayer dans tous les genres.
Des honneurs bien mérités
De nombreuses expositions furent consacrées à Léo Kouper, à Rouen, Caen, Albi, au musée Toulouse-Lautrec, à Toulouse, au Centre de l’Affiche, à Florence, et en Île-de-France dont une importante rétrospective à l’Espace 1789 de Saint-Ouen, à Éragny ou encore, à Paris, à L’Espace Pierre-Cardin et à l’Espace Rachi.
Des films lui furent dédiés, dont un court-métrage de Jean-Claude Biern, en 2003 [intitulé Portrait de Léo Kouper, affichiste : à voir sur Dailymotion, NDLR]. Surtout, en 1984, la journaliste Sophie Bontemps et le designer Jean-Michel Fouque se rejoignent pour réaliser un film, Les Lumières de l’affiche, où notre modeste Léo Kouper est encensé par Pierre Tchernia, Henri Lazarini, André Parinaud et son ami Pierre Étaix.
En 1981, il est couronné du Prix Paul-Colin de l’affiche et en 2002, du Prix de la carte postale.
Malgré sa notoriété et toutes les qualités de son œuvre, il a toujours gardé gentillesse, humilité et simplicité. Plein de générosité, il a longtemps participé à l’œuvre caritative des Tréteaux blancs en faveur des enfants hospitalisés.
Honni soit qui « mâle » y pense !
En 2010, je l’avais sollicité pour créer l’affiche de mon exposition Pour adultes seulement – Quand les illustrateurs de jeunesse dessinent pour les grands. Son esprit espiègle fut particulièrement titillé par le sujet. Il m’envoyait, au fur et à mesure, moult projets, tous plus malicieux les uns que les autres, retrouvant la verve biblique de l’affiche d’Emmanuelle, pour, finalement, aboutir à l’élégante quintessence de l’acte amoureux chastement symbolisé par ses outils de dessinateur : un vigoureux petit crayon vert attiré par un délicat pinceau rose. Honni soit qui mâle y pense…
L’exposition eut lieu dans les locaux de l’Ordre des avocats d’Amiens, après des tribulations amplement médiatisées, car elle fut interdite par la censure d’un hobereau politicard de province.
L’exposition et, partant, son affiche, furent commentées, entre autres, dans Le Monde, Le Canard enchaîné, Libération, Le Figaro, Le Courrier picard, Le Soir de Bruxelles, Politis, La Provence, France Inter, France 3, France Culture… Léo, souvent interviewé, s’en montra ravi, et ses réponses à la presse furent drôles et perspicaces. À la fin de cette épuisante et excitante aventure, il me renvoya son petit crayon vert… tout fourbu. Quel humour !
par : Les Arts dessinés
Revue