(Lunéville, 22 novembre 1948). Claude Ponticelli dit Ponti fréquente, après son baccalauréat, l’École des Beaux-Arts d’Aix en Provence, puis suit des études de lettres à Strasbourg. Dessinateur à l’Express et directeur artistique à l’imagerie d’Épinal, il crée, pour sa fille, née en 1985, L’Album d’Adèle (1986), puis Adèle s’en mêle (1987). deux livres sans texte, complètement fantaisistes, édités par Gallimard. Il quitte cette maison trois titres plus tard et confie son destin d’auteur-illustrateur à l’École des loisirs qui publiera une soixantaine de livres très aboutis, d’une originalité graphique et d’une créativité verbale exceptionnelles, trésors de sensibilité, de fantaisie cocasse, de richesse psychologique et de profondeur métaphysique.
Après Pétronille et ses cent-vingt petits (1990), tribulations d’une famille nombreuse et heureuse, le ton devient plus grave avec L’Arbre sans fin (1992), chemin de deuil d’une fillette pleurant la mort de sa grand-mère ou Okilélé (1993), douleur de l’enfant mal-aimé et rejeté. Suivront de nombreux grands albums toujours inspirés, Le Chien invisible (1995), Ma vallée (1998), Schmélele et l’Eugénie des larmes (2002), Blaise et le château d’Anne Hiversère (2004). Ses histoires denses et complexes mettent en scène de petits héros blessés par la méchanceté ou l’indifférence de leurs proches, que des voyages initiatiques mènent sur le chemin du dépassement de soi, de la sérénité intérieure et d’une acceptation indulgente du monde désespérément immuable des adultes. Leur héroïsme rapproche Hippolène (L’Arbre sans fin), Mine (L’Écoute aux portes, 1995), Zouc (Le Nakakoué, 1997), Jules (Sur l’île des Zertes, 1999) et Okilélé des grands noms de la mythologie universelle, de Orphée à Persée ou Saint Georges, ou encore Tristan, à Alice et le Petit Prince. Les épreuves qu’ils surmontent par leur force d’âme, sans les adjuvants magiques des contes traditionnels, sont redoutables, de la descente aux Enfers au passage de « l’autre côté du miroir », du combat contre des monstres à la conquête de la toison d’or de la sérénité, des pérégrinations dans l’espace interstellaire à l’exploration des ramures et des racines d’un inquiétant monde arborescent.
À la dimension mythologique des situations, des lieux et des personnages, s’ajoutent une symbolique très élaborée (arbre, larmes) et des références littéraires éclectiques (Lewis Carroll, Cocteau, Saint-Exupéry, Shakespeare, Claudel). L’amour est omniprésent, des premiers émois amoureux, poétiques et farfelus, de Monsieur Monsieur et Mademoiselle Moiselle (1999-2004) à la douleur de l’amour impossible et au coup de foudre de Sur l’île des Zertes (1999). Les héros ont une apparence bizarre, hybride, mi-humaine, mi-animale, et plus proche de la peluche que de la zoologie à l’exception des poussins, dont le célèbre Blaise masqué, jubilatoires vedettes récurrentes des séries Blaise (1991-1994) et Tromboline et Foulbazar (1993-2009) et du charmant Mille secrets de poussins (2005). L’enfant peut corriger une filiation décevante en puisant dans le remarquable Catalogue de parents pour les enfants qui veulent en changer (2008). Car le couple parental, rarement idéalisé, est ambigu ou absent, d’une lamentable inconsistance (Parci et Parla, 1994 ; Le Tournemire, 1996), indifférent, brutal, mais capable de remords (Okilélé). Il rappelle celui des gens frustes et bornés des Pieds bleus, l’un de ses trois bouleversants romans pour adultes de Claude Ponti. Poignante dans cet univers peut être la solitude de l’enfant qui ne rencontre d’amitié et de compassion que des objets (la poupée Broutille, Martin-réveil, la loupiotte perchée). Et encore, certains objets fétiches peuvent-ils être traîtres, ainsi du Doudou méchant (2000). Un tel sérieux qui flirte avec le tragique n’exclut pas la fantaisie qui pétille dans ses jeux de langage quasi lacaniens et les pompeuses prosopopées des généalogies. Les noms propres, élidés par aphérèse (Moiselles d’Egypte), joyeusement déformés phonétiquement (Souine-Gopatt-Fol) ou détournés orthographiquement (Grimporidot, Couparat), sont résolument fidèles à l’esprit d’enfance et à la manipulation des mots, ludiques ou involontaires. Son étonnante inventivité et sa drôlerie culminent dans les rubriques farfelues de l’Almanach Ouroulboulouck (2007).
Claude Ponti travaille à l’encre et à l’aquarelle et pense tout à la perfection : le découpage de la page en séquences, la composition des récits, l’anticipation subtile de l’image sur l’écrit, le traitement de la chronologie et de la durée, la pagination et même le code-barre. Un même raffinement euphorique s’exprime dans la poésie des lieux et des décors, qu’il s’agisse des jardins de Georges Lebanc (2001),ou des variations musicales des couchers de soleil (Le Nakakoué), dans un art du paysage qui rappelle les manuscrits médiévaux et les peintures de la Renaissance italienne. Son oeuvre passionnante, lyrique et délirante à la fois, offre au lecteur une catharsis apaisante enracinée dans les profondeurs de l’inconscient enfantin.
Janine Kotwica
Dictionnaire encyclopédique de Littérature de Jeunesse
Cercle de la Librairie, 2013
- Cauwe (Lucie),« Ponti Foulbazar » École des loisirs, 2006.
- Chenouf (Yvanne),« Lire Claude Ponti encore et encore » Etre, 2006.
- Cherer (Sophie),« L’album des albums » Ecole des loisirs, 1997.
- Diatkine (Anne) « Ponti, fourettes et guérissons » Libération, 1 décembre 1994.
- Harang (Jean-Baptiste) « Souverain Ponti » Libération, 25 novembre 2004.
- Kotwica (Janine), « Claude Ponti , le porteur de miracles » Parole, Printemps 2003.
- Potet (Frédéric) « Claude Ponti, enfant mais pas trop » Le Monde II, 8 décembre 2008.
- Van der Linden (Sophie),« Claude Ponti » Etre, 2000.
par : Cercle de la Librairie
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